Préteur royal
Un préteur royal est un représentant du roi de France nommé à la tête d'une ancienne ville impériale de la Décapole alsacienne à la suite du rattachement de cette dernière au royaume de France en , ou à la tête de Strasbourg après la capitulation de la ville en . Ce fonctionnaire exerce un contrôle sur les dirigeants qui constituent un Magistrat dans chaque ville. Il dirige et surveille l'administration municipale, et en réfère à l'intendant de la province d'Alsace.
Apparue entre la fin du XVIIe et le milieu du XVIIIe siècle selon les villes, la fonction disparaît à la Révolution française de .
Histoire
[modifier | modifier le code]Origines
[modifier | modifier le code]À l’issue de la guerre de Trente Ans, les traités de Westphalie de accordent au roi de France des territoires en Haute-Alsace, l’administration du Grand-Bailliage d’Alsace et des droits sur les dix villes impériales membres de la Décapole. Celle-ci rassemble Haguenau, Colmar, Wissembourg, Turckheim, Obernai, Kaysersberg, Rosheim, Munster, Sélestat et Landau.
Ces cités-États du Saint-Empire sont rattachées au territoire français par le traité de Nimègue du . La France poursuit l’annexion de la plaine d’Alsace en , puis la ville impériale libre de Strasbourg capitule face aux troupes françaises le .
L’autorité du roi de France remplace celle du souverain du Saint-Empire : Strasbourg et les dix autres villes impériales perdent leur indépendance politique et deviennent des « villes royales ». La monarchie française met en place diverses mesures visant à exercer son autorité dans l’administration des cités annexées. Celles-ci conservent toutefois leurs institutions municipales héritées du Moyen Âge et désignées sous le nom de « Magistrat ». Au sein de ces structures anciennes, l’autorité royale désigne un représentant fidèle au roi pour chaque ville : le préteur royal[1].
Création
[modifier | modifier le code]La monarchie française installe un préteur royal à Strasbourg en , quatre ans après l’annexion de la ville en . Louis XIV nomme à ce poste Frédéric Ulrich Obrecht. Le représentant du roi de France doit assumer une double fonction : membre du Magistrat, il défend les intérêts de la ville ; fonctionnaire royal, il veille à l’application des ordres du monarque au sein de la ville. Il est ainsi l’intermédiaire entre la monarchie et la cité[2].
Il personnifie le pouvoir royal et assure la surveillance de toute l’administration civile[3]. Le préteur a en effet le droit d’entrer dans toutes les assemblées de la ville et d’en présider avec voix délibérative. Assistant à toutes les réunions au nom du roi, il en rapporte au gouverneur militaire de la ville et au gouverneur de la province[4]. Le préteur royal affirme non seulement la présence royale au sein du Magistrat mais aussi la volonté agissante du monarque en correspondant directement avec le secrétaire d'État à la Guerre. Sa fonction implique surveillance et décision au sein de l’administration municipale[5].
Le préteur royal apparaît ainsi comme le véritable chef du Magistrat dont il ne fait pas partie. Il se situe loin des luttes d’influence, des rivalités entre les grandes familles strasbourgeoises et des élections des dirigeants de la ville. Ceux-ci continuent d’exercer leurs fonctions durant leurs mandats d'ammestres ou de stettmestres. La durée du mandat de préteur royal a pour seule limite le bon plaisir du roi[6]. François-Joseph de Klinglin est le préteur royal de Strasbourg le plus connu. En poste de à , il a mis en place un système de corruption et d’utilisation des revenus de la ville à des fins personnelles qui s’apparenterait aujourd’hui à un abus de confiance et un détournement de fonds publics. Cette affaire à sa destitution et à son emprisonnement à la citadelle de Strasbourg[7].
Diffusion
[modifier | modifier le code]Des préteurs royaux sont également installés dans les autres villes importantes de la province d’Alsace pour représenter le souverain. Leur nomination relève uniquement de l’autorité royale. Walter Joseph de Gail est ainsi nommé à Haguenau le . [8]. Ses successeurs et lui-même doivent être obligatoirement catholiques pour occuper ce poste. Le préteur est le véritable « œil du roi » au sein de la municipalité. Il peut entrer dans toutes les assemblées avec voix décisive, participe à l’administration de la justice, et supervise les revenus et les dépenses de la ville[9]. En instaurant la fonction de préteur royal, la monarchie française ressuscite la fonction de prévôt (en allemand : Schultheiss) qui représentait le souverain du Saint-Empire jusqu’au rattachement des villes de la Décapole à la France[10].
