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« Tulipomanie » : différence entre les versions

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La '''tulipomanie''' (Tulpenmanie en néerlandais, Tulipmania en anglais), souvent appelée ''crise de la tulipe'' en histoire économique, qui survint aux [[Pays-Bas]] au milieu du {{XVIIe siècle}} est le nom donné à un effondrement subit des cours de l'oignon de [[tulipe]] qui avaient atteint un niveau astronomique. Au plus fort de la tulipomanie, en février 1637, des promesses de vente pour un bulbe se négociaient à la hauteur de vingt fois le salaire annuel d'un artisan spécialisé. Certains historiens ont qualifié cette crise de « première [[bulle spéculative]] » de l'histoire<ref>Shiller, 2005, p.85. Aux pages 247-48, l'auteur étudie plus en détail la question du statut de cette crise comme premier exemple de bulle spéculative de l'histoire.</ref>.
[[Fichier:Tulipomanie 2017 07 1029.jpg|vignette|upright=1.3|Anonyme, ''La vente des oignons de tulipe'', {{S-|XVII}}. Huile sur bois. [[Musée des beaux-arts de Rennes]].]]
La '''tulipomanie''' ({{en langue|nl|tulpenmanie}} ; {{en langue|en|tulip mania}}) est le soudain engouement pour les [[tulipe]]s dans le nord des [[Provinces-Unies]] au milieu du {{XVIIe siècle}}, qui entraîna l'augmentation démesurée puis l'effondrement des cours du [[bulbe]] de [[tulipe]] : ce qu’on appelle la « crise de la tulipe » en histoire économique. Au plus fort de la tulipomanie, en {{date-|février 1637}}, des offres de vente pour un [[bulbe]] se négociaient pour un montant égal à dix fois le salaire annuel d’un artisan spécialisé. Certains historiens ont qualifié cette crise de « première [[bulle spéculative]] » de l’histoire<ref>Shiller, 2005, p.85. Aux pages 247-248, l’auteur étudie plus en détail la question du statut de cette crise comme premier exemple de bulle spéculative de l’histoire.</ref>. Elle est restée dans les mémoires, tout au long de l'[[histoire des bourses de valeurs]].


L'épisode refit surface en [[1841]] avec la parution d'un ouvrage intitulé ''Extraordinary Popular Delusions and the Madness of Crowds''<ref>Que l'on pourrait traduire par ''Les Illusions extraordinaires de l'opinion et la folie collective''.</ref> du journaliste britannique [[Charles Mackay]]. Mackay affirmait qu'à une certaine époque, un bulbe de ''Semper Augustus'' pouvait s'échanger contre cinq hectares de terre<ref name=Chap3>"The Tulipomania", Chapitre 3, Mackay, 1841</ref>. Il prétendait également que de nombreux investisseurs avaient été ruinés par la chute des cours, chute qui aurait ébranlé toute l'économie néerlandaise. Bien que l'ouvrage de Mackay soit devenu un classique fréquemment réédité, sa version des faits est aujourd'hui contestée. Les historiens modernes considèrent que la crise de la tulipe n'avait pas été aussi spectaculaire que le voudrait Mackay, certains allant même jusqu'à douter de la réalité d'une véritable bulle spéculative<ref name=thompson100>Thompson, 2007, p.100</ref>.
en [[1841]] avec la parution ouvrage intitulé ''Extraordinary Popular Delusions and the Madness of Crowds'' et la folie du britannique [[Charles Mackay]]. Mackay affirmait une certaine époque, un bulbe de ''Semper '' pouvait contre cinq hectares de terre<ref name=Chap3>The Tulipomania, 3, Mackay, 1841</ref>. Il prétendait également que de nombreux investisseurs avaient été ruinés par la chute des cours, chute qui aurait ébranlé toute néerlandaise. Bien que de Mackay soit devenu un classique fréquemment réédité, sa version des faits est contestée. Les modernes considèrent que la crise de la tulipe pas été aussi spectaculaire que le voudrait Mackay, certains allant même douter de la réalité véritable bulle spéculative<ref name=thompson100>Thompson, 2007, p.100</ref>.


