Une symphonie de A. Bruckner
Une symphonie de A. Bhuckner
M. Louis Hasselmans, dont la jeune et déjà parfaite maîtrise de chef d’orchestre s’est affirmée cette année encore avec éclat, nous a donné récemment la première audition d’une symphonie de Brückner, la huitième, en ut mineur, Depuis le dimanche de mai 1894, où Ch. Lamoureux, jouant du Brückner pour la première fois en France, nous avait fait entendre la troisième symphonie, les œuvres du maître autrichien n’avaient pas une fois reparu dans nos concerts ; comme tout s’oublie vite, et qu’il y a quatorze ans de cela, on ne connaissait plus chez nous que le nom — et encore ! — de celui que l’Allemagne considère aujourd’hui comme un des plus grands musiciens de l’époque moderne. M. L. Hasselmans a voulu combler cette lacune, secouer notre indifférence à l’égard de Brückner et nous a révélé une de ses symphonies les plus monumentales : événement musical important. Le jeune chef d’orchestre a magnifiquement mené à bout cette entreprise : son excellente exécution chaleureuse, lyrique, intelligente et précise suffira-t-elle à amener le public français au culte de Brückner ? À vrai dire, j’en doute un peu, et je le regrette ; mais ce n’est pas impossible. Il en sera peut-être de la France comme de l’Allemagne, où Brückner ne s’est pas imposé du premier coup ; il y fut longtemps, non seulement ignoré, mais méprisé et haï ; sa mort même ne désarma pas l’hostilité générale ; il n’y a guère plus de quatre à cinq ans que le vent a tourné. Aujourd’hui, il est pour l’Allemagne le « symphoniste de l’avenir », il entre dans la gloire. Ce revirement s’est produit dans des conditions si singulières, si paradoxales, que pour en saisir toute la saveur, il est nécessaire de donner sur la vie et l’œuvre du maître quelques brèves indications.
Anton Brückner, né à Ansfelden, en 1824, est le seul parmi les grands musiciens qui soit presque entièrement autodidacte. Son père, pauvre maître d’école d’un village de la Haute-Autriche, lui enseigna tout ce qu’il savait de musique. — pas grand chose : les rudiments — ; jusqu’à l’âge de 33 ans, Brückner n’eut pour ainsi dire pas d’autre maître. Ces trente trois premières années de sa vie furent misérables et difficiles. Recueilli par charité, il fut successivement enfant de chœur, maître d’études suppléant, organiste provisoire au chapitre de Saint-Florian ; sans se laisser décourager par ces débuts pénibles, Brückner travaillait sans relâche. Enfin, en 1856, il passa un brillant concours, et fut nommé peu de temps après organiste à la cathédrale de Linz. Cette situation sinon lucrative, du moins indépendante, lui permit de se rendre de temps en temps à Vienne, pour travailler le contre-point avec Sechter et la composition avec O. Kitxler. Quelques années plus tard, à la mort de Sechter, la recommandation d’amis dévoués le fit nommer organiste de la chapelle de la cour à Vienne ; puis professeur de composition, d’orgue et de contrepoint au Conservatoire de cette ville. Il conserva ces fonctions jusqu’à sa mort qui survint en 1896 ; il avait composé, outre un quintette à cordes, une cantate pour chœur d’hommes, trois messes et des morceaux de musique religieuse, neuf grandes symphonies.
Voilà bien, n’est-il pas vrai, la vie la moins romanesque et la moins agitée, la plus sereine et la plus paisible qui soit ; c’est un peu la vie de César Franck chez nous, vie noble et digne, vie pieuse et mystique, partagée entre la tribune de l’orgue, et la chambre où le maître enseignait ses élèves, selon son cœur. Brückner et Franck furent les hommes de cette vie ; leur modestie et leur bonté sont pareilles, de même que leur esprit et que leurs cœurs. La persécution ne s’attacha pas à Franck comme à Brückner ; mais il est probable que le « Pater seraphicus » l’eût supportée comme « le bon vieil Anton », avec douceur et simplicité. Car la vie de Brückner ne fut paisible qu’à la surface ; Brückner fut persécuté, littéralement persécuté, et cela depuis le jour où il arriva pour la première fois à faire jouer une œuvre de lui : c’était en 1884, le musicien avait 60 ans, et c’était déjà sa « septième » symphonie ! La guerre commença aussitôt.
