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Drag

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Le drag est une forme de performance utilisant notamment le vêtement, le maquillage, la coiffure, et l'expression scénique afin de jouer un genre de façon volontairement exagérée : féminité (drag queen), masculinité (drag king) ou d'autres formes d'expressions de genre. Ces performances interviennent en particulier lors de drag shows.

Jack Brown, Présentation du Cake Walk à Paris »

L'histoire du drag se mêle à celle plus générale du travestissement. La journaliste française Apolline Bazin distingue trois grandes périodes[o 1].

La première correspond à la réinterprétation de moments historiques comme pouvant être lus comme une forme de drag, tels que les nombreuses mentions du travestissement dans l'antiquité et la mythologie grecque (Achille chez Lycomède, Heraclès et Omphale, ou les Bacchanales), le travestissement théâtral de la Grèce antique et du théâtre élisabéthain, ou le grand raffinement vestimentaire de la cour de Versailles[o 1],[o 2],[o 3]. La drag queen Nicky Doll y ajoute la lucha libre du Mexique[o 4] et le festival Navratri en Inde[1].

La deuxième période correspond aux arts du spectacle dont les caractéristiques sont proches de celles du drag ou à qui le drag sert de source d'inspiration, tels que le kabuki au Japon, l'opéra de Pékin en Chine, le vaudeville en France, la commedia dell'arte, les freak shows, le new burlesque et les minstrel show en Amérique du Nord, le théâtre shakespearien, la pantomine au Royaume-Uni[o 1] ou les carrières des actrices Sarah Bernhardt et Virginie Déjazet[o 5].

La troisième correspond à l'histoire spécifiquement drag, qui commence au XIXe siècle aux États-Unis avec William Dorsey Swann, né dans l'esclavage puis homme libre qui organise des bals de travestissement où se retrouvent très majoritairement des hommes eux-aussi sortis de l'esclavage[o 5].

Dessin d'Annie Hindle, New York Public Library

À la fin du 19ème siècle apparaissent aux États-Unis les male impersonator et female impersonator, qui correspondent aux transformistes en France, c'est-à-dire des personnes incarnant des personnages de l'autre genre sur scène ; la première male impersonator est Annie Hindle (en), qui rencontre un très fort succès populaire en raison de ses imitations d'hommes bourgeois et utilise son travestissement pour se marier d'abord avec son habilleuse puis avec sa collègue Louise Spangehl[o 5]. D'autres artistes marquent cette époque, comme Julian Eltinge et Ella Wesner (en)[o 5].

Apolline Bazin distingue plusieurs fondements du drag : le glamour, le camp, les drag pageant (en), la scène ball room[o 6], les cabarets[o 7], les icônes gays[o 8] et la haute couture[o 9].

Le glamour apporte au drag un certain rapport à la perfection qui est artificielle et fruit d'un travail conséquent de coiffure, maquillage et éclairage, ainsi qu'à un processus d'idéalisation, glorification et dramatisation proche de la sprezzatura[o 6].

le voguing est né dans la scène ballroom.

Pour le camp, il s'agit à nouveau d'un rapport à l'artifice, mais surtout à la distance critique par l'humour et la célébration des identités, particulièrement homosexuelles et trans, stigmatisées[o 6].

Dans les années 1960, Flawless Sabrina (en) organise en moyenne 46 drag pageant, concours de beauté en drag, faisant d'elle l'une des plus grandes employeuses de personnes queer des États-Unis[o 6]. En 1968, Crystal LaBeija est victime de racisme lors d'un ces concours et décide avec d'autres artistes Noires et Latinx de créer des espaces non-dominés par les blancs et fonde ainsi la culture ballroom[o 6]. Le concours Miss Gay America (en), créé en 1972, prend le pas sur les évènements de Flawless Sabrina et reste au 21ème siècle le pillier des drag pageant américains avec Miss Continental (en)[o 6].

La scène ballroom instaure de nombreux pilliers de la culture drag : les house, structures à la fois de transmission des compétences drag mais surtout système de solidarité particulièrement crucial pour les jeunes gays et trans exclus de leurs familles, le voguing, et les catégories, manières de permettre à toutes les personnes et sous-cultures d'être représentées[o 6].

