et aux libres de dire verité. C’est la premiere et fondamentale partie de la vertu. Il la faut aymer pour elle mesme. Celuy qui dict vray, par ce qu’il y est d’ailleurs obligé et par ce qu’il sert, et qui ne craint point à dire mansonge, quand il n’importe à personne, n’est pas veritable suffisamment. Mon ame, de sa complexion, refuit la menterie et hait mesmes à la penser. J’ay une interne vergongne et un remors piquant, si par fois elle m’eschappe, comme par fois elle m’eschappe, les occasions me surprenant et agitant impremeditéement. Il ne faut pas tousjours dire tout, car ce seroit sottise ; mais ce qu’on dit, il faut qu’il soit tel qu’on le pense, autrement c’est meschanceté. Je ne sçay quelle commodité ils attendent de se faindre et contrefaire sans cesse, si ce n’est de n’en estre pas creus lors mesme qu’ils disent verité ; cela peut tromper une fois ou deux les hommes ; mais de faire profession de se tenir couvert, et se vanter, comme ont faict aucuns de nos princes, qu’ils jetteroient leur chemise au feu si elle estoit participante de leurs vrayes intentions (qui est un mot de l’ancien Metellus Macedonicus), et que, qui ne sçait se faindre, ne sçait pas regner, c’est tenir advertis ceux qui ont à les practiquer, que ce n’est que piperie et mensonge qu’ils disent. Quo quis versutior et callidior est, hoc invisior et suspectior, detracta opinione probitatis. Ce seroit une grande simplesse à qui se lairroit amuser ny au visage ny aux parolles de celuy qui faict estat d’estre tousjours autre au dehors qu’il n’est au dedans, comme faisoit Tibere ; et ne sçay quelle part telles gens peuvent avoir au commerce des hommes, ne produisans rien qui soit reçeu pour contant. Qui est desloyal envers la verité l’est aussi envers le mensonge. Ceux qui, de nostre temps, ont considéré, en l’establissement du devoir d’un prince, le bien de ses affaires seulement, et l’ont preferé au soin de sa foy et conscience, diroyent quelque chose à un prince de qui la fortune auroit rangé à tel point les affaires que pour tout jamais il les peut establir par un seul manquement et faute à sa parole. Mais il n’en va pas ainsi. On rechoit souvent en pareil marché ; on faict plus d’une paix, plus d’un traitté en sa vie. Le gain qui les convie à la premiere desloyauté (et quasi toujours il s’en presente comme à toutes autres meschancetez : les sacrileges, les meurtres, les rebellions, les trahisons s’entreprenent pour quelque espece de fruit), mais ce premier gain apporte infinis dommages suivants, jettant ce prince hors de tout commerce et de tout moyen de negotiation par l’example de cette infidelité. Solyman, de la race des Ottomans, race peu soigneuse de l’observance des promesses et paches, lors que, de mon enfance, il fit descendre son armée à Ottrente, ayant sçeu que Mercurin de Gratinare et les habitants de Castro estoyent detenus prisonniers, apres avoir rendu la place, contre ce qui avoit esté capitulé aveq eux, manda qu’on les relaschat ; et qu’ayant en main d’autres grandes entreprinses en cette contrée là, cette desloyauté, quoy qu’elle eut quelque apparence d’utilité presente, luy apporteroit pour l’avenir un descri et une desfiance d’infini prejudice. Or, de moy, j’ayme mieux estre importun et indiscret que flateur et dissimulé. J’advoue qu’il se peut mesler quelque pointe de fierté et d’opiniastreté à se tenir ainsin entier et descouvert sans consideration d’autruy ; et me semble que je deviens un peu plus libre où il le faudroit moins estre, et que je m’eschaufe par l’opposition du respect. Il peut estre aussi que je me laisse aller apres ma nature, à faute d’art. Presentant aux grands cette mesme licence de langue et de contenance que j’apporte de ma maison, je sens combien elle decline vers l’indiscretion et incivilité. Mais, outre ce que je suis ainsi faict, je n’ay pas l’esprit assez souple pour gauchir à une prompte demande et pour en eschaper par quelque destour, ny pour feindre une verité, ny assez de memoire pour la retenir ainsi feinte, ny certes assez d’asseurance pour la maintenir ;
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