Années de plomb
Le chrononyme « années de plomb » est employé dans plusieurs pays pour désigner des périodes de l'histoire contemporaine marquées par la violence politique.
Cette expression, notamment employée en Italie[1],[2],[3], trouve son origine dans le film de Margarethe von Trotta Les Années de plomb (Die bleierne Zeit), qui raconte l'histoire d'une femme membre de la Fraction armée rouge. Le film a été distribué en Italie sous le titre Anni di piombo, ce qui a popularisé cette expression pour désigner les années postérieures à 1968 — principalement la décennie 1970 — marquées par la radicalisation des mouvements d'extrême gauche et d'extrême droite, et par de nombreuses affaires de terrorisme[4].
Europe
[modifier | modifier le code]En Europe, les années de plomb désignent une période allant grossièrement de la fin des années 1960 à la fin des années 1980.
Dans le contexte corse, la notion d'années de plomb renvoie à la guerre entre le FLNC Canal Historique et le FLNC Canal Habituel dans les années 1990, guerre qui fera plusieurs dizaines de morts[5],[6].
Amérique
[modifier | modifier le code]États-Unis
[modifier | modifier le code]Aux États-Unis, des groupes tels que les Weathermen ou l'Armée de libération symbionaise (SLA) participeront à des attentats contre des cibles variées, rejoignant ainsi les pratiques de propagande par le fait adoptées par une minorité du mouvement anarchiste à la fin du XIXe siècle.
Amérique latine
[modifier | modifier le code]- Brésil : avec la « dictature civile-militaire » qui a sévi durant 20 ans de 1964 à 1984, à partir d'un coup d'État (1964), appuyée sur la pratique de la torture et un phénomène de « disparus politiques »[7].
- Chili : le coup d'État du 11 septembre 1973 d'Augusto Pinochet fait rentrer le Chili dans les années de plomb, dont l'épisode le plus connu reste l'opération Condor, où la plupart des dictatures d'Amérique latine coopèrent pour traquer et assassiner les dissidents, souvent en les faisant « disparaître » (les desaparecidos) au cours de cette « guerre sale ».
- Argentine : la Triple A (Alliance anticommuniste Argentine) commet aussi une série d'attentats en liaison avec le pouvoir d'État, dirigé par Isabel Perón, la troisième femme de Juan Perón. La junte de Jorge Rafael Videla est ensuite une des participantes principales du plan Condor, et les membres de sa police secrète, dont certains ont été entraînés par des anciens de la guerre d'Algérie, participent ensuite à l'instruction de paramilitaires au Guatemala dans les années 1980.
Afrique
[modifier | modifier le code]Algérie
[modifier | modifier le code]En Algérie, on distingue :
- Les années de braise : de 1939 à 1962, ce sont les années du militantisme politique, des sècheresse, des repressions coloniales et de la Guerre d'Algérie.
- Les années de plomb : de 1962 à 1989, juste après l'Affaire des wilayas, ce fut le temps du développement économique, de la mise sous silence de la population et de la dictature Boumédiène-Chadli.
- Les années de cendre : de 1989 à 1999, les temps de la très courte libéralisation du pays, de la montée du FIS, de la Guerre civile et des massacres.
- Les années de la charrue : à partir de 1999, ce furent les années de la reconstruction après 10 ans de guerre civile, avec un régime autoritaire et corrompu.
Nigeria
[modifier | modifier le code]Au Nigeria, sous plusieurs régimes, une répression féroce s'installait à chaque fois ponctuée par des coups d'État successifs. À la fin des années 1990, le général Abacha exerça un pouvoir très fort, ce qui lui a valu le surnom du « meilleur dictateur de cette fin de siècle ».[réf. nécessaire]
Guinée
[modifier | modifier le code]En Guinée sous le règne de Sékou Touré, la théorie du complot était omniprésente. Certaines personnes apprenaient qu'elles allaient être arrêtées par le biais de la radio. De nombreux Guinéens choisirent l'exil.
Maroc
[modifier | modifier le code]Période historique du Maroc contemporain marquée par la répression des opposants politiques sous le règne d'Hassan II. Au cours de cette période, le peuple marocain s'est révolté à plusieurs reprises contre le régime de Hassan II, notamment dans les grandes villes (Casablanca, Fès, Rabat…), réclamant plus de démocratie, ou dans le Rif qui a connu de violentes émeutes.