L’étude de cette crise<ref>{{lien web|auteur=Alain Faujas
L'étude de cette crise est difficile en raison de la pauvreté des données d'époque et le fait que ces données proviennent pour la plupart de sources partisanes dénonçant la spéculation de façon caricaturale<ref name=Kuper>Simon Kuper "[http://www.ft.com/cms/s/50e2255e-0025-11dc-8c98-000b5df10621.html Petal Power]" (critique de Goldgar parue dans le ''[[Financial Times]]'', {{date|12|mai|2007}}. Consulté le {{date|1|juillet|2008}}.</ref> {{,}}<ref> [http://library.wur.nl/speccol/pamphlet.html Pamphlet sur la tulipomanie hollandaise] bibliothèque digitale Wageningen {{date|14|juillet|2006}}. Consulté le {{date|13|août|2008}}.</ref>. Certains économistes modernes, écartant la théorie de l'[[Mimétisme comportemental|hystérie spéculative]], proposent des [[mathématiques financières|modèles mathématiques]] qui ne font plus appel aux phénomènes de contagion psychologique pour expliquer l'envolée des cours de la tulipe. Ils observent que des phénomènes analogues se sont produits à d'autres époques sur le prix des plantes d'ornement, notamment la jacinthe dont le cours s'est élevé de façon rapide après son introduction sur le marché pour s'effondrer ensuite. D'autres auteurs font remarquer que la montée des prix coïncide avec l'annonce d'un décret parlementaire prévoyant que les contrats de [[vente à terme]] pourraient être annulés à peu de frais ; une telle mesure aurait diminué le risque pour les acheteurs qui n'auraient eu alors aucune raison d'hésiter à s'engager pour des sommes exorbitantes. Ces explications sont cependant loin de faire l'unanimité.
|titre=Tulipes : quand les bulbes dégénèrent en "bulle"|url=https://www.lemonde.fr/economie/article/2013/08/05/tulipes-quand-les-bulbes-degenerent-en-bulle_3457521_3234.html|site=[[Le Monde]].fr|date=05 août 2013|consulté le= 9 juin 2021}}</ref> est difficile en raison de la pauvreté des données d’époque et du fait que ces données proviennent pour la plupart de sources partisanes dénonçant la [[spéculation (économie)|spéculation]] de façon caricaturale<ref name=Kuper>Simon Kuper, [http://www.ft.com/cms/s/50e2255e-0025-11dc-8c98-000b5df10621.html Petal Power] (critique de Goldgar parue dans le ''[[Financial Times]]'', {{date|12|mai|2007}}. Consulté le {{date|1|juillet|2008}}.</ref>{{,}}<ref>[http://library.wur.nl/speccol/pamphlet.html Pamphlet sur la tulipomanie néerlandaise] bibliothèque digitale Wageningen {{date|14|juillet|2006}}. Consulté le {{date|13|août|2008}}.</ref>. Certains économistes modernes, écartant la théorie de l’[[Mimétisme comportemental|hystérie spéculative]], proposent des [[mathématiques financières|modèles mathématiques]] qui ne font plus appel aux phénomènes de contagion psychologique pour expliquer l’envolée des cours de la tulipe. Ils observent que des phénomènes analogues se sont produits à d’autres époques sur le prix des plantes d’ornement, notamment la [[Hyacinthus|jacinthe]] dont le cours s’est élevé de façon rapide après son introduction sur le marché pour s’effondrer ensuite. D’autres auteurs font remarquer que la montée des prix coïncide avec l’annonce d’un décret parlementaire prévoyant que les [[vente à terme|contrats à terme]] pourraient être annulés à peu de frais ; une telle mesure aurait diminué le risque pour les acheteurs qui n’auraient eu alors aucune raison d’hésiter à s’engager pour des sommes exorbitantes. Ces explications sont cependant loin de faire l’unanimité.
[[Image:Pamphlet dutch tulipomania 1637.jpg|thumb|260px|Pamphlet hollandais critiquant la tulipomanie, imprimé en 1637, à la suite de l'effondrement des cours]]
[[Fichier:Tooneel van Flora Handel der Floristen in Amsterdam 1637 (Tulip mania).png|thumb|280px|Pamphlet néerlandais critiquant la tulipomanie, imprimé en 1637, à la suite de l’effondrement des cours.]]
==Histoire==
===Les premières tulipes hollandaises===
[[Image:Charles de l'Écluse 1525-1609.jpg|thumb|160px|[[Charles de l'Écluse]] (1525-1609)]]


== Histoire ==
Venue de [[Constantinople]], la tulipe est introduite aux [[Pays-Bas]] en [[1559]] et devient rapidement l'objet d'un extrême engouement<ref>Garber, 1989, p.537</ref>. On date généralement le début de sa culture aux Pays-Bas des environs de [[1593]], à la suite de la création de l'''[[Hortus Botanicus Leiden|hortus academicus]]'' de l'université de [[Leyde]] par le botaniste flamand [[Charles de l'Écluse]] qui vient d'y être nommé professeur<ref>Dash, 1999, p.59–60</ref>.


