Philippe Kaenel, Le métier d’illustrateur, Rodolphe Töpffer, J.J. Grandville, Gustave Doré, Genève, Librairie Droz, 2004, 640 p. ISBN 2-600-00531-5. 20 euros.
Texte intégral
1Au-delà du monde des historiens de l’art, l’auteur de ce gros livre est bien connu de tous ceux qui, historiens, littéraires, philosophes ou autres, s’intéressent à la dimension visuelle de l’histoire de la culture occidentale. Il s’agit d’une étude conjointe de trois grands illustrateurs, qui ont été, à des degrés divers, à la fois dessinateurs et peintres (d’où le titre plus englobant « d’illustrateurs »), mais que l’on peut également considérer comme des journalistes, car ils ont observé les évolutions de la société de leur époque. Il est à noter que le titre de couverture n’est pas exactement identique à celui de la première page de l’ouvrage qui rajoute la mention 1830-1880, cadre chronologique principal de l’étude. Il est à noter également que ce livre, issu d’une thèse de doctorat, est l’édition refondue et augmentée de la première publication, faite par les soins des Éditions Messene (Paris) en 1996. Mais cet ouvrage étant rapidement devenu introuvable, Philippe Kaenel a procédé avec bonheur à la préparation du livre qui nous occupe aujourd’hui. La principale différence entre les deux versions réside, au-delà de l’actualisation des connaissances sur chacun des trois artistes considérés, et de la l’actualisation de la bibliographie, dans une longue préface programmatique qui est une sorte d’essai réflexif sur le métier d’illustrateur.
2Utilisant les concepts issus de sciences voisines (communication, linguistique, mais aussi le concept d’iconotexte que les littéraires utilisent fréquemment), l’auteur nous rappelle ce que sont les différents « points de vue » sur l’illustration et comment les faire correspondre entre eux. Le XIXe siècle, qui est le siècle de l’illustration, plus encore que celui de l’image stricto sensu, a profité de l’engouement des chercheurs (sémiologues, sociologues, spécialistes de littérature comparée, historiens du politique ou du religieux) pour les études mettant en relation le texte et l’image. L’historiographie de ces trente dernières années s’est également interrogée sur la place de l’illustration dans les hiérarchies culturelles et sur les échanges entre les arts et les techniques, ce que Philippe Hamon a pu nommer « l’intermédialité » 1. Ces nouveaux concepts, très importants pour « penser » l’illustration (on rappellera ici les travaux fondateurs de Meyer Shapiro sur l’image médiévale 2) ne font que conforter la position de Philippe Kaenel lorsqu’il affirme que la revalorisation des arts mineurs au nom du grand art pose des problèmes qu’il ne faudrait pas esquiver. Rappelant la méthode pragmatique, et pour une large part assez intuitive de Panofsky (la démarche d’intericonicité, qui nécessite la mobilisation d’un grand nombre de sources diverses), il défend la possibilité de citation, d’illustration (au sens restreint du terme) qui permet de jeter des ponts symboliques entre diverses disciplines.
3Ce livre, qui est une histoire sociale de l’illustration, est construit en cinq grands chapitres. Le premier (« La naissance d’un métier », pp. 43-216) reprend avec beaucoup d’acuité et d’érudition des dossiers souvent négligés, celui des antécédences (que pouvait-on appeler « illustration » avant l’illustration ? comment étaient organisés les métiers, du vignettiste au graveur, au typographe et au libraire), celui du passage aux techniques modernes qui mettent en jeu des formes plus industrielles (la gravure et la photographie), les relations entre les dessinateurs et le monde de la presse enfin. Ce faisant, l’auteur présente nombre d’artistes qui, de Charlet à Gavarni en passant par Traviès, ont contribué au triomphe du mode d’expression par l’image au cours du XIXe siècle. Les trois chapitres suivants sont logiquement consacrés aux trois exemples spécifiques de Töpffer (1799-1846), de Grandville (1803-1847) et de Gustave Doré (1832-1883). Le premier, peintre et écrivain venu de Genève, qui a connu le succès avec des suites de dessins s’apparentant à nos actuelles bandes dessinées, a rencontré tout ce que le monde de l’édition comptait de personnages illustres et devient rapidement un personnage célèbre (pp. 217-298). Grandville, qui crée un vocabulaire original avec son bestiaire humain, connaît également une grande renommée, en particulier grâce à sa participation au groupe des caricaturistes que Philipon réunit autour de lui. Mais, souvent en délicatesse avec ses éditeurs, il termine sa vie dans l’anonymat (pp. 299-390). Gustave Doré, « le plus illustre des illustrateurs », comme le note Philippe Kaenel, dessinateur prolifique, bon observateur des transformations sociales de son époque (on pense à ses dessins de Londres) a connu des critiques aussi violentes que sa popularité était grande (pp. 391-508). Le dernier chapitre s’interroge sur les relations entre le livre illustré et le livre d’art, qui suppose changement technique et transformation de la clientèle (pp. 509-548).
4Une importante bibliographie (une trentaine de pages), un index des noms propres, 79 illustrations et une série de sept annexes (qui sont des textes justificatifs) terminent cet ouvrage très savant qui sera utile à de nombreux chercheurs et étudiants.
Notes
Pour citer cet article
Référence électronique
Annie Duprat, « Philippe Kaenel, Le métier d’illustrateur, Rodolphe Töpffer, J.J. Grandville, Gustave Doré, Genève, Librairie Droz, 2004, 640 p. ISBN 2-600-00531-5. 20 euros. », Revue d'histoire du XIXe siècle [En ligne], 31 | 2005, mis en ligne le 18 février 2006, consulté le 13 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/rh19/974 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rh19.974
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