Trouble dans le genre

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« Nous naissons nus ; le reste, c'est du drag. »
Citation de RuPaul[2]

En 1990, Judith Butler publie Trouble dans le genre, ouvrage majeur de la théorie queer. Judith Butler y reprend une idée développée par Esther Newton (en), à savoir que le drag montre que le sexe est une construction sociale absurde puisque chaque personne peut incarner un homme ou une femme : autrement dit, le genre est performatif[o 10]. Si Butler prend comme exemple le drag comme performativité et donc subversion de l'idée que le genre est une catégorisation naturelle, une réception de ses propos fait du drag le pillier de la subversion du genre ; cette réflexion influence durablement les artistes drag[o 10].

Types de drag

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Plusieurs découpes de l'art du drag coexistent, basées sur le type de personnage et de spectacle proposé.

La première classification est en fonction de l'expression de genre du personnage créé, qui peut être féminine (drag queen), masculine (drag king), dans le brouillage des genres (drag queer) ou selon une modalité autre (club kid, drag créature, drag monstre, drag clown, drag thing)[p 1],[p 2],[p 3],[p 4],[o 11].

La seconde classification, qui se superpose à la précédente, est fonction de ce qui est exprimé lors du drag show : parmi les drag queens, on distingue par exemple les pageant queen, fashion queen, les comedy queen et les glamour queen[o 12],[u 1].

Certains milieux socio-économiques vont favoriser un type de drag plutôt qu'un autre : ainsi, à San Francisco, les queen du Castro sont majoritairement portées sur le glamour, portant des perruques complexes et chères et un maquillage beauté et cherchant le plus possible une présentation ultra-féminine, tandis que celles du South of Market sont dans un style punk rock et genderfuck[u 2].

Transformisme

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Chad Michaels incarnant Cher à l'Austin's Pride Festival de 2012

Le transformisme est un type de travestissement où l'artiste imite une célébrité par le maquillage, la coiffure, les vêtements, l'attitude corporelle et le timbre de la voix[o 13]. Ce style de divertissement apparaît dès le début du XXe siècle dans les cabarets français[o 13]. Le genre suit ensuite deux évolutions différentes : en France, le spectacle transformisme comporte plusieurs célébrités incarnées par le même artiste ; ainsi Christophe, du cabaret Chez Michou, joue dans la même soirée Mireille Mathieu et Chantal Goya, ce qui implique de pouvoir réaliser des transformations rapides[o 13]. Aux États-Unis, en revanche, les artistes transformistes se spécialisent dans une seule personne, tel que Chad Michaels avec Cher ou Derrick Barry avec Britney Spears ; ils peuvent ainsi utiliser la chirurgie esthétique pour accentuer leur ressemblance[o 13].

L'inclusion du transformisme dans le drag fait débat : pour la franchise RuPaul's Drag Race, c'est le cas, et chaque saison inclut une épreuve de transformisme, le Snatch Game[p 5]. Pour d'autres drag et transformisme sont deux formes distinctes de travestissement : pour Patsy Monsoon, artiste drag et chroniqueur, le drag est l'art d'inventer un personnage, un avatar, tandis que le transformisme est l'art d'incarner[o 14].

Drag queer / drag creature

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Au cœur des actions collectives

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« L'enfer n'a pas de fureur telle celle d'une drag queen méprisée. »[note 1]
Réaction de Sylvia Rivera réagissant à une proposition du New York City Gay Rights Bill of 1986 (en) qui ignorait les personnes trans.
Marsha P. Johnson dans les années 1970

Dans Transgender Warriors, Leslie Feinberg explore l'histoire des luttes des personnes trans et travesties, ancêtres du dragtivisme[o 15]. Un des évènements d'avant le 20ème siècle relié à l'histoire du drag est ainsi les émeutes de Rebecca, où des paysans gallois se travestissent pour protester contre le montant des droits de péage[o 15].

Plusieurs émeutes et affrontements ont lieux dans des lieux fréquentés par les artistes drag et les personnes trans, travesties et gay dans la fin des années 1960 aux États-Unis, en réaction au harcèlement policier subi : les émeutes de Compton en 1967 à San Francisco, l'année suivante à la Black Cat Tavern (en) où performe José Sarria (en) et au New Face dans la même nuit, et la plus connue, les émeutes de Stonewall, où figurent le king Stormé DeLarverie et les queen Marsha P. Johnson et Sylvia Rivera, co-fondatrices du groupe militant Street Transvestite Action Revolutionaries et parmi les organisatrices des premières marches des fiertés[o 15],[3].

