Ornementation en piquants de porc-épic
L’ornementation en piquants de porc-épic est une forme traditionnelle d'artisanat textile des peuples autochtones d’Amérique du Nord qui use de piquants de porcs-épics comme élément esthétique et d'embellissement, associés à des fragments de plumes.
Histoire
[modifier | modifier le code]L'ornementation en piquants de porc-épic est une forme d’art caractéristique de l'Amérique du Nord. Avant l'introduction des perles de verre, les piquants constituent un élément décoratif important des peuples qui partagent l'habitat naturel du porc-épic[1], qui comprennent les peuples autochtones subarctiques, des forêts du nord-est et des Grandes Plaines. L'utilisation de piquants dans diverses formes d'art s'étend du Maine à l'Alaska[2]. Des outils servant à l'ornementation ont été découverts en Alberta, au Canada et remontent au VIe siècle de notre ère[3].
L'histoire orale des Cheyennes, racontée par Picking Bones Woman à George Bird Grinnell, dit que le quilling (paperolles) est venu d'un homme qui a épousé une femme de la tribu[4]. Les Cheyennes croient que la plus haute vertu et aspiration est la recherche de la connaissance. Leur esprit principal ou divinité est Heammawihio (le sage d'en haut) qui possède son pouvoir grâce à la sagesse. Tous les esprits acquièrent du pouvoir grâce à leurs connaissances et à leur capacité à les partager avec les gens[5],[6]. Le processus et le rituel qui accompagnaient la production de ces objets artisanaux (en particulier les objets artisanaux en piquants) constituaient une cérémonie de signification sacrée[6],[7],[8],[9]. Le métier est leur acte de recherche de connaissances et, en tant que tel, était un acte sacré. De cette manière, les femmes les plus expérimentées obtenaient un plus grand statut dans la société artisanale[5],[6]. Les femmes travaillaient d'abord sur des mocassins en quilling, puis sur berceaux, des rosaces pour les chemises et les tipis des hommes, et finalement, ornementaient les robes et les dossiers[4].
Les Pieds-Noirs du nord-ouest de l'Amérique du Nord accordaient également beaucoup d'importance aux femmes qui effectuaient de l'ornementation avec des piquants. Leur travail revêtait un caractère religieux, par exemple, elles se peignaient le visage avec de l'ocre jaune et de la graisse animale. Cela représentait pour elles une forme de protection. Elles portaient également des colliers sacrés chaque fois qu'elles effectuaient ce travail, toujours dans un objectif de protection[10]. Le savoir était transmis d'une femme plus âgée vers une femme plus jeune, généralement une parente. Après avoir été initiée, la jeune femme devait fabriquer un mocassin, puis le prendre et le placer au sommet d'une colline en guise d'offrande au Soleil[11].
Les femmes s'adonnant à l'ornementation en piquants de porc-épic jouissaient également d'un statut spirituel et religieux particulier chez les Arapahos et les Outaouais, car leurs œuvres représentaient des êtres sacrés et des liens avec la nature. Les couleurs et les formes avaient également des significations uniques[12]. Les Outaouais en particulier utilisaient bon nombre des mêmes couleurs que les Pieds-Noirs, avec l'ajout de blanc, de jaune, de violet et d'or[13].
Les piquants de porc-épic ornaient souvent le cuir brut et les peaux tannées, mais au XIXe siècle, les boîtes en écorce de bouleau ornées de piquants étaient un article prisé par les colons européens parmi les tribus de l'Est et des Grands Lacs. Les piquants ont été utilisés pour créer et décorer une variété d'objets, y compris ceux d'usage quotidien, tels que les manteaux et les mocassins, les accessoires tels que des sacs et des ceintures, ainsi que des accessoires de meubles tels qu'une housse de berceau[14].