=== Les premières tulipes néerlandaises ===
De l'Écluse fait planter dans ce jardin botanique une série de bulbes de tulipes qu'il a fait venir de Bruxelles<ref name="écluse">Charles de L'Écluse, ''Rariorum aliquot stirpium, per Pannoniam, Austriam, & vicinas quasdam provincias observatarum historia'' (Histoire de quelques espèces de plantes rares observées en Pannonie, en Autriche et dans les provinces voisines), imprimé chez [[Christophe Plantin]] en [[1583]]</ref>, tulipes observées pour la première fois à [[Adrianople]], en [[Turquie]] par [[Ogier de Busbecq]] (qui signe ''Busbecquius''), ambassadeur de l'Empereur [[Ferdinand Ier du Saint-Empire|Ferdinand Ier]] auprès du sultan ottoman<ref>Busbecquius, A.G., 1589: ''Legationis Turcicae epistolae quator''. ''Vier brieven over het gezantschap naar. Turkije'', (edité par Z. von Martels), [[Hilversum]] [[1994]]. ''Four epistles of A.G. Busbecquius, concerning his embassy into Turkey''(Londres, 1676; édition hollandaise 1662, exemplaire disponible à la bibliothèque UR de Wageningen)</ref> que de l'Écluse cite en appendice un ouvrage paru en [[1583]], dans lequel il décrit plusieurs variétés de tulipes<ref name="écluse"/>{{,}}<ref name=sources>{{lien web|auteur=Liesbeth Missel, curateur de la bibliothèque Wageningen UR |titre=Sources on the Dutch tulip history|url=http://library.wur.nl/desktop/tulp/history.html}}, pages consultées le {{date|6|novembre|2008}}</ref>. Ces bulbes sont suffisamment résistants pour survivre aux rigueurs du climat hollandais<ref>Goldgar, 2007, p.32</ref>. Les premières tulipes sont méconnues du grand public et ne sont mentionnées que par des botanistes ou des amateurs de plantes rares et de curiosités<ref name=sources/>. Mais la vogue des tulipes se répand du sud des Pays-Bas vers le nord, et l'engouement devient tel qu'assez rapidement des voleurs s'introduisent dans le Jardin botanique de Leyde pour dérober des bulbes<ref name=sources/>.
[[Fichier:Charles de l'Écluse 1525-1609.jpg|thumb|[[Charles de l'Écluse]] (1525-1609).]]


Le début du {{s|XVII}} voit se développer un engouement extraordinaire pour l’[[horticulture]] et le [[jardinage]] dans le nord de l’Europe, et plus particulièrement dans les [[Provinces-Unies]]. Jusqu’en [[1550]], les jardiniers néerlandais cultivent des [[rose (fleur)|roses]], des [[lys]], des [[iris (genre végétal)|iris]], des [[pivoine]]s, des [[ancolie]]s, des [[giroflée odorante|giroflées]] et des [[œillet]]s<ref name="Rheinberger_1998">
Au début du {{s|XVII}} les premiers bulbes font leur apparition sur le marché. Liesbeth Missel cite le nom du hollandais Emanuel Sweerts qui est une des premiers à vendre des oignons à la foire annuelle de Francfort puis d'Amsterdam, et qui commandite un des premiers catalogues, le ''Florilegium'', imprimé en 1612<ref name=sources/>. Celui-ci propose des illustrations de tulipes « cassées », marbrées et flammées, ainsi que des plantes rares et exotiques.
{{Lien web
|url=http://www.mpiwg-berlin.mpg.de/Preprints/P100.PDF
|titre=Vision, ''A Thousand Flowers''
|auteur=Hans-Jorg-Rheinberger
|année=1998
|éditeur=Max Planck Institut für Wissenschaftgeschichte
|consulté le=12 novembre 2008
}}</ref>. Entre [[1500]] et [[1550]], une dizaine d’espèces nouvelles font leur apparition dans l’actuelle [[Belgique]]. Le phénomène s’accélère, avec plus d’une centaine de nouvelles venues entre 1550 et 1600, puis 120 espèces nouvelles entre 1600 et 1615, notamment l’[[anémone couronnée|anémone]], le [[muflier]], la [[Hyacinthus|jacinthe]], le [[jasmin]], le [[Syringa vulgaris|lilas]] et surtout la tulipe<ref name="Rheinberger_1998"/>.