En France, au début des années 1970, le groupe des Gazolines jette les bases de l'utilisation de l'humour camp dans la communication militante avec happenings et slogans absurdes type « nationalisons les usines de pailettes ! »[o 15].

Lutte contre le sida

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Drag queen au crâne rasé, portant une grande fleur en papier rose sur la tête, une robe bustier gris perle, un ruban sur la poitrine, des boucles d'oreille pendantes de gros bracelets en fausse perle, est assise en amazone sur une décapotable et salue la foule, visible à l'arrière plan derrière des barrières, en souriant largement
Ongina lors de la marche des fiertés de San Francisco 2009

La pandémie de sida frappe durement les communautés drag et ballroom, emportant Dorian Corey (en), Hibiscus, Ethyl Eichelberger (en), Leig Bowery, Sylvester et Angie Xtravaganza (en)[o 16]. À la même époque apparaissent les sœurs de la perpétuelle indulgence, organisation politique qui, à l'image des Radical Faeries et des Cokettes, utilise le travestissement pour porter des messages, apporter du soutien face aux deuils, déconstruire l'homophobie intériorisée et récolter de l'argent pour les personnes LGBT+ les plus défavorisées, comme celles sans abris ou réfugiées[o 16]. Les sœurs réalisent aussi des cérémonies nuptiales et des baptêmes[o 16]. D'autres initiatives d'artistes, tels que le sidragtion en France, vises à récolter des fonds pour les personnes affectées par le VIH[p 6]

Dans les années 2010 et 2020, plusieurs drag queens révèlent publiquement leur séropositivité, contribuant ainsi à en atténuer le stigmate : Ongina lors de la première saison (en) de RuPaul's Drag Race, puis Charity Kase (en), Courtney Act, Panti Bliss, Trinity K. Bonet (en), Venus D-Lite (en), Jade Elktra (en) et Conchita Wurst[o 16]. Lors de la première saison de Drag Race France, Lolita Banana profite de la visibilité médiatique de l'émission pour augmenter la visibilité de la campagne U=U, portant le slogan sur ses mains dans une tenue en forme de sang lors du défilé d'hommage à Mylène Farmer[o 16]. Dans la saison 4 de Drag Race UK, Cheddar Gorgeous (en) reprend le visuel du triangle rose, initialement utilisé dans les camps nazis pour identifier les homosexuels avant d'être repris par ACT UP comme symbole de la lutte contre le sida[o 16].

Le drag est aussi un moyen pour les personnes atteintes du sida de lutter contre la maladie, comme c'est le cas d'Hunter Reynolds (en) ; il portera, en drag, une robe portant vingt-cinq mille noms de personnes mortes à cause du VIH[o 16].

Drag king à genoux, yeux fermés, torse nu, sur lequel est inscrit en grandes lettres rouges "it's not love". Il porte une large ceinture noire et un pantalon de costume noir.
Levo Evolove en 2023, à la fin d'une performance sur les violences conjugales

Le drag est un moyen de renforcer la portée de messages d'activisme politique ; c'est par exemple le cas du discours de Panti Bliss en réaction aux propos homophobes de journalistes, l'engagement contre l'extrême-droite, et VIH d'Olivia Jones ou la dénonciation du report, par Manuel Valls, de la loi permettant l'ouverture de la procréation médicalement assisté aux couples lesbiens, les membres de l'association lesbienne FièrEs réalise un happening king dans lequel elles mettent en scène un enterrement, symbolisant la mort du courage politique[o 17]. Plus généralement, de nombreuses performances drag king visent à représenter le patriarcat afin de le dénoncer[o 18].

Le drag est aussi utilisé dans le cadre de l'activisme écologique : c'est le cas notamment d'Uýra, artiste munduruku travaillant à la préservation de la forêt amazonienne ainsi qu'à la remise en cause de l'épistémicide colonial[4].

De nombreux artistes drags utilisent les performances ou les tenues pour faire passer des messages antiracistes : c'est par exemple le cas de Kimora Amour (en), qui utilise le thème de défilé « Ugly as Sin » dans Canada's Drag Race pour raconter l'histoire des personnes Noires esclavagisées fuyant les États-Unis[note 2] pour se réfugier au Canada[p 7], les queen Kitty Space et Aaliyah Xpress dont les performances déconstruisent notamment le racisme anti-asiatique en France[p 8],[o 19] ou l'artist Amrou Al-Kadhi (en), dont l'autobiographie et les performances visent à réconcilier son héritage culturel avec l'homosexualité et le drag[p 9]. Historiquement, l'avènement de la scène ballroom est d'ailleurs une réaction au racisme que subissent les personnes Noires et Latino aux États-Unis[o 6].

