Albert Pauphilet (traduction), Le Lai de l’Oiselet dans Contes du jongleur 1932
u temps jadis vivait en
ce pays un vilain fort
riche. L’histoire en est
si vieille qu’on ne se
souvient plus de son
nom ; mais on sait bien
qu’il possédait des prés,
et des bois, et des rivières,
et toutes les sortes
de richesse. Son
bien le plus précieux,
bien que nul château,
ni bourg, ni ville même
ne pouvait égaler, c’était son manoir.
On n’en voit de tels que dans les très
vieux contes inventés à plaisir. Donjon
altier, tours au pied baigné par la
rivière, verger entouré d’une double
ceinture d’eaux vives et de grands
arbres, jamais plus on ne connaîtra si
belle demeure. Elle était l’œuvre d’un
seigneur des temps anciens ; il l’avait
léguée à ses descendants, mais un
arrière-neveu prodigue l’avait vendue
au vilain : c’est ainsi que les mauvais
héritiers font déchoir les belles
choses d’autrefois.
Au verger foisonnaient les roses, les fleurs parfumées, et tant de plantes salutaires qu’un malade amené là le soir, gisant en litière, se fût levé le matin sain et fort. Les pelouses y étaient parfaitement unies, et les cimes des arbres étaient d’une égale hauteur. Enfin tous les fruits du monde y mûrissaient en toute saison : car c’était un jardin d’enchantement.
Il avait la forme du cercle, chère aux magiciens. Au centre, près d’une fontaine abondante, était un arbre aux immenses ramures étalées. Le grand soleil d’été n’en pouvait percer la sombre épaisseur, et ni vent ni froidure d’hiver n’en faisaient jamais choir une feuille ; il était toujours vert. Dans l’arbre merveilleux, deux fois chaque jour, le matin et le soir, un oiseau venait chanter. C’était un très petit oiseau, gros à peine comme un roitelet, mais son chant était plaisant et beau plus que le sifflement du merle, le gazouillement de l’alouette et les mélodies passionnées du rossignol. Il modulait des airs qui semblaient des chansons, des lais, des rotrouenges ; mais les harpes et les violes auprès de lui, c’était l’églantine auprès de la rose. Et telle était la vertu de cette musique aérienne, qu’a l’entendre les cœurs dolents oubliaient leurs peines et se réjouissaient ; ceux qui jamais n’avaient parlé d’amour en étaient soudain enflammés, et vilains, bourgeois, laids et cassés par l’âge, ils se croyaient empereurs ou rois, et jeunes et beaux a faire pâmer les jeunes filles. Et sachez encore une plus grande merveille : c’était l’oiselet qui chaque jour redonnait au jardin la beauté et la vie. Car, à son appel magique de l’aurore et du crépuscule, surgissaient de toutes parts des Amours, des Lutins et…