Venue d'[[Istanbul]], celle-ci fait son chemin à travers l’Europe. Sa présence est signalée à [[Augsbourg]] en 1559<ref name="Rheinberger_1998"/>. Vers 1560-1561, elle fait son apparition à [[Bruxelles]], puis [[Anvers]], Paris vers 1566 ; en 1581, le ''Kruydtboeck'' en cite déjà 47 variétés<ref name="Rheinberger_1998"/>. On date généralement le début de sa culture dans les Provinces-Unies aux environs de [[1593]], à la suite de la création de l’''[[Hortus Botanicus Leiden|hortus academicus]]'' de l’université de [[Leyde]] par le botaniste [[Comté de Flandre|flamand]] [[Charles de l'Écluse]] qui vient d’y être nommé professeur<ref>Dash, 1999, p.59–60</ref>.

De l’Écluse fait planter dans ce jardin botanique une série de bulbes de tulipes qu’il a fait venir de Bruxelles<ref name="écluse">Charles de L’Écluse, ''{{langue|la|Rariorum aliquot stirpium, per Pannoniam, Austriam, & vicinas quasdam provincias observatarum historia}}'' (Histoire de quelques espèces de plantes rares observées en Pannonie, en Autriche et dans les provinces voisines), imprimé chez [[Christophe Plantin]] en [[1583]]</ref>. Les tulipes avaient été observées pour la première fois à [[Andrinople]], en [[Turquie]] par [[Ogier de Busbecq]] (qui signe ''Busbecquius''), ambassadeur de l’Empereur [[Ferdinand Ier du Saint-Empire|Ferdinand {{Ier}}]] auprès du sultan ottoman [[Soliman le Magnifique]]<ref>Busbecquius, A.G., 1589: ''{{langue|la|Legationis Turcicae epistolae quator}}''. ''{{langue|nl|Vier brieven over het gezantschap naar. Turkije}}'', (édité par Z. von Martels), [[Hilversum]] [[1994]]. ''{{langue|en|Four epistles of A.G. Busbecquius, concerning his embassy into Turkey}}'' (Londres, 1676 ; édition néerlandaise 1662, exemplaire disponible à la bibliothèque UR de Wageningen)</ref> . De l’Écluse le cite en appendice d’un ouvrage paru en [[1583]], dans lequel il décrit plusieurs variétés de tulipes<ref name="écluse"/>{{,}}<ref name=sources>{{lien web|auteur=Liesbeth Missel, curateur de la bibliothèque Wageningen UR |titre=Sources on the Dutch tulip history|url=http://library.wur.nl/desktop/tulp/history.html}}, pages consultées le {{date|6|novembre|2008}}</ref>. Ces bulbes sont suffisamment résistants pour survivre aux rigueurs du climat néerlandais<ref>Goldgar, 2007, p.32</ref>. Les premières tulipes sont méconnues du grand public et ne sont mentionnées que par des botanistes ou des amateurs de plantes rares et de curiosités<ref name=sources/>. Mais la vogue des tulipes se répand du sud des Pays-Bas vers le nord, et l’engouement devient tel qu’assez rapidement des voleurs s’introduisent dans le Jardin botanique de Leyde pour dérober des bulbes<ref name=sources/>.

Au début du {{s-|XVII}} les premiers bulbes font leur apparition sur le marché. Des bourgeois fortunés plantent des jardins privés à l’arrière de leur maison, notamment dans ce qui est aujourd’hui le centre historique de la ville d’[[Amsterdam]], le long de canaux comme le [[Canaux d'Amsterdam#Keizersgracht|Keizersgracht]] ou le [[Canaux d'Amsterdam#Herengracht|Herengracht]]<ref name="Rheinberger_1998"/>. L’époque se passionne pour la création d’hybrides et de nouvelles variétés, créant une demande pour les livres illustrés de gravures, livres destinés aux amateurs et aux professionnels de l’horticulture et non plus aux botanistes<ref name="Rheinberger_1998"/>. Le Néerlandais [[Emanuel Sweerts]], pionnier de la vente d’oignons de tulipe sur la foire annuelle de [[Francfort]] puis d’Amsterdam, publie un des premiers catalogues ouvertement commerciaux, le ''Florilegium'', imprimé en 1612 après ''Le Jardin du Roy Tres Chrestien Henry IV'', de Pierre Vallet, paru en 1608<ref name="Rheinberger_1998"/>.
Sweerts cite de nombreuses variétés de tulipes<ref name="Rheinberger_1998"/>, avec des illustrations de tulipes « cassées », marbrées et flammées, ainsi que de plantes rares et exotiques.