Engagement électoral

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Femme noire aux cheveux miel crépu portant des fleurs roses dans les cheveux, un foulard violet noué en flot, un smokey eye, du rouge à lèvre cuivré, des longues boucles-d'oreilles à faux diamnts, une longue robe noire à motif de fleur violettes en tule sans manches et deux grosses bagues à faux diamants.
Honey Mahogany (en) chantant en 2017 lors du 15ème anniversaire du centre LGBT de San Francisco

En 1982, Sister Boom Boom (en), se présente au conseil des superviseurs de San Francisco où elle se classe huitième sur cinq postes à pourvoir ; l'année suivante, pour l'empêcher de présenter à l'élection municipale, la mairesse passe une loi, surnommée « loi Sister Boom Boom », obligeant à candidater sous son nom civil[o 16].

Dans les années 1990, Joan Jett Blakk se présente pour la mairie de Chicago, puis pour la présidence des États-Unis et enfin la mairie de San Francisco; son objectif n'est pas d'être élue mais de rendre plus visibles les revendications et problématiques des personnes LGBTQ+[o 17].

Si Jón Gnarr, fraîchement élu maire de Reykjavik, participe à la marche des fiertés de sa ville en drag, la première véritable artiste drag élue est Maebe A. Girl (en), qui siège à partir de 2019 au conseil de quartier de Silver Lake[o 17]. Deux ans plus tard, Honey Mahogany (en) est élue au comité démocrate du compté de San Francisco, dont elle prend la présidence, devant la première élue du pays à être à la fois trans et Noire[o 17]. À New York, Marti Gould Cummings tente, sans succès, d'accéder au conseil de la ville et Betty Fck se présente aux élections parlementaires de Finlande[o 17].

Après l'élection de Donald Trump, trois cent artistes drag américains, dont de nombreuses candidates de Ru Paul's Drag Race participent à Drag Out the Vote, une campagne massive appelant le public des drag show à s'enregistrer sur les listes électorales et à voter[o 17].

Signification

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Communauté de désir

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Quelle manière manière, par exemple, pour Johnny Blazes d'exprimer les intersections entre la technologie, la culture populaire, le pouvoir social, et l'ordre sexuel, qu'en baisant un combiné téléphonique sur Telephone de Lady Gaga ?[note 3]
Citation de Kathryn Rosenfeld[u 3]

Kathryn Rosenfeld, caractérisant la communauté queer comme une « communauté de désir », c'est-à-dire un groupe qui cherche ses relations érotiques et amoureuses de manière endogame[u 4]. Cette communauté de désir s'exprime par différents signes: mouvements du corps, registres de voix, manières de parler, positions sexuelles, habillement, accessoires, coiffures, musiques et sons, qui se retrouvent concentrés dans le drag[u 4].

Dans ce contexte, l'excitation sexuelle est valorisée et fait partie intégrante de la transmission de messages plus larges[u 4]. L'acte du pourboire peut ainsi être fortement érotisé, soit directement, en rapprochant le corps de l'artiste drag de celui du public, mais aussi car l'acte lui-même rappelle les pratiques du travail du sexe, notamment le stiptease et la prostitution[u 4].

Dénaturalisation du genre et des catégories sociales

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Pour les penseuses queer Judith Butler, Karine Espineira et Maud-Yeuse Thomas, le drag, en parodiant la masculinité et la féminité, montre que celles-ci ne sont pas naturelles mais au contraire des constructions sociales qui peuvent faire l'objet d'une performance[o 20]. Pour Sarah Hankins, la puissance subversive du drag, qu'il soit queen ou king, réside dans sa capacité à combiner, chez un même artiste, des normes de masculinité et de féminité, citant en exemple les drag queen à barbe[u 5]. Rapprochant, d'une part, la figure de la drag queen assertive avec celle de la dominatrice, et, d'autre part, celle du drag king timide avec celle de l'homme soumis, Hankins avance que le drag, comme le BDSM, montre que les dynamiques de pouvoir au sein du genre son réversibles[u 5].