Les rares ouvrages français qui consacrent à Brückner une notice biographique toujours très courte, disent simplement : « Il fut très discuté ; dans l’Allemagne du sud, on l’opposa à Brahms, apprécié surtout dans l’Allemagne du nord. » Cela n’est exact qu’en apparence ; en tout cas, c’est insuffisant. Il est certain qu’on l’opposa à Brahms, ou plutôt que Brahms lui fut opposé ; mais il ne faudrait pas croire que la persécution musicale dirigée contre Brückner soit née d’une lutte de l’esprit musical allemand contre l’esprit musical autrichien : elle est uniquement née d’une lutte nationaliste et religieuse. Brückner était ardent catholique, et bon allemand, mais pas allemand dans le sens prussien, dans le sens « Los von Rom », allemand autrichien et ultramontain. Après le bon Dieu, auquel il dédia sa 9e symphonie, (dem lieben Gott,) le vieil organiste ne tenait à rien tant qu’à son Autriche. Ses opinions étaient trop connues et trop nettes ; il ne les avait pas affichées, mais sa vie si franche, si « transparente », les avait démontrées : toute la bande juive, protestante, universitaire, libre-penseuse de Berlin, se dressa immédiatement contre lui… L’art, qui n’a pas de patrie, devrait encore moins avoir de parti ; en France, les antipathies musicales sont — ou ont été — quelquefois aussi, dictées par des motifs tout à fait étrangers à l’art, cela est très regrettable ; mais chez nous, au moins, ces antipathies n’ont jamais dégénéré en lutte, encore moins en persécution, marquée surtout de ce cachet de férocité et de haine qui a caractérisé la cabale menée contre Brückner. Ce fut Hanslick, haineux porte-parole de Brahms et de son clan judéo-allemand qui mena la chasse ; il y mit un acharnement incroyable, et fut réellement le bourreau de l’humble compositeur. Il ne discutait pas, il injuriait ; il ne critiquait pas seulement les œuvres, il insultait leur auteur : il trouvait ainsi de plus nombreuses occasions d’assommer son adversaire, car l’animosité du prince des critiques contre le musicien, ayant effrayé les chefs d’orchestre, on ne jouait guère la musique de Brückner. « Il ne s’est peut-être pas entendu dix fois à l’orchestre », dit M. W. Ritter. Cette lutte discourtoise manquait d’autant plus de générosité et de noblesse, que Brückner était lui-même d’une modestie et d’une délicatesse extrêmes. Bafoué, vilipendé, il demeurait sans défense, un bon sourire aux lèvres, un peu triste cependant. Il croyait si peu à la méchanceté de ses adversaires, qu’il ne mit jamais en doute leur bonne foi ; il finit une fois par se persuader que leurs attaques étaient justifiées, et, modestement, il brûla une dixième symphonie qu’il venait d’écrire, se croyant sincèrement un imbécile en musique ; on le lui avait reproché si souvent. Il en souffrait d’ailleurs moins dans son orgueil que dans sa dignité. Un jour, après l’audition d’une de ses symphonies à Vienne, Brückner fut reçu en audience privée par l’empereur ; celui-ci qui estimait le caractère de l’homme autant que le génie de l’artiste, lui demanda : « Que puis-je faire pour vous ? » Le bon Brückner ne trouva d’abord rien à répondre ; mais se souvenant qu’Hanslick venait de faire sur lui un article encore plus violent que d’habitude, dans lequel il était dit qu’une salle de concert avait été souillée par sa musique, il formula seulement ce vœu charmant : « Sire, obtenez que M. Hanslick, lorsqu’il parle de moi, soit un peu plus objectif ».[1]
À la mort de Brückner, et surtout à celle de Hanslick, la lutte cessa d’exister. Les élèves du maître, Lœwe, Gollerich, etc, peu à peu firent entendre cette musique si longtemps méprisée. Linz fut le berceau de ce culte nouveau. Un festival Brückner y fut organisé en 1902 ; en 1904, la même ville vota une rente, destinée à subvenir aux frais d’exécution des œuvres de Brückner, par la société musicale de Linz, pendant un période de vingt années. Ce revirement fit rentrer en eux-mêmes les anciens adversaires du maître défunt. Les chefs d’orchestres du nord, qui avaient aboyé contre lui à la suite de Hanslick, tentèrent de s’annexer le vieux compositeur ; bonnes âmes, ils se hâtèrent de passer l’éponge sur les querelles d’autrefois, et aujourd’hui, le mot est donné : par tous les moyens, on veut arracher Brückner, comme on l’a fait de Beethoven, à toute religion de forme définie, en particulier à celle pour laquelle il souffrit la persécution ; et oubliant ou ignorant qu’il faut, pour interpréter exactement sa musique, comprendre, sinon partager son sens catholique, le parti judéo-allemand s’est approprié l’admirable et déconcertant bonhomme. Dans quelques années, il sera persuadé l’avoir découvert et l’avoir soutenu toute sa vie. C’est toujours amusant.