L’office de préteur royal de Colmar est pourvu pour la première fois le . Jean-Georges Duvallié est le premier titulaire du poste. Ses missions sont similaires à celles du préteur royal de Haguenau. Duvallié et ses successeurs ont également l’obligation d’être catholiques. Ils sont soit avocats, soit conseillers au Conseil souverain d’Alsace. Ils exercent aussi les fonctions de subdélégué de l’intendant d’Alsace[11].
Des préteurs royaux sont aussi nommés à Rosheim, Obernai, Wissembourg et Landau[12]. La nomination d’un préteur royal à Munster en ne se fait pas sans heurt car le représentant du roi a tout pouvoir et peut s’opposer aux décisions du conseil de la communauté qui administre la ville et la vallée de Munster. De profondes tensions existent entre les habitants et l’autorité royale[13]. La monarchie nomme également un préteur royal à Sélestat pour surveiller les institutions municipales et disposant du droit de promulguer seul des règlements de police. Avec l’installation de Jean Albert Kuhn à ce poste en , Sélestat est l’une des dernières cités de l’ancienne Décapole à recevoir à sa tête un préteur royal[14]. La charge de préteur royal disparaît à la tête de toutes les villes avec la fin de l’Ancien Régime en .
Liste des principaux préteurs royaux
[modifier | modifier le code]Colmar
[modifier | modifier le code] - : Jean-Georges Duvallié (vers - ), dénommé « prévôt royal » de Colmar[15].
- : François Sigismond Voegtlin.
- : poste vacant.
- : François Dietremann ( - )[16]
- : François Mathias Muller ( - )[17]
- : François Antoine Joseph Muller ( - ), fils du précédent[17].
- : Joseph Antoine Jean Chrysostome Muller ( - ), fils du précédent, et par ailleurs préteur royal d’Obernai et de Rosheim[18],[19].
- : François-Xavier Sommervogel ( - )
Haguenau
[modifier | modifier le code] - : Walter Joseph de Gail ( - )[20]
- : Louis Ignace de Gail, fils du précédent.
- : Jean Philippe Antoine de Cointoux (mort le )[21]
- : Pierre Philippe Georges Antoine de Cointoux (mort le ), fils du précédent[22].
Sélestat
[modifier | modifier le code] - : Jean Albert Kuhn ( - )[23]
- : Conrad Alexandre Gérard ( - ), plus tard préteur royal de Strasbourg[24].
- : Alexandre Duboys ( - )[25]
- : Charles Mathieu Sylvestre de Dartein de Pageiral ( - )
Strasbourg
[modifier | modifier le code] - : Frédéric Ulrich Obrecht ( - )[26]
- : Jean Henri Obrecht ( - )
- : Jean Baptiste de Klinglin ( - )[27]
- : François Joseph de Klinglin ( - )
- : François Christophe Honoré de Klinglin (vers - )
- : Jean Baptiste Denos de Règemorte ( - )[28]
- : François Marie Gayot de Bellombre ( - )[29]
- : Félix-Louis Gayot ( - ), fils du précédent[30].
- : François Baron d’Autigny[31].
- : Conrad Alexandre Gérard ( - ), auparavant préteur royal de Sélestat[24].
: Philippe-Frédéric de Dietrich ( - ), dénommé « commissaire royal » de Strasbourg[32].
Wissembourg
[modifier | modifier le code]- : Jean Georges Henri Joseph Neubeck ( - )[33]
Galerie
[modifier | modifier le code]Construites au XVIIIe siècle, les résidences des préteurs royaux subsistent encore aujourd'hui.
-
Hôtel de Klinglin à Strasbourg construit entre et .
-
Actuel tribunal d'instance de Haguenau.
-
Ancienne maison du préteur royal de Colmar.
-
Hôtel du préteur royal de Sélestat construit en .
-
Hôtel du prêteur royal Von Neubeck de Wissembourg.
-
Porte Hohenbourg et ancienne maison du préteur royal de Rosheim construite en .
Notes et références
[modifier | modifier le code]- Livet 1991, p. 721.
- Himly 1972, p. 111.
- Braeuner Lichtlé.
- Herry 1996, p. 163.
- Livet 1991, p. 718.
- Livet 1991, p. 719.
- Georges Livet, « Klinglin François Joseph de », sur alsace-histoire.org (consulté le )
- Livet 1991, p. 722.
- Muller 2020.
- Livet 1991, p. 723.
- Lichtlé 2019.
- Livet 1991, p. 723-724.
- Munster 2022.
- Lutz 2002.
- Jean-Marie Schmitt, « Duvallié Jean Georges », sur alsace-histoire.org (consulté le )
- Braeuner et Lichtlé 2006, p. 92.
- Braeuner et Lichtlé 2006, p. 194.
- Bailliard 1991, p. 567.
- Braeuner et Lichtlé 2006, p. 195.