Technique
[modifier | modifier le code]Les plumes destinées à l'ornementation ont une longueur de six à dix centimètres et peuvent être teintes[1]. Dans leur état naturel, les piquants sont jaune pâle à blancs avec des pointes noires. Les pointes sont généralement coupées avant utilisation. Les piquants absorbent facilement la teinture, à l'origine dérivée de plantes locales, avec un large spectre de couleurs, particulièrement le noir, le jaune et le rouge. Au XIXe siècle, les colorants à l'aniline étaient connus pour améliorer le processus[15].
Les piquants peuvent être aplatis avec des outils osseux spécifiques ou avec les dents. Des poinçons sont utilisés pour percer des trous dans les peaux, et des tendons, remplacés plus tard par du fil européen, utilisés pour lier les piquants aux peaux.
Les quatre techniques courantes pour l'ornementation en piquants sont l'appliqué, la broderie, l'emballage et le tissage sur métier à tisser[16]. Les piquants appliqués sont cousus dans la peau de manière à recouvrir les points[1]. Une seule plume peut être enroulée sur elle-même ou deux plumes peuvent être entrelacées[1].
Les piquants peuvent être appliqués individuellement pour former des motifs curvilignes, typiques sur les pochettes outaouaises du XVIIIe siècle[17]. Cette technique se prête aux motifs floraux popularisés parmi les tribus du nord-est par les religieuses Ursulines. Les femmes huronnes excellaient dans la confection de piquants floraux aux XVIIIe et XIXe siècles[18].
L'ornementation chez les Indiens des Plaines se caractérise par des bandes de rectangles créant des motifs géométriques trouvés aussi dans la peinture de ces nations[19]. Des rosaces de cercles concentriques de piquants ornaient généralement les chemises historiques des hommes, comme des panneaux parallèles de piquants sur les manches. Ces dessins très abstraits constituent des couches de signification symboliques.
Au XIXe siècle, les Ojibwés de la rivière Rouge, au Manitoba, créent des motifs géométriques en tissant des plumes sur un métier à tisser[20].
De nos jours
[modifier | modifier le code]L'ornementation en piquants de porc-épic subsiste dans les plaines du Nord. Certaines communautés la pratiquent à nouveau après l'avoir perdue durant des années. Par exemple, à la fin des années 1990, aucune femme ne pratiquait l'ornementation dans la communauté dénée de Wha Ti aux Territoires du Nord-Ouest. L'Institut culturel déné y a organisé deux ateliers, en 1999 et 2000, faisant ainsi revivre cette forme d'art[21].
Cette forme d’art demeure très vivante, avec des artistes primés tels que Juanita Growing Thunder Fogarty (en), artiste sioux-assiniboine[22], Dorothy Brave Eagle, artiste lakota oglala originaire de Denver au Colorado[23], Kanatiiosh, artiste mohawk de la réserve de St. Regis (Akwesasne)[24], Sarah Hardisty, artiste dénée de Jean Marie River aux Territoires du Nord-Ouest[25], Leonda Fast Buffalo Horse, artiste pieds-noirs de Browning au Montana[26] et Deborah Magee Sherer, artiste pieds-noirs de Cut Bank au Montana[27].
Notes et références
[modifier | modifier le code]- Gillow et Sentance 1999, p. 223.
- Orchard 1916.
- Dubin 1999, p. 265.
- Penney et Horse Capture 2004, p. 119.
- Grinnel 2008.
- Hoebel 1960.
- Rubinstein 1982.
- (en) James Mooney, The Cheyenne Indians, Kraus Reprint Co, (OCLC 46896759, lire en ligne)
- (en) John H. Moore, The Cheyenne, Blackwell, (ISBN 0-631-21862-9, OCLC 43603405, lire en ligne)
- (en) Hugh A. Dempsey, « Religious Significance of Blackfoot Quillwork », Plains Anthropologist, vol. 8, no 19, , p. 52-53 (ISSN 0032-0447).
- (en) Rosalyn R. LaPier, Invisible Reality: Storytellers, Storytakers, and the Supernatural World of the Blackfeet, University of Nebraska Press, (ISBN 978-1-4962-0150-8, DOI 10.2307/j.ctt1s475jg).