Quoiqu’il en soit, Brückner mort conquiert aujourd’hui l’Allemagne, et par un juste retour des choses d’ici bas, prend la place de Brahms dans la fameuse trinité des B. Et mieux on le connaît, plus on voit clairement qu’il était inutile de recourir à des griefs politiques ou religieux pour l’opposer au musicien de Hambourg. Brahms, classique de seconde main, a continué Beethoven, comme une photographie sèche et précise continue un paysage plein de vie. Privé de toute émotion intérieure, il prétend néanmoins à la profondeur ; mais c’est par le moyen de cette « complication pâteuse et vainc, qui n’est qu’une forme difficile de la facilité » ; et il se perd dans une nuageuse emphase, dans une sentimentalité fade, dans une lourde redondance où sombrent les substantielles qualités de la musique allemande d’autrefois. Brückner, tout débordant d’une noble sensibilité., a dépouillé l’appareil extérieur et personnel de la tradition classique ; mais quoique libéré, il en reste le fils. Il n’a pas pris comme Wagner « le torrent de la symphonie pour le jeter dans le lit du poème dramatique » ; il a laissé dans son lit (sic) le torrent symphonique, mais il l’a formidablement élargi. Extérieurement d’abord. Les symphonies de Brückner sont la première indication ou le premier exemple de cet art gigantesque, anormal, qui fait éclater les orchestres, les heures et les nerfs, de ce style « kolossal » qui sévit aujourd’hui en Allemagne, favorisé par un dédain du temps, de la mesure et du goût, si bien congénital à la race qu’un esprit sacrilège pourrait en relever des traces dans le grand J.-S. Bach lui-même. Assurément Brückner a été dépassé, et les musiciens allemands d’aujourd’hui, Gustav Mahler par exemple, écrivent des symphonies ou des poèmes symphoniques dont les dimensions sont beaucoup plus considérables ; certaines symphonies récentes ont une durée qui dépasse deux heures, et leur orchestration comprend tellement d’instruments de familles différentes que le format de leur partition d’orchestre doit ressembler à celui du grand livre de la dette publique.
Tout en étant moins démesurées, les symphonies de Brückner n’en ont pas moins une longueur respectable ; plusieurs d’entre elles, la 5e la 8e et la 9e, surtout si l’on fait suivre cette dernière de l’immense Te Deum qui en est la conclusion chorale rêvée par le compositeur, méritent de remplir un concert tout entier. C’est là d’ailleurs, d’après M. William Ritter, brücknérien fervent, la vraie façon de les faire entendre, et c’est ainsi que les donnent en Allemagne les chefs d’orchestre qui sont entrés le plus profondément dans leur absolue compréhension. Les symphonies de Brückner ont en général la forme classique ; la 9e est inachevée, et Brückner exprima dans son testament le désir que son Te Deum en formât la quatrième partie ; mais toutes les autres possèdent les quatre parties traditionnelles qui se succèdent dans l’ordre habituel. Le premier mouvement de la 5e, suivant un exemple donné par Beethoven dans un de ses derniers quatuors, est formé par un adagio alternant avec un allegro. C’est la seule exception ; toutes les autres symphonies suivent à peu de chose près la division ordinaire. En revanche le développement brise à chaque instant les étroites règles classiques ; les idées de Brückner sont trop frémissantes de vie : elles échappent sans cesse au frein de la tonalité, et le musicien n’a plus l’air de suivre que sa fantaisie ; sa richesse d’invention est extraordinaire, et souvent il ne sait pas la modérer ; ses idées mélodiques, qui ont une tournure quelque peu wagnérienne, sont d’une belle ampleur passionnément religieuse : « On pense à du Wagner, dit M. W. Ritter, à toute la passion de Wagner déversée dans les interminables frises pompeuses des rubriques de Handel ». Mais leur longueur est telle qu’on ne sait le plus souvent où finit le thème, où commence le développement. Tout cela, fantaisie du développement, luxuriante abondance des épisodes, longueur exagérée des thèmes, déconcerte et donne parfois une impression d’incohérence, d’illogisme, de gaucherie et de vide ; même parfois aussi, et le plus fréquemment, l’impression du génie tout puissant, et vainqueur souvent des règles étroites qui cherchent à le brider.
