47^ LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
gravement, avec importance et admiration. On retrouve cepro- vincialisme émerveillé dans toute son œuvre, dans laquelle tout n'est que convention prétentieuse. Puisque nous parlons de Molière, M. Paul Bourget c'est le bourgeois gentilhomme en littérature.
J'arrive enfin au vrai sujet de cette chronique. Le Théâtre du Vieux-Colombier, pour célébrer le Tricentenaire de Molière, a joué le Misanthrope. De son côté, M. Lucien Guitry a voulu jouer Alceste. C'est de ces représentations que j'ai à rendre compte. Auparavant, je céderai la place à mon vieil ami l'ama- teur de théâtre, que je vous ai présenté récemment. Vous avez vu qu'il m'a parlé de certaines pièces de Molière. 11 m'a aussi parlé du Misanthrope et là également j'ai noté de mon mieux ce qu'il disait. J'ai recherché mes feuillets, je les ai mis au net et je les reproduis ici, comme j'ai fait pour les premiers. S'il y a des trous, c'est que mon vieil ami, heureux de parler et de s'écouter parler, parlait très vite et que je n'arrivais pas toujours à le suivre. Il est certainement plus agréable, et il connaît mieux Molière, que M. Paul Bourget.
« Le Misanthrope ! Une des plus grandes œuvres de notre théâtre, un des rôles de ce théâtre les plus difficiles à jouer ! Savez-vous bien qu'Alceste, c'est Molière en personne ? Mais oui ! Vous me direz que je n'en sais rien ? Je vous dirai pourtant que c'est vrai. C'est lui, c'est sa bonté, c'est son esprit, c'est sa gravité, c'est le ton qu'il avait pris dans l'in- timité du prince de Conti et dans le particulier du roi. C'est son amour pour cette créature si jolie et si coquette qui l'a rendu si malheureux. C'est cette jalousie qu'il cachait et qu'il se reprochait. Le Misanthrope, c'est Molière tout entier.
ce On disait alors qu'Alceste c'était M. de Montausier. Celui- ci répondait que si c'était vrai, c'était pour lui beaucoup d'hon- neur. Il avait raison. Il y a dans ce caractère si loyal et si franc .quelque chose de plus qu'un grand seigneur honnête homme, mécontent et frondeur. Il y a un homme de grand mérite qui souffre, un philosophe qui observe et sait voir, un cœur désen- chanté et déçu pour jamais. Il y a aussi un homme excellent, très bon et dévoué, plein de bon sens même dans ses mou- vements excessifs sous l'empire de la colère ou de la passion, toutes qualités qui sont méconnues. Cet homme sait très
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