Cette dénaturalisation s'effectue de différentes manières : par exemple, une drag queen blanche peut porter un maquillage de white face, dénonçant ainsi la pratique du blackface et inversant le rapport de racisation qui fait de la peau blanche la norme et de la peau noire la divergence marquée par rapport à cette norme[u 5].

Photographie d'une drag queen Noire aux cheveux courts. Des billets de dollar sont glissés dans son décolté, que de mains blanches, visibles sur la photo, viennent de déposer.
L'acte de donner un pourboire fait intégralement partie de certains drag shows[u 3]

Une partie conséquente des revenus des artistes drag proviennent de pourboires[u 5]. Ceux-ci représentent d'ailleurs souvent la majorité des dépenses du public, avant le coût d'entrée du lieu et les consommations[u 5]. Cela permet au public de soutenir directement les artistes et les communautés queer en général, ce qui est rarement le cas et aboutit souvent à ce que l'art LGBTQIA+ n'arrive pas à s'inscrire dans la durée[u 5].

Dans de nombreux shows drag, surtout ceux qui ont une dimension érotique, l'acte de distribution des pourboires fait entièrement partie du spectacle, avec la participation active du public[u 5]. Certains évènements proposent d'acheter des drag dollar, en liquide ou carte bleue, pour les distribuer aux artistes pendant le show.

Johnny Blazes, artiste faisant à la fois du queen et du king à Boston, témoigne de recevoir plus de pourboires en queen : son hypothèse est que la féminité est plus souvent réifiée, qu'il est donc plus acceptable culturellement d'en faire un produit de consommation, tandis que la sexualité masculine existe juste sans être marchandisée[u 5].

Représentation

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Cinéma et séries télévisées

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Divine dans le trailer de Pink Flamingos

L'auteur américain Simon Doonan (en) fait remonter les origines du drag au cinéma à la naissance du 7ème art, même s'il y est alors cantonné à des farces, citant Charlie Chaplin, Jerry Lewis, les Marx Brothers et Laurel et Hardy[o 21].

Les années 1950 produisent plusieurs films drag dans le domaine de la comédie avec All About Eve ou Some Like It Hot, tandis que les années 1960 lient le drag avec l'horreur, en particulier avec Psychose d'Alfred Hitchcock sorti en 1960 mais aussi Homocidal, No Way to Treat a Lady[o 21]. Pour Doonan, ce virage correspond à la montée en popularité de la psychanalyse, qui voit le travestissement masculin comme un symptôme d'une relation dysfonctionnelle entre le fils et sa mère[o 21]. Cette tendance se poursuit jusque dans les années 1980, avec Le Locataire de Roman Polanksi et Dressed to Kill de Brian de Palma[o 21].

Pour Apolline Bazin, le drag fait ses premières véritables apparitions au cinéma à travers la caméra du réalisateur John Waters qui met en scène dans les années 1970 sa muse, la drag queen Divine, dans la trilogie trash composée de Pink Flamingos, Female Trouble et Desperate Living[o 22]. En raison de la provocation présente dans ces films, ceux-ci sont interdits aux moins de 18 ans jusqu'en 1981[o 22]. À la même période sort le Rocky Horror Picture Show, dont le personnage principal est joué par Tim Curry en drag[o 22].

La Cage aux folles au théâtre de Purkersdorf en 2019.

En 1978 sort La Cage aux folles, le film français le plus exporté, mettant en scène le personnage de Zaza Napoli, star de cabaret drag inspiré de Michou[o 22]. Le film remporte un grand succès, mais est aussi critiqué par la communauté LGBT française de l'époque qui ne se reconnait pas dans l'aspect bourgeois du personnage et perçoit sa grande féminité comme une caricature homophobe[o 22]. Ce rejet de l'aspect « grande folle » de Zaza est ensuite questionné par la communauté LGBT du XXIe siècle, qui considèrent celui-ci comme une forme d'homophobie intériorisée[o 22].

Les années 1980 voient la multiplication des films abordant le drag et le travestissement : les films de Pedro Almodóvar et de la Movida, Victor Victoria de Blake Edwards qui aborde la question du drag king, Yentl de Barbara Streisand, Tootsie, Mrs Doubtfire, ou Hairspray[o 22]. Ces films, souvent des comédies familiales, permettent d'aborder la question du sexisme et de la performance de genre auprès du grand public[o 22]. Doonan voit dans l'évolution de ces années, où le drag n'est plus systématiquement associé à la dépravation et au meurtre, à la fois le signe de la meilleure acceptation de la culture LGBT par le grand public, mais aussi de l'influence de la pandémie de sida qui décime les communautés trans et gays, d'une recherche de rentrer dans les critères de l'académie des Oscars ainsi que de la politique de Reagan[o 21].