Les Allegros sont admirables, soit qu’ils mettent aux prises comme celui de la 8e symphonie un thème chevaleresque, héroïque et fier avec plusieurs thèmes de fatalité » de douleur et de mort ; soit qu’ils chantent, enfiévrés de passion religieuse, le tragique combat des puissances des ténèbres contre les puissances du jour, ou qu’ils se précipitent, exultant de la joie auguste « d’un St-Jean écrivant une apocalypse qui serait claire et rayonnante. » Les Adagios sont des prières lentes, ferventes, des extases mystérieuses, des ravissements mystiques, des souvenirs mélancoliques et doux ; celui de la 8e est une symphonie funèbre et triomphale d’une beauté épique ; et les Scherzos ont une violence inouïe qui n’a d’équivalent que dans ceux, de Beethoven ; le scherzo de notre symphonie est un des plus caractéristiques. Les brücknériens croient que leur maître a voulu peindre les ébats grossiers et les danses lourdes du paysan d’Autriche. C’est une phrase de Brückner qui justifie pour eux cette interprétation. Der deutsche Michel traümt ins Land hinaus, a-t-il dit du trio du scherzo. Par Deutsche Michel le maître entendait le bon et brave paysan qu’il avait connu dans sa province natale, et qu’il avait mis, le bizarre et pieux musicien, sous l’invocation de « son meilleur ami, l’archange saint Michel ». De fait, ce thème martelé, si simple et d’allure si populaire (on pense aux notes si comiquement paysannes du basson dans la danse des villageois de la Pastorale, mais ici elle n’ont pas le même air placide, et sont emportées dans un furieux élan), ces octaves massives qui ont l’air de fouler lourdement le sol, évoquent bien l’idée d’une danse villageoise, qui bondit, s’échauffe, et court jusqu’à l’essoufflement. Et le trio est une rêverie délicieuse, en pleine nature ; de lointaines sonneries de cor prolongent jusqu’à l’infini l’horizon verdoyant. Quant aux Finales, a part celui de la 4e symphonie (Romantique) qui est une chasse étincelante et vertigineuse, Brückner en a fait de prodigieuses apothéoses ; ils sont l’éclatant aboutissement de toute la symphonie. « Tout (dans le cours de la symphonie), dit M. W. Ritter, est tenu dans une perpétuelle fluctuation des pianissimo les plus moites, les plus subtilement estompés, à un forte chaleureux, ample et sourd, très ménagé, de façon à aboutir par des gradations d’une délicatesse qui les rend à peine sensibles, des gradations qui évoluent dans l’amplitude la plus magnanime, à l’excessif du finale où l’on atteint à une intensité de fournaise et d’éblouissement, à la plénitude d’exaltation enfin, portée comme sans s’en douter par une marée immense qui a duré tout le laps de la symphonie. Le déluge dut monter ainsi… Et ce n’est pas autrement que cuit du lait… » Dans la finale de la 8e symphonie, construit sur deux thèmes, l’un religieux et liturgique, l’autre guerrier, une progression titanique aboutit à une solennelle apothéose : les thèmes des quatre parties de l’œuvre y réapparaissent simultanément, magnifiés, sublimés, et comme purifiés à la flamme ardente d’un brasier.
