ne cultivait que la littérature de la France, et il a manié notre langue comme l’instrument le plus familier de sa pensée. Le siècle de Louis XIV n’a pas eu de plus grand admirateur que Frédéric ; la vieille politique française lui était même profondément sympathique. Le premier roi de Prusse, écrit-il quelque part, était rempli d’une haine aveugle pour tout ce qui était français, et malgré son respect pour son aïeul, le grand-électeur, il ne craint pas, quand il le compare à Louis XIV, de dire que ce serait mettre en parallèle les foudres de Jupiter et les flèches de Philoctète. Il reproche à la maison d’Autriche d’avoir fomenté l’hostilité des princes allemands en créant le fantôme de la monarchie universelle de Louis XIV, avec lequel elle ensorcelait la moitié de l’Europe. L’Allemagne, ajoute-t-il, fut souvent émue par cette machine puérile, et plongée dans des guerres opposées à son intérêt.
La révolution française et les excès de 1792 décidèrent la Prusse, trompée par l’émigration, à une manifestation peu sensée dont elle ne tarda pas à reconnaître l’erreur. Après la paix de Bâle, elle fut fidèle à l’alliance française jusqu’en 1805. Alors les craintes qu’inspirait l’ambition de Napoléon la jetèrent dans une direction opposée. Sa politique fut incorrecte à l’époque d’Austerlitz, et mal inspirée au moment de la rupture de 1806, laquelle fut, à vrai dire, son ouvrage. Elle expia sa témérité à Iéna, mais le vainqueur fut immodéré à Tilsitt, et manqua tout à la fois à la saine politique et à la générosité. La Prusse a moins gardé rancune d’Iéna que de Tilsitt. Le grand Frédéric aurait pu être vaincu à Iéna ; il n’en fût pas moins resté grand. La Prusse avait trouvé à Iéna un capitaine dont elle reconnaît bien la supériorité, puisque depuis lors c’est du grand art de Napoléon qu’elle a fait l’objet de son étude constante et soutenue ; mais elle n’a point pardonné Tilsitt, et c’est de Tilsitt qu’elle a poursuivi la vengeance en 1813. Ces souvenirs étaient déjà bien éloignés en 1870. Cependant le parti militaire s’en est fait à Berlin une arme nouvelle, et le développement formidable de la puissance prussienne sert à consolider un agrandissement politique dont l’Europe appréciera les résultats. Dans cet immense soulèvement des passions qu’a si habilement dirigé M. de Bismarck, les règles et les traditions sacrées du droit des gens ont été étouffées ; il est temps que le torrent débordé rentre dans son lit. La civilisation y est intéressée. Si la France follement gouvernée a succombé dans la lutte, qu’elle se rassure, son honneur est sauf ; le siège de Paris l’a relevé aux yeux du monde. Espérons que les conseils de la sagesse prévaudront maintenant dans le règlement définitif d’un conflit qui aurait pu, qui aurait dû être évité.