Parmi les romans et témoignages d'anciens prisonniers de Tazmamart, terrible bagne du Sud marocain, on peut citer :
- Cellule no 10 d'Ahmed Marzouki (Paris-Méditerranée) ;
- Tazmamort d'Aziz Binebine (Denoël) ;
- Années de plomb : Chronique d'une famille marocaine de Sietske de Boer (Le Fennec).
Asie
[modifier | modifier le code]Japon
[modifier | modifier le code]Au Japon, de nombreux mouvements de violence ont pu être observés dans les années 1970 et 1980. On retiendra surtout le massacre de l'aéroport de Lod du perpétré par l'Armée rouge japonaise avec l'aide du FPLP, faisant 26 morts et 80 blessés ainsi que l'attentat à la bombe du contre la société Mitsubishi revendiqué par le Front armé anti-japonais d’Asie du Sud qui lui aura fait 8 morts et 376 blessés.
Chronologie
[modifier | modifier le code]- 1968 : de nombreux autres pays traversés par la vague contestataire, de manière en Italie, mais la situation ouest-allemande capte nettement plus l'attention de la presse française[8] ;
- : Jean-Marcel Bouguereau, journaliste aux Cahiers de Mai, héberge Andreas Baader et Gudrun Ensslin durant leur cavale, sur les recommandations de Daniel Cohn-Bendit, dans l'appartement parisien de Régis Debray, alors incarcéré en Bolivie, et leur fait rencontrer Serge July[8],[9] ;
- : Baader, qui vient d'être libéré par Ulrike Meinhof part dans un camp palestinien en Jordanie ;
- février 1971 : Fusako Shigenobu s'installe au Liban où elle est accueillie par Georges Habache, fondateur du FPLP[10]. Elle assiste aux entraînements du FPLP[11] ;
- : des militants de l'Armée rouge japonaise s'entraînent au Liban ;
- : 75 grenades M26 volées dans une base américaine[12] et dispersées dans cinq lieux sur quatre continents, d'autres sources situeront le vol début 1972 ;
- : la RAF publie "Sur la conception de la guérilla urbaine" qui s'ouvre sur des citations de Mao Zedong[8] ;
- : Petra Schelm poursuivie par la police et tuée dans une fusillade[12] ;
- : Margrit Schiller et Holger Meins échappent à une arrestation, blessent un policier ;
- : Margrit Schiller arrêtée, des membres de la RAF tentent de la reprendre, un policier tué et d'autres blessés ;
- : un manifeste de l'Armée rouge japonaise publié par les partisans de Fusako Shigenobu au Japon affirme son association avec le FPLP [13] ;
- : un commando de la Gauche prolétarienne enlève et brutalise le député Michel de Grailly, qui parvient à s'échapper ;
- : fusillade mortelle pour Georg von Rauch filé par la police, Bommi Baumann parvient à s'échapper, manifestation de protestation ;
- : Rolf Pohle et Marianne Herzog arrêtés ;
- : Ingeborg Barz, Wolfgang Grundmann et Klaus Jünschke attaquent une banque de Kaiserslautern. L'attaque n'est pas tout de suite attribuée à la RAF, un policier est tué[14] ;
- : le Mouvement du 2 juin est fondé par Bommi Baumann ;
- : l'affaire du chalet Asama laisse Fusako Shigenobu seule leader de l'armée rouge unifiée. Ces purges meurtrières propulsant son nouveau groupe terroriste qui comptera quelque 40 membres et fera près de 200 victimes durant sa période d'activité[15] ;
- : le Mouvement du 2 juin attaque des commissariat[12] ;
- : à Augsbourg, Thomas Weisbecker abattu par la police au cours d'une fusillade[8] ;
- : Brigades rouges font pour la première fois un enlèvement, Idalgo Macchiarini, dirigeant de la SitSiemens[8] ;
- nuit du au : 5 véhicules sont incendiés par cocktail Molotov au dépôt régional Renault de Caen ;
- : la GP, dirigée par Olivier Rolin, kidnappe Robert Nogrette, chef-adjoint chargé des relations sociales à Billancourt, puis le libère deux jours plus tard ;
- : la base américaine de Francfort visée par 3 explosions, tuant un officier américain et blessant quatorze personnes[8] ;
- : deux bombes frappent des locaux de la direction de la police d'Augsbourg[8] ;
- : assassinat d'un commissaire italien par un militant de Lotta Continua ;
- : série d'attaque de la RAF contre la police et des bases américaines[12] ;
