vote, c’était M. Wade, président du sénat, qui en cas de condamnation recueillerait la succession de l’accusé, et qui ne pouvait être juge dans une cause où ses intérêts étaient engagés. Enfin, après plusieurs jours de discussions aigres et laborieuses, les radicaux prirent le dessus : le juge Chase fut privé de son vote, les six managers ou conducteurs de l’accusation furent introduits à la barre, et la haute cour d’impeachment évoqua solennellement le procès de la chambre des représentans contre le président des États-Unis.
Les managers espéraient aller vite en besogne. En occupant son siège en face de la cour, Thaddeus Stevens avait prononcé une harangue hautaine où il défiait les sénateurs de repousser l’accusation. Il s’aperçut bientôt qu’il fallait tenir un autre langage, et que le succès était déjà compromis par les premières lenteurs de la procédure. Une grande hésitation régnait dans les rangs des modérés. Encouragés par l’attitude impartiale du chief-justice Chase et par son désir évident de faire échouer l’affaire, les conservateurs reprenaient courage, et ne se trouvaient plus aussi faibles qu’ils l’avaient pensé. Plusieurs des sénateurs républicains les plus distingués annonçaient qu’ils ne voteraient point tous les articles de l’accusation. Il ne s’agissait plus d’emporter la condamnation par surprise, il fallait la conquérir lentement, pièce à pièce, intriguer et menacer sans relâche, s’assurer les voix une à une, circonvenir les hésitans, intimider les défectionnaires, acheter même au besoin les traîtres ; il fallait surtout faire ajourner le jugement jusqu’à ce que la majorité fût certaine.
Pendant deux mois entiers, les radicaux et les démocrates se disputèrent avec acharnement les quatre ou cinq voix douteuses d’où dépendait le sort du jugement. Pendant deux mois, ces quatre ou cinq hommes honnêtes se virent soumis à l’épreuve la plus pénible et la plus rude pour leur vertu. Dénoncés dans tous les journaux radicaux comme des traîtres, menacés par leurs électeurs, tourmentés dans le congrès lui-même par leurs collègues plus impatiens, ils n’avaient à opposer à ces sollicitations passionnées ou à ces calomnies grossières que le sentiment de leurs devoirs de juge et le scrupule d’une conscience lente à se décider. Le journal de M. Horace Greeley, la Tribune, les appelait de « lâches apostats » et des laquais de la Maison-Blanche. On demandait publiquement combien ils avaient reçu pour trahir. En vain quelques personnes d’un sens plus calme et plus élevé s’indignaient de ces odieuses atteintes portées à la dignité du juge : la passion du parti radical voulait se satisfaire à tout prix, et elle poussait quelquefois l’importunité jusqu’à la maladresse. Plusieurs sénateurs assez bien disposés pour le projet d’impeachment, mais résolus à voter librement et à prendre leur rôle de juge au sérieux, avaient été rebutés par les