- (en) A. G. Green, « Arapaho Women's Quillwork: Motion, Life, and Creativity », Ethnohistory, vol. 62, no 2, , p. 387–388 (ISSN 0014-1801, DOI 10.1215/00141801-2855617).
- (en) Daniel Radus, « Margaret Boyd's Quillwork History », Early American Literature, vol. 53, no 2, , p. 513–537 (ISSN 1534-147X, DOI 10.1353/eal.2018.0047).
- (en) Christina Cole et Susan Herald, « The History and Analysis of Pre-Aniline Native American Quillwork Dyes », Textile Society of America Symposium Proceedings, (lire en ligne)
- Feest 1992, p. 138.
- Feest 1992, p. 215.
- Vincent 1995, p. 15.
- Vincent 1995, p. 24.
- Feest 1992, p. 140.
- Vincent 1995, p. 28 et 43.
- Marie et Thompson 2004, p. 29.
- Dubin 1999, p. 279 et 304.
- (en) David Melmer, « Quillwork: Lakota Style », Indian Country Today, 22 septembre 2004.
- (en) Native American Quillwork, Native Languages of the Americans, 2008 (consulté le 19 février 2009)
- (en) Menicoche, « Kevin A. Menicoche on Condolences On The Passing Of Nahendeh Resident Sarah Hardisty », OpenNWT,
- (en) Leonda Fast Buffalo Horse: Quillwork, Montana Arts Council (consulté le 19 février 2009)
- Penney et Horse Capture 2004, p. 118-119.
Voir aussi
[modifier | modifier le code]Bibliographie
[modifier | modifier le code]- (en) Lois Sherr Dubin, North American Indian Jewelry and Adornment : from Prehistory to the Present, New York, Harry N. Abrams, Inc. Publishers, (ISBN 0-8109-3689-5).
- (en) Christian F. Feest, Native Arts of North America, Londres, Thames & Hudson, (ISBN 978-0-500-20262-3).
- (en) John Gillow et Bryan Sentance, World Textiles : a Visual Guide to Traditional Techniques, Thames & Hudson, (ISBN 978-0-500-28247-2).
- (en) George Grinnel, The Cheyenne Indians : Their History and Lifeways, Indiana, World Wisdom, Inc, .
- (en) E. Adamson Hoebel, The Cheyennes : Indians of the Great Plains, New York, Holt, Rinehart & Winston, .
- (en) John D. Horse Capture et al., Beauty, Honor, and Tradition : the Legacy of Plains Indian Shirts, Washington DC, National Museum of the American Indian, (ISBN 978-0-8166-3947-2).
- (en) Suzan Marie et Judy Thompson, Whadoo Themi: Long-Ago People's Packsack: Dene Babiche Bags: Tradition and Revival, Canadian Museum of Civilization, coll. « Mercury Series » (no 141), (ISBN 9781772823066)
- (en) James Mooney, « The Cheyenne Indians », Memoirs of the American Anthropological Association, New York, Kraus Reprint Corporation, 1964.
- (en) John H. Moore, The Cheyenne, Malden, Blackwell Publishers, .
- (en) William C. Orchard, The Technique of Porcupine-Quill Decoration Among the North American Indians, The Museum of the American Indian Heye Foundation, (ISBN 978-0-943604-00-8).
- (en) David W. Penney et George Horse Capture, North American Indian Art, Londres, Thames & Hudson, (ISBN 978-0-500-20377-4).
- (en) Charlotte S. Rubenstein, « The First American Women Artists », Women’s Art Journal, vol. 3, no 1, printemps-été 1982, p. 6-9 (DOI 10.2307/1357909, JSTOR 1357909).
- (en) Gilbert T. Vincent, Masterpieces of American Indian Art from the Eugene and Clare Thaw Collection, New York, Harry N. Abrams, (ISBN 978-0-8109-2628-8).