- Bertrand de Gail et Christian Wolff, « Gail de », sur alsace-histoire.org (consulté le )
- Claude Muller, « Antoine (de Cointoux) Jean Philippe », sur alsace-histoire.org (consulté le )
- Claude Muller, « Antoine (de Cointoux) Pierre Philippe Georges Antoine », sur alsace-histoire.org (consulté le )
- Maurice Kubler, « Kuhn Jean Albert », sur alsace-histoire.org (consulté le )
- Georges Livet, « Gérard Conrad Alexandre », sur alsace-histoire.org (consulté le )
- Maurice Kubler, « Duboys Alexandre », sur alsace-histoire.org (consulté le )
- Georges Livet, « Obrecht Frédéric Ulric », sur alsace-histoire.org (consulté le )
- Georges Livet, « Klinglin Jean Baptiste de », sur alsace-histoire.org (consulté le )
- Georges Livet, « Règemorte Jean-Baptiste Denis de », sur alsace-histoire.org (consulté le )
- Georges Livet, « Gayot de Bellombre François Marie », sur alsace-histoire.org (consulté le )
- Georges Livet, « Gayot Félix-Louis », sur alsace-histoire.org (consulté le )
- Georges Livet, « Baron (d'Autigny) François », sur alsace-histoire.org (consulté le )
- Hélène Georger-Vogt et Jean-Pierre Kintz, « Dietrich Philippe Frédéric de », sur alsace-histoire.org (consulté le )
- Claude Muller, « Neubeck », sur alsace-histoire.org (consulté le )
Annexes
[modifier | modifier le code]Bibliographie
[modifier | modifier le code]- [Bailliard 1991] Jean-Paul Bailliard, « Le préteur royal d’Obernai et Rosheim, Jean Chrysostome Muller, et sa parenté », Bulletin du Cercle généalogique d’Alsace, vol. 96, no 4, , p. 567-580 (ISSN 2698-167X, lire en ligne).
- [Bély 2010] Lucien Bély (dir.), Dictionnaire de l'Ancien Régime : royaume de France XVIe et XVIIIe siècles, Paris, Presses universitaires de France, , XV-1384 p. (ISBN 978-2-1305-8422-3).
- [Braeuner et Lichtlé 2006] Gabriel Braeuner et Francis Lichtlé, Dictionnaire historique de Colmar, Colmar, Association pour la restauration des édifices historiques de Colmar, , 302 p. (ISBN 2-9528302-0-7 et 978-2-9528302-0-1).
- [Dollinger 1991] Philippe Dollinger (dir.), Histoire de l'Alsace, [Toulouse], Privat, (1re éd. 1970), 524 p. (ISBN 2-7089-1695-5 et 978-2-70891-695-1).
- [Herry 1996] Simone Herry, Une ville en mutation : Strasbourg au tournant du Grand siècle, société militaire et société civile de langue française dans la ville libre et royale de Strasbourg d'après les registres paroissiaux, les registres de bourgeoisie et les actes notariés, 1681-1702, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, , 616 p. (ISBN 2-86820-660-3).
- [Himly 1972] François-Jacques Himly, Chronologie de la Basse Alsace : Ier-XXe siècle, Strasbourg, Archives départementales du Bas-Rhin, , 350 p.
- [Lichtlé 2019] Francis Lichtlé, « Colmar (ville de, 1214-1815) », sur dhialsace.bnu.fr, (consulté le ).
- [Livet et Rapp 1981] Georges Livet et Francis Rapp (dir.), Histoire de Strasbourg des origines à nos jours, t. 2, [Strasbourg], Dernières nouvelles de Strasbourg, , XV-661 p. (ISBN 2-7165-0041-X).
- [Livet 1991] Georges Livet, L’Intendance d’Alsace de la guerre de Trente Ans à la mort de Louis XIV (1634-1715), Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, (1re éd. 1956), IX-1084 p. (ISBN 2-86820-742-1).
- [Lutz 2002] Jean-François Lutz, « L’administration municipale de Sélestat au XVIIIe siècle », sur theses.enc.sorbonne.fr, (consulté le ).
- [Muller 2020] Claude Muller, « Haguenau (ville de) », sur dhialsace.bnu.fr, (consulté le ).
- [Munster 2022] Ville de Munster, « Le rattachement à la France », sur munster.alsace, (consulté le )
- [Vogler 2003] Bernard Vogler (dir.), Nouvelle histoire de l'Alsace : une région au cœur de l'Europe, Toulouse, Privat, , 381 p. (ISBN 978-2-7089-4776-4).
- [Vogler 2019] Bernard Vogler, « Capitulation de Strasbourg (1681) », sur dhialsace.bnu.fr, (consulté le ).