Poupée de cire de Priscilla, folle du désert au Madame Tussauds de Sidney

Les drag queens commencent à être des personnages de cinéma à part entière à partir de 1988 et de Torch Sonc Trilogy, adaptation de pièces de théâtre autobiographiques d'Harvey Fierstein[o 22]. Cinq ans plus tard sort Priscilla, folle du désert, film mettant en scène trois drag queens, deux hommes gays et une femme trans en tournée en Australie ; c'est devenu un film-culte en raison de ses dialogues et de la finesse avec laquelle il aborde les questions LGBT[o 22]. Priscilla fait l'objet d'un reboot américain, Extravagances[o 22]. En 2001, John Cameron Mitchell crée Hedwig and the Angry Inch, succès du cinéma underground[o 22]. Cette période, que Doonan caractérise par une association entre drag, créativité et extravagance, comporte aussi Birdcage, un remake de La Cage aux Folles[o 21].

D'autres films explorent les liens entre drag et identité de genre, tels qu'Orlando, adaptation du roman éponyme de Virginia Woolf, ou The Crying Game, qui lance la tendance des acteurs hommes cis jouant des personnages de femmes trans et recevant des nominations aux Oscars pour ça[o 21]. Doonan note que cette tendance, qui vaudra l'oscar du meilleur acteur à Jared Leto pour Dallas Buyers Club en 2013 ou une nomination pour Eddie Redmayne dans Danish Girl en 2015, est une manière pour le cinéma de récompenser une forme de drag policée, celle d'un acteur transformé en femme[o 21].

En 2016, Bianca Del Rio utilise sa notoriété, obtenue notamment en gagnant la saison 6 de RuPaul's Drag Race, pour créer Hurricane Bianca, film sur le quotidien d'une drag queen la nuit et professeur le jour, financé par crowdfunding[o 22].

Plusieurs autres queens font des apparitions à l'écran en drag : Shangela et Willam en 2018 dans A Star is Born, et Jinkx Monsoon dans Doctor Who[o 22].

En France, plusieurs films sur le drag sortent au début des années 2020 : Paloma sort en 2022, après sa victoire à la saison 1 de Drag Race France, un court-métrage éponyme, tandis que Cookie Kunty est à l'affiche la même année de Trois nuits par semaine[o 22].

Par la communauté LGBT+

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RuPaul, avec RuPaul's Drag Race, a contribué à populariser le drag dans le monde

Le drag est perçu de manière ambivalente par la communauté LGBT+. Certains hommes gays, embrassant une forme de politique de la respectabilité, les accuse ainsi de « donner une mauvaise image de la communauté »[o 23]. Cette conception date d'au moins les années 1970 : en 1973, Sylvia Rivera se fait huer lors de la commémoration des émeutes de Stonewall lorsqu'elle réagit vivement à un discours demandant explicitement aux queens d'arrêter de se montrer[o 15]. Pour d'autres, le drag est le véhicule de l'acceptation et de la culture LGBT auprès du public cis-hétérosexuel[p 10].

Lois anti-drag

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Des lois visant à réprimer la pratique du drag, et plus particulièrement « l'incarnation, dans le but de tromper, du genre opposé » sont utilisées contre les artistes drag mais aussi contre les personnes trans[p 11]. Lorsque de telles lois existaient à San Francisco, la drag queen José Sarria (en) a distribué des badges avec l'inscription « I am a boy » (« Je suis un garçon ») à ses amis afin qu'ils ne soient pas affectés par cette loi[p 11].

