310 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
arrivait par dessus les herbages et les emblavures, il annon- çait :
— Mais demain, il va pieuvre.
Eugénie lui réclamait des explications : il les donnait d'une voix sourde où revivait un peu de joie. Elle contes- tait sur la foi d'un vague souvenir d'école, il se moquait d'elle. Se reportant à l'almanach, ils n'y comprenaient plus rien ni l'un ni l'autre.
L'hiver finissait. La neige fondait en une nuit au creux des sillons. La terre paraissait molle et lavée, reteinte. Les vents de Mars soufilaient, dispersant un parfum d'herbes. Les arbres des champs commençaient à reverdir et à refleu- rir. Les oiseaux reparlaient. Le jeune blé levait avec un frisson chaque matin plus ample. Et puis sonnaient les cloches de Pâques.
Les jours s'élargissaient sur le ciel. Le soleil d'abord rou- lait sur la cime même des peupliers de la rivière, puis un peu au-dessus : et s'étant couché en avril à peine au delà du passage à niveau, en mai il s'en allait jusque dans les bois. Les foins, l'avoine, le froment mûrissaient au signe des ressorts vigoureux du monde.
Le soir tombant, la grand'mère rentrait, soignait sa vache, faisait chauffer du lait pour le vieillard. Elleetl'enfant le mettaient ensuite au ht : il restait assis contre ses oreil- lers, ou plié à travers comme un dur chevron d'os, atten- dant.
Parfois, quelque visite, à cette heure-là, venait avec son aumône : une bonne femme du bourg, qui voulait un peu veiller et qui bavardait bas avec la grand'mère ou très haut avec le grand'père ; une petite fille de l'école, qui apportait un cahier ou une leçon à Eugé- nie, laquelle n'étudiait plus guère, au vif regret de l'institutrice. On permettait aux deux enfants de jouer dehors, mais elles ne jouaient pas, causant avec un sérieux bizarre de la classe, de la vieillesse, des champs, du temps. ^
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