- : Massacre de l'aéroport de Lod, en Israël, par l'Armée rouge japonaise, premier attentat-suicide au Moyen-Orient[10] ;
- : contre-attaque de la police lancée contre la RAF ;
- : teach-in du Secours rouge (Allemagne) à Francfort[12] ;
- : arrestation d'Ulrike Meinhof à Hanovre ;
- : tous les chefs de la RAF arrêtés[12];
- été 1972 : fondations des Revolutionäre Zellen par 5 Francfortois;
- : prise d'otages des Jeux olympiques de Munich;
- 1973 : le Mossad assassine Mahmoud Hamchari, représentant de l’OLP en France, en représailles au massacre de Munich, manifestations violentes à Paris ;
- : Prise d'otage de l’ambassade de France à La Haye, téléguidée par Fusako Shigenobu ;
- : Attentat du drugstore Publicis (avec grenades du stock de 75 M26 (grenade) volées en Allemagne en 1972) ;
- : Le Figaro signale le projet de visite de Sartre à Baader, Libération en fait ensuite sa "Une"[8] ;
- : conférence de presse sur les conditions de détention de la RAF avec Jean-Paul Sartre, Croissant, Me Leclerc, et Alain Geismar[8] ;
- : après 145 jours, fin de la plus longue grève de la faim menée en RFA, couverte tous les jours par Libération[8] ;
- : attentats à la roquette des "commandos palestiniens" à Orly contre El Al (trois blessés) puis six jours après contre un avion israélien (vingt blessés) ;
- : Gabriele Kröcher-Tiedemann, Inge Viett, Ingrid Siepmann Verena Becker et Rolf Pohle parmi les cinq détenus libérés en échange de Peter Lorenz[8] ;
- : Prise d'otages à l'ambassade d'Allemagne de l'Ouest à Stockholm, par un « commando Holger Meins » utilisant une des 75 grenades M26 volées, quatre morts Hanna Elisa Krabbe et Siegfried Hausner arrêtés ;
- décembre 1975 : Prise d'otages du siège de l'OPEP à Vienne, avec Gabriele Kröcher-Tiedemann et Hans-Joachim Klein, trois morts ;
- décembre 1975 : assassinat de Richard Welsh chef de poste de la CIA à Athènes, probablement par un commando d’extrême-gauche[16], met en difficulté Libération, qui avait publié avant une liste d’agents de la CIA en Europe[16], sans se poser beaucoup de questions, malgré un travail de recoupement[16]. La CIA a considèré que le journal était au courant de l’identité des assassins, selon l'historien de la presse Laurent Martin[16] ;
- : décès d'Ulrike Meinhof, Libération, seul journal à adhérer à la thèse du suicide déguisé, titre Un crime d'État et publie la photo cadavre d'Holger Meins à côté de celle d'un martyr anonyme d'Auschwitz, brandie depuis 1974 dans des manifestations[8]. Jean-Marcel Bouguereau, parle d'une "longue liste de ces crimes maquillés et préparés de longue date" Pétition de 14 intellectuels « Pour que la lumière soit faite ».
Notes et références
[modifier | modifier le code]- Carmela Lettieri, « L’Italie et ses Années de plomb. Usages sociaux et significations politiques d’une dénomination temporelle », Mots. Les langages du politique no 87, 2008, p. 43-55.
- Guido Panvini Claude Sophie Mazéas, « Terrorisme noir et terrorisme rouge durant les années de plomb : la guerre n'aura pas lieu », Mémoires/Histoire no 1, 2010, p. 50-63.
- Franck Laffaille, « Législation antiterroriste et « état d’exception ». L’État de droit italien à l’épreuve des Années de Plomb », Revue internationale de droit comparé, vol. 62 no 3, 2010, p. 653-683 (résumé).
- Carmela Lettieri, « L’Italie et ses Années de plomb. Usages sociaux et significations politiques d’une dénomination temporelle », Mots, les langages du politique, ENS Éditions, no 87, 2008, p. 43-55, ici p. 43-44. Article en ligne.
- Film-documentaire.fr, « Génération FLNC », sur www.film-documentaire.fr (consulté le )
- « Génération FLNC : les années de plomb » (consulté le )
- Benito Bisso-Schmidt, « « Années de plomb » : la bataille des mémoires sur la dictature civile-militaire au Brésil », Cahiers d'histoire (compte rendu d'un séminaire EHESS) Revue d'histoire critique no 99, 2006, p. 85-102.
- Fanny Bugnon, La Violence politique au prisme du genre à travers la presse française (1970-1994) (thèse de doctorat) (lire en ligne).
