408 • LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
a été placée dans tel ou tel épisode. Cela fait penser aux boîtes de petits cubes colorés des mosaïstes.
Ce plan, qui ne se distingue pas du livre, qui en est la trame, en constitue un des aspects les plus curieux et les plus absorbants, car on ne peut pas manquer, si on lit Ulysse attentivement, de le découvrir peu à peu. Mais, quand on songe à sa rigidité et à la discipline à laquelle l'auteur s'est soumis, on se demande comment a pu sortir, de ce formidable travail d'agencement, une œuvre aussi vivante, aussi émouvante, aussi humaine.
Evidemment, cela vient de ce fait que l'auteur n'a jamais perdu de vue l'humanité de ses personnages, tout ce mélange de qualités et de défauts, de bassesse et de grandeur dont ils sont faits : l'homme, la créature de chair, parcourant sa petite journée. Mais c'est ce qu'on verra en lisant Ulysse.
Entre tous les points particuHers que je devrais peut-être et que je n'ai pas l'espace de traiter ici, il y en a deux sur lesquels il est indispensable de dire quelques mots. Le premier de ces points, c'est le caractère prétendu licencieux de certains passages d' Ulysse, ces passages qui ont provo- qué, aux États-Unis, l'intervention de la Société pour la Suppression du Vice. Le mot licencieux ne leur convient pas ; il est à la fois vague et faible ; c'est obscènes qu'il fau- drait dire. Joyce a voulu, dans Ulysse, représenter l'homme moral, intellectuel et physiologique dans son intégrité, et pour cela, il était forcé de faire entrer en ligne de compte, dans le domaine moral, l'instinct sexuel et ses diverses manifestations et perversions, et dans le domaine physiolo- gique, les organes de la reproduction et leurs fonctions. Pas plus que les grands casuistes, il n'hésite à traiter ce sujet, et il le traite en anglais de la même manière qu'ils l'ont fait en latin, sans aucun égard pour les conventions et les scrupules des laïcs. Son intention n'est ni grivoise ni sensuelle ; il décrit et représente, simplement ; et dans son livre, les manifestations de l'instinct sexuel ne tiennent ni plus ni moins de place, et n'ont ni plus ni moins d'im-
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