  1. En anglais, "Hell hath no fury like a drag queen scorned."
  2. Voir notamment Loyaliste noir et Black refugee (War of 1812) (en)
  3. « How better, for instance, for Johnny Blazes to convey the intersections between technology, popular media, social power, and sexual order than by fucking a phone receiver to the sounds of Lady Gaga’s “Telephone”?. »

Références

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  1. a b et c Apolline Bazin, « Mythes et arts fondateurs », dans Drag : Un art queer qui agite le monde
  2. Apolline Bazin, « Le grand siècle des extravagances », dans Drag : Un art queer qui agite le monde
  3. Patsy Monsoon, « Histoire du drag dans le monde », dans L'art du drag, , p. 14-16
  4. Nicky Doll, « le Mexique », sur Les Voyages de Nicky,
  5. a b c et d Apolline Bazin, « La Belle Époque se travestit », dans Drag : Un art queer qui agite le monde, p. 26-35
  6. a b c d e f g et h Apolline Bazin, « Le glamour et le camp, fondements du drag », dans Drag : Un art queer qui agite le monde, p. 54-63
  7. Apolline Bazin, « Cabarets et revues parisiennes », dans Drag : Un art queer qui agite le monde, p. 66-72
  8. Apolline Bazin, « Des queens et des divas », dans Drag : Un art queer qui agite le monde, p. 76-80
  9. Apolline Bazin, « Un artisanat couture », dans Drag : Un art queer qui agite le monde, p. 106-107
  10. a et b Luc Schicharin, « Introduction - Le contexte scientifique et sociopolitique de l'étude », dans L'esthétique drag : de la performance travestie à l'art transgenre : usages et contre-usages de la théorie butlérienne (Thèse de doctorat), Université de Lorraine,
  11. Apolline Bazin, « Freaks et créatures », dans Drag : Un art queer qui agite le monde, p. 177-215
  12. (en) Simon Doonan, « Introduction », dans Drag : The Complete Story, p. 6-11
  13. a b c et d Nicky Doll, « Christophe », dans Reines : L'Art du drag à la française, (ISBN 9782701403977)
  14. Patsy Monsoon, « Drag ou transformisme ? », dans L'art du drag, , p. 11
  15. a b c d et e Apolline Bazin, « Aux origines du mouvement de libération gay », dans Drag : Un art queer qui agite le monde, p. 120-133
  16. a b c d e f g et h Apolline Bazin, « La lutte contre le sida », dans Drag : Un art queer qui agite le monde, p. 134
  17. a b c d e et f Apolline Bazin, « À l'assaut du politique », dans Drag : Un art queer qui agite le monde, p. 144-153
  18. Apolline Bazin, « Les kings se moquent du patriarcat », dans Drag, un art queer qui agite le monde, p. 156-163
  19. Apolline Bazin, « Aaliyah Xpress, voix forte de l'antiracisme drag », dans Drag, un art queer qui agite le monde
  20. Karine Espineira, Maud-Yeuse Thomas et Arnaud Alessandrin, « Drag », dans La transyclopédie : Tout savoir sur les transidentités, (ISBN 978-1-291-10322-9)
  21. a b c d e f g et h (en) Simon Doonan, « Movie Drag », dans Drag : The Complete Story
  22. a b c d e f g h i j k l m n et o Apolline Bazin, « Comment le drag a crevé l'écran », dans Drag : Un art queer qui agite le monde, p. 84-93
  23. Nicky Doll, « Nicky Doll : outisder », dans Reines : L'Art du drag à la française, (ISBN 9782701403977)

Publications universitaires

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  1. (en) Alex MacKenzie, « But is it fashion?: Fat femininities exceeding the boundaries of fashion on RuPaul’s Drag Race », Excessive Bodies: A Journal of Artistic and Critical Fat Praxis and World Making, vol. 1, no 1,‎ , p. 151–171 (DOI 10.32920/eb.v1i1.1899, lire en ligne, consulté le )
  2. Ji-O Hong, « A Study of the Formation Process of an Educational Community Under the Free Semester Policy : Linkages and Meaning of School, Community, and Family », The Korean Educational Administration Society, vol. 39, no 1,‎ , p. 55–91 (DOI 10.22553/keas.2021.39.1.55, lire en ligne, consulté le )
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Autres sources

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  1. Nicky Doll, « l'Inde », sur Les Voyages de Nicky,
  2. https://www.oprah.com/own-supersoulsessions/rupaul-explains-were-all-born-naked-and-the-rest-is-drag
  3. (en) David Carter, Stonewall : The Riots That Sparked the Gay Revolution, St. Martin's, , 336 p. (ISBN 0-312-20025-0).
  4. (en) « Blazing a Trail of Hope: An Interview with Emerson Uýra | Cultural Survival », sur www.culturalsurvival.org, (consulté le )

Bibliographie

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Articles connexes

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Liens externes

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