leur honneur, la magistrature et le barreau de Paris ont regardé comme un des devoirs imposés par la défense nationale de rester à leur poste et de continuer à servir les grands intérêts de la justice. Un lien de plus les aura rapprochés dans cette triste période, celui qui s’est formé entre eux en face de l’ennemi. Ce fut d’abord le jeune barreau qui répondit au premier signal. En un instant, il se fit au maniement des armes, et souvent à l’audience la robe de l’avocat dissimulait assez mal la tenue du garde mobile. Qu’est-elle devenue, cette jeune et vaillante phalange ? Une partie, celle qui suivit l’armée au loin, a largement payé sa dette, car ceux-là qui ne sont point tombés à côté du drapeau se trouvent à cette heure les prisonniers de la Prusse. Une autre partie a combattu sous nos yeux avec l’armée parisienne, et nous savons de quelle manière a été appréciée par nos chefs militaires sa brillante conduite. Si les noms de Bonnier-Ortolan, Filhos, Paul Ducamp, nous viennent seuls à cette heure à l’esprit, il en est bien d’autres. Là encore combien sont restés sur le champ de bataille ! Le bâtonnier de l’ordre qui leur a rendu les derniers devoirs nous le dira bientôt. Citons toujours Lecour et Léon Guillard. Combien en ce moment même sont étendus sur le lit de douleurs ! C’est Victor Lefranc, c’est Lecomte. Viennent encore de jeunes combattans dont les noms sont chers au barreau, Gabriel Dufaure, George Nicolet, André Colmet-d’Aage, Poyet, Saglier, René Millet. À côté de cette jeune armée, le vieux barreau et la magistrature n’auront point été inactifs ; plus d’un magistrat a montré qu’il savait aussi bien porter les armes que la toge ; des distinctions particulières ont été décernées à MM. Robinet de Cléry et Georges Potier, et dans la pensée de celui qui en était l’heureux dispensateur, comme dans l’estime de l’opinion publique, l’éclat de ces récompenses rejaillissait sur la magistrature entière ! Que le barreau et la magistrature, liés de longue date par le devoir, le soient donc aussi désormais par le souvenir de cette malheureuse campagne ; mais qu’ils n’oublient pas non plus les enseignemens du passé, car l’un et l’autre auront, dans une certaine mesure, payé tribut aux énervantes doctrines de l’empire : le barreau, par ces bruyantes et hautaines personnalités qui sont montées aux affaires pour y compromettre leur ancien attachement à la liberté, — la magistrature, par certaines défaillances qui ont parfois entamé sa vieille austérité aux yeux du pays. Tous ces souvenirs seront salutaires ; ils préparent pour l’avenir, nous le croyons, une plus étroite union, une plus complète solidarité entre la magistrature et le barreau, au profit de la justice.
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Jules Le Berquier.