M. L. Hasselmans, je l’ai déjà dit, a donné de cette œuvre monstre, une interprétation des plus remarquables en elle-même, et qui l’est encore plus si l’on songe que pour jouer les symphonies de Brückner, il n’existe ni tradition, ni indication d’aucune sorte. Brückner lui-même n’avait aucune idée bien précise sur leur exécution, ni d’intentions bien arrêtées sur leur mise au point ; il ne s’entendait jamais à l’orchestre, et composait ses œuvres magistrales un peu comme Beethoven sourd composait ses derniers quatuors. Il y a actuellement en Allemagne deux écoles de chefs d’orchestre brücknériens ; les uns représentent la littéralité, les autres l’interprétation. Car il faut souvent choisir entre les deux. On remarque en effet dans l’orchestration d’abord (qui d’ailleurs est admirable, ample, souple et fluide), des défectuosités étranges, telles qu’il faut passer outre des indications, sur des choses soit inexécutables, soit contradictoires, c’est-à-dire gâchant l’effet pour lequel elles sont écrites ; il y a ensuite ces contradictions fréquentes de style et d’écriture que je n’ai fait qu’indiquer plus haut, ce conflit perpétuel entre le génie qui cherche à s’évader, et le «schulmeister » consciencieux qui se raccroche aux antiques lois : lutte émouvante, mais qui donne à l’œuvre des heurts désagréables et lui enlève parfois l’unité de son caractère. En Allemagne, M. Gollerich représente la littéralité, et M. Westarp l’interprétation, encore plus dans le sens Brückner que Brückner lui-même n’aurait osé s’y jeter, sous prétexte que le maître a été continuellement entravé en tout, pour tout et par tous, ce qui est vrai. L’exécution de M. Hasselmans, tout en demeurant aussi respectueuse que possible du texte, a été dirigée plutôt dans le sens de l’interprétation ; et il faut féliciter l’excellent chef d’orchestre d’avoir tenté de nous faire pénétrer dans l’âme candide, héroïque et sainte du vieux Brückner.
- ↑ « Une lettre est une âme », dit quelque part Balzac. Voici une lettre de Brückner à M. Félix Mottl, l’illustre Kapelmeister. Si l’on songe que Brückner avait plus de 60 ans lorsqu’il l’écrivit, on sera surpris de son caractère candidement juvénile, et de la naïveté de l’enthousiasme qui s’en dégage. Il s’agit de la 7e symphonie, en mi majeur, celle qu’Hanslick avait surnommé « trémolo-symphonie », comme il avait baptisé « pizzicato-symphonie », la 5e en si bémol, la plus belle peut-être, la plus haute, la plus brücknérienne ; pour déprécier ces œuvres et empêcher qu’on les prit au sérieux. L’adagio en ut dièse mineur, dont il va être question, est une sorte de marche funèbre à la mémoire de Wagner. (Encore un grief du parti Brahms contre Brückner, cette admiration pour l’auteur de Parsifal) ! Voici la lettre :
« Cher vieil ami, cher jeune ami ! Noble Kapellmeister de la Cour ! Ce doit être le bon Brückner, vas-tu dire ; bien deviné, c’est justement lui. Écoute : le professeur Riedel, de Leipzig, m’a demandé si je voulais consentir à laisser exécuter au festival de l’Association des musiciens allemands, qui doit avoir lieu le 30 mai, à Carlsruhe, l’adagio de la 7e symphonie. Liszt et Standthartner m’y engagent. Tu es dans cette circonstance, le personnage principal.
1o L’orchestre n’est-il pas trop mal disposé pour moi ? 2o As-tu les nouveaux tubas, les mêmes qui ont servi dans les Nibelungen, ou si tu ne les as pas, peux-tu te les procurer ? 3o Voudras-tu, comme l’ont fait MM. Lévi et Nikisch, consacrer ton moi artistique tout entier pour ton vieux maître qui t’a toujours tenu en grande affection, et étudier et diriger cet adagio avec les tubas et la musique funèbre pour le compositeur défunt, comme s’il s’agissait de ton propre ouvrage ? Si mon cher Mottl me promet cela et m’en donne sa parole d’honneur, alors, hourrah : hourrah : hourrah ! tout va bien, et je puis faire envoyer les parties. Les 4 tubas sont très essentiels, et aussi le tuba contrebasse. Je pense que nous serons contents tous les deux. Ma détermination repose en ce moment dans tes mains. Sois salué de tout cœur, et embrassé par celui qui te tient en la plus haute estime et reste ton
A. Bruckner.Vienne, le 17 avril 1885.