- Hervé Hamon et Patrick Rotman, Génération : 2. Les Années de poudre, Le Seuil, , p. 592-593.
- Gilles Ferragu, Histoire du terrorisme, Paris, Éditions Perrin, , 488 p. (ISBN 978-2-262-03346-0, OCLC 876675343, BNF 43796820), p. 236.
- Michaël Prazan, Les Fanatiques : Histoire de l'armée rouge japonaise, Paris, Éditions du Seuil, coll. « L'épreuve des faits », , 302 p. (ISBN 978-2-02-048686-6, BNF 39123881), p. 81.
- [PDF] Bruce Allen Scharlau, Left-wing terrorism in the federal republic of Germany, université de Saint Andrews.
- (ja) Agence nationale de la police du Japon, « 国際化目立つ警備事象 » [« Événements à l'international »], (consulté le )
- (en) Barry Rubin, Judith Colp Rubin, Chronologies of Modern Terrorism, Routledge, .
- Barthélemy Courmont, Géopolitique du Japon, Perpignan, Éditions Artège, coll. « Initiation à la géopolitique », , 264 p. (ISBN 978-2-916053-96-7, OCLC 697467489, BNF 42304783), p. 174-175.
- Interview par Jean-Noël Jeanneney de Laurent Martin, spécialiste de l’histoire des médias dans l’émission Concordances des temps, du 25 novembre 2006 [1]
Voir aussi
[modifier | modifier le code]Bibliographie
[modifier | modifier le code]- Zakya Daoud, Maroc : les années de plomb, 1958-1988 : chroniques d'une résistance, Éditions Manucius, 2007.
- Sandrine Lefranc & Daniel Mouchard, « Réconcilier, réprimer : les « années de plomb » en Italie et les transitions démocratiques dans le cône sud latino-américain », Cultures & conflits no 40, 2001, p. 63-89.
- Carmela Lettieri, « L’Italie et ses Années de plomb. Usages sociaux et significations politiques d’une dénomination temporelle », Mots. Les langages du politique no 87, 2008, p. 43-55.
- Mario Mieli, Éléments de critique homosexuelle : Italie, les années de plomb, M. Prearo (Éd.), EPEL, 2008.
- Guido Panvini & Claude Sophie Mazéas, « Terrorisme noir et terrorisme rouge durant les années de plomb : la guerre n'aura pas lieu », Mémoires/Histoire no 1, 2010, p. 50-63 (http://www.cairn.info/l-italie-des-annees-de-plomb--9782746713833-page-50.htm résumé]).
- Diana Quattrocchi-Woisson, « Autour des années de plomb ; Le débat », Mémoire du XXe siècle, 2002, (via CAIRN.info).
- Isabelle Sommier, « « Les années de plomb » : un passé qui ne passe pas », Mouvements no 3, 2003, p. 196-202.
- Isabelle Sommier, « Repentir et dissociation : la fin des « années de plomb » en Italie ? », Cultures & Conflits no 40, 2000.
- Frédéric Vairel, « Le Maroc des années de plomb : équité et réconciliation ? », Politique africaine vol. 96 no 4, 2004, p. 181-195 (résumé).
- Sophi Wahnich « L'amnistie des années de plomb vue de France (2002-2009) », Mémoires/Histoire no 1, 2010, p. 339-353.
- Toni Negri, « Retour sur l’Italie des années 1970 », sur Le Monde diplomatique, .
Articles connexes
[modifier | modifier le code]- Mao-spontex
- Fraction armée rouge
- Revolutionäre Zellen
- Revolutionärer Kampf
- Années de plomb (Italie)
- Brigades rouges
- Lotta Continua
- Années_de_plomb_(Europe)
- Armée rouge japonaise
- Ligue communiste
- Gauche Prolétarienne
- J'accuse (mensuel)
- Normalisation en Tchécoslovaquie pour l'équivalent communiste des années de plomb de l'autre côté du rideau de fer.
- Cycle provocation-répression-mobilisation
- Stratégie de la tension
- Années de plomb au Brésil
- Devoir de mémoire
- Violence politique
Liens externes
[modifier | modifier le code]
- « Chronologie : l'Italie des années de plomb », dossier de l'Express.
- « Le Maroc revient sur ses « années de plomb » ».
- Lien sur l'affaire Adriano Sofri, à propos du livre de Carlo Ginzburg, Le juge et l'historien.
- « Affaire Battisti : retour sur les années de plomb (non neutre) », Politis, .