Cours d’agriculture (Rozier)/IRRIGATION DES TERRES
IRRIGATION DES TERRES. Moyens de porter à volonté l’eau sur le terrain. Rozier ayant traité de l’irrigation des jardins, il ne s’agira ici que de celle des terres, et sur-tout des dessèchemens.
Irrigation des terrains desséchés. L’avantage de l’irrigation est immense pour ceux-ci, parce qu’alors on a presque toujours la faculté de varier la culture en prairies ou en céréales, suivant qu’on trouve plus d’avantage à vendre du blé ou des bestiaux.
L’irrigation est nécessaire dans ces sortes de terrains argileux ou bourbeux, parce que, dans les chaleurs, ils se retirent et se fendent en longues crevasses qui ne laissent entr’elles que des masses durcies et intraitables aux instrumens de culture, impénétrables aux plantes et aux influences météoriques.
C’est pour cela que j’ai recommandé, à l’article Dessèchement, de se ménager toujours un réservoir d’eau suffisant, dût-on sacrifier une partie du terrain pour y réserver les eaux nécessaires aux irrigations.
J’ai encore, dans le même article, donné les moyens de ménager les eaux, les pentes, les niveaux, par des écluses à poutrelles, des clapets, en un mot, de se rendre maître des eaux et de les diriger à sa volonté ; c’est un avantage précieux pour les dessèchemens, et dont ne jouissent pas toujours les autres terrains.
Irrigations dans les pays de plaine. Les pays plats ou de plaines n’offrent pas de sources dont le niveau soit plus élevé que celui du terrain. Nous ne pouvons pas créer l’eau à volonté, mais employer celle qu’offre la nature. L’on a proposé l’emploi d’un taraud qui perce la terre, jusqu’à ce qu’on découvre une source. La tarrière conduit en même temps dans le trou taraudé un tuyau qui donne passage à l’eau qui souvent s’élève à la surface du terrain, et y forme une fontaine.
Cette machine ingénieuse n’est pas encore assez éprouvée pour qu’on puisse en conseiller l’usage. D’ailleurs, l’eau ne peut remonter qu’autant qu’elle provient d’une source supérieure au terrain, autrement le taraud ne perceroit qu’un puits ordinaire.
S’il y a une source supérieure au terrain, autant vaut la découvrir et la faire circuler sur terre.
Ne rejetons point les découvertes qui paroissent utiles, mais ne nous y livrons pas aveuglément ; sur-tout, voyous si la nature ne nous fournit pas elle-même des moyens plus simples et moins dispendieux. Elle est le plus grand des artistes, et le plus sûr dans ses procédés.
Irrigations dans les pays montueux. Lorsque le terrain est dominé par des montagnes et collines, qui offrent toujours des courans d’eau, il est facile de les faire circuler ; mais on rencontre souvent une grande difficulté, résultant de la nature du sol qui absorbe l’eau, au lieu de la conduire plus loin. Tels sont sur-tout les terrains sablonneux et calcaires.
Les aqueducs, les conduits en pierre, sont trop dispendieux pour nous. Il faut creuser des troncs d’arbres blancs, de peuplier sur-tout, et les enterrer un peu profondément pour les préserver de l’action de l’air, de la pression des chars, charrettes, bestiaux, etc.
Mais comme le taraudage n’est pas à la portée de tous les cultivateurs, il suffit de scier ou fendre l’arbre par moitié dans toute sa longueur ; alors on ôte, avec une essette ou herminette de charron, le cœur du bois ; on rapproche les deux parties, on les contient avec des liens ou des chevilles de bois, et l’on a ainsi des tuyaux à bon marché, et qui durent trente ans.
Je ne connois point de moyens plus simples et moins dispendieux pour conduire l’eau dans les bassins qui la distribuent à la volonté du cultivateur, et selon la nature de chaque terrain, de chaque culture.
Ici l’intérêt de chacun doit le conduire.
La construction du bassin ou réservoir doit toujours être d’argile, de bonne épaisseur. Il ne faut recourir au ciment, au béton, que lorsqu’on est privé d’argile. Je dois cependant prévenir que les argiles ne sont d’un bon usage pour les bassins qu’autant qu’ils ne restent jamais totalement à sec, autrement, il faut repétrir, remanier l’argile, qui se retire et laisse des fentes par où l’eau s’échappe et se perd.
Machines à élever les eaux pour les irrigations. La plus simple est le chapelet ou noria ; (Voyez le Cours, Art. Puits à roues) mais l’usage de cette machine est difficile dans de grandes profondeurs, et au delà de dix mètres (ou trente pieds environ.)
La pompe foulante aspirante ordinaire, ne peut élever l’eau à plus de trente-deux pieds.
Le bélier hydraulique de M. Mongolfier est une machine tellement ingénieuse, qu’il a fallu, pour croire à ses effets, la voir marcher et agir ; mais elle est dispendieuse, ne peut être exécutée et entretenue que par des artistes habiles. Il faut la réserver pour les entreprises publiques, ou pour les jardins de luxe. On peut, par son moyen, obtenir avec la plus petite chute d’eau, des jets d’eau très-agréables, ou porter l’eau à de très-grandes hauteurs : mais je ne puis conseiller de confier cette machine aux mains inhabiles des habitans de nos campagnes. Au reste elle est si généralement, si honorablement connue aujourd’hui, que je me dispenserai de le décrire.
La planche II représente une machine très-simple pour élever des eaux à une grande hauteur.
Mais on ne peut dissimuler que tous ces instrumens hydrauliques ne sont utiles que pour des terrains de peu d’étendue, et ne procurent qu’un volume d’eau déterminé.
Le moulin ou polder hollandais est le moyen par excellence pour enlever les grandes masses d’eau ; mais il est bien peu de terrains en France qui puissent supporter la dépense de la construction et celle de l’entretien de cette machine. Il faut donc diriger toute son industrie vers les moyens de s’en passer.
Rozier, ayant parlé de l’irrigation des jardins, et les mêmes principes pouvant s’appliquer aux prairies de peu d’étendue, je me suis renfermé dans mon objet, l’irrigation des dessèchemens.
Je terminerai cet article par la description d’un compas très-simple pour donner une pente uniforme au terrain, aux canaux, aux saignées, sans recourir aux niveaux d’eau, etc. ; car nous n’oublierons jamais que c’est pour des cultivateurs que nous écrivons, et non pour des gens de l’art.
Nota. Le double levier de la figure 10 peut être brisé en petit E, de manière à ne se servir que d’un côté, si la pompe se dérange, ou qu’on ne veuille se servir que d’un corps de pompe.