terre, et que faut-il attendre de l’avenir, qui se montre à nous dans un horizon aussi sombre ? Telles sont les questions qui se pressaient dans notre âme agitée au bruit lugubre du bombardement furieux et inouï dont était l’objet l’une des capitales de la civilisation moderne défendant ses foyers et son honneur, brusquement assaillie par cette attaque meurtrière, sans avoir été avisée, même quelques heures à l’avance, selon les pratiques des nations policées, pour mettre à l’abri les vieillards, les femmes, les enfans, les malades. Nous n’avions jeté nos bombes sur Sébastopol que trois jours après en avoir averti la population. Le droit des gens est-il donc perdu pour l’humanité ?
Avant d’examiner et de résoudre ces problèmes de tristesse, disons-nous qu’il est dans la vie des peuples, comme dans la vie des individus, des momens suprêmes où, à la face du monde qui nous observe et comme en présence de la postérité qui nous juge, les plus grands sacrifices, les plus fermes résolutions, les plus absolus dévoûmens, sont imposés par l’amour de la patrie, par le devoir du citoyen, par l’honneur national. Je me souviens de la stupeur sympathique que produisit en Europe la nouvelle de l’incendie de Moscou, et du trouble que cet événement jeta dans la conscience française elle-même. Ce fut partout, en France comme ailleurs, un funeste pressentiment, et pour notre malheur nous n’y fûmes pas trompés. Il y a deux siècles aujourd’hui, une autre grande capitale était sur le point de succomber devant un ennemi formidable. Louis XIV, alors dans tout l’éclat de la jeunesse et de la gloire, emporté par le ressentiment d’une injure personnelle et de plusieurs mécomptes politiques, envahissait la Hollande et menaçait Amsterdam. Les armées de la France étaient commandées par Condé, Turenne et le roi en personne. Rien ne résista d’abord à nos armes. Le Rhin opposa vainement la barrière de ses eaux. Les villes terrifiées ouvrirent leurs portes : autant de places abordées, autant de forteresses prises ; autant de troupes rencontrées, autant de troupes battues ; le découragement et l’effroi paralysaient toute défense, et l’armée royale était arrivée en une marche triomphale sous les murs de la capitale de la Hollande. Il ne restait à la république des Provinces-Unies, si puissante la veille, que sa flotte et Ruyter, son amiral. À bord de ses navires, toutes les richesses nationales furent entassées, et la capitale orgueilleuse du commerce européen sembla vouée à la ruine. Elle offrit un traité avantageux au vainqueur, qui, enivré du succès, fut sourd aux conseils de la sagesse ; alors la Hollande désolée, cédant à un mouvement héroïque de patriotisme désespéré, ouvrit toutes les digues qui la défendaient contre la mer, et engloutit dans les eaux le pays qu’un travail de plusieurs siècles avait conquis sur elles. S’abîmant dans les flots d’où elle était sortie,