===Les tulipes deviennent un article et un symbole de luxe===
===Les tulipes deviennent un article et un symbole de luxe===
{{article détaillé|Tulipe}}
{{article détaillé|Tulipe}}
[[Image:Semper Augustus Tulip 17th century.jpg|thumb|160px|left| Variété ''Semper Augustus''. Dessin du {{XVIIe siècle}}]]
[[:Semper Augustus Tulip 17th century.jpg|thumb|left|Variété ''Semper '' du {{XVIIe siècle}}]]
La fleur devenant bientôt un article de luxe convoité et un signe de richesse, de nombreuses variétés voient le jour. Elles sont identifiées selon leurs couleurs : les tulipes monochromes rouges, jaunes ou blanches sont des ''Couleren'', moins populaires que les tulipes de deux couleurs comme les ''Rosen'' (rouges ou roses sur fond blanc), les ''Violetten'' (mauves et lilas sur fond blanc) voire les ''Bizarden'' (rouges, brunes ou violettes sur fond jaune) qui sont les plus recherchées<ref>Dash, 1999, p.66</ref>.


Ces bulbes rares et précieux produisent des fleurs aux pétales marbrées de couleurs vives dues, on le sait aujourd'hui, à la présence d'un [[potyvirus]], sorte de virus de la mosaïque de la tulipe<ref>{{lien web|auteur=S. Philipps|titre=Phytovirus en ligne : description et catalogue de la base de données VIDE|url=http://image.fs.uidaho.edu/vide/descr849.htm|date={{date|20|août|1996}}|consulté le=15 août 2008}}</ref>{{,}}<ref>Garber, 1989, p.542</ref>.
Ces bulbes rares et précieux produisent des fleurs aux pétales de couleurs vives dues, on le sait , à la présence [[potyvirus]], sorte de virus de la mosaïque de la tulipe<ref>{{lien web|auteur=S. Philipps|titre=Phytovirus en ligne : description et catalogue de la base de données VIDE|url=http://image.fs.uidaho.edu/vide/descr849.htm|date={{date|20|août|1996}}|consulté le=15 août 2008}}</ref>{{,}}<ref>Garber, 1989, p.542</ref>.


[[Fichier:Flowers in a Glass Vase.jpg|thumb|upright=0.8|[[Balthasar van der Ast]], bouquet de fleurs : la tulipe qui se fane, les roses qui retombent dénotent l’éphémère ; en haut l’âme (le papillon) prête à s’envoler.]]
Les cultivateurs baptisent leurs créations de titres ronflants. Les premières variétés sont gratifiées du titre « amiral » précédant le nom de leur créateur comme l' ''amiral van der Eijck'', peut-être la plus populaire au sein d'une cinquantaine de variétés possédant ce titre. ''Generael'', en français « général » se retrouve dans le nom d'une trentaine de variétés. Des variétés plus tardives sont affublées de noms encore plus grandioses, inspirés de celui d'[[Alexandre le Grand]] ou de [[Scipion l'Africain]]; on voit même « amiral des amiraux » ou « général des généraux ». Cependant il est très difficile de donner des noms à des variétés essentiellement instables<ref>Dash, 1999, p.106–07</ref> et la plupart d'entre elles ont disparu aujourd'hui. Les espèces polychromes cultivées actuellement doivent leurs couleurs panachées à la sélection et non aux [[phytovirus]]<ref>Garber, 2000, p.41</ref>.
Cet engouement pour la fleur se retrouve dans la peinture néerlandaise et [[Flandre (Belgique)|flamande]] de l’époque. La tulipe a fait son apparition dans la seconde partie du {{s|XVI}} dans les ouvrages spécialisés, sous forme de planches botaniques savantes<ref name=sources/>. Puis, alors que les premières natures mortes s’affirment en tant que genre indépendant, quelques variétés monochromes apparaissent, d’abord discrètement, dans les ''Bouquets de fleurs'' dont [[Jan Brueghel l'Ancien]] se fait une spécialité. Dans une ''Allégorie de la vue'' qu’il produit avec [[Pierre Paul Rubens|Rubens]] en 1617, Brueghel peint un bouquet qui contient quelques tulipes dans un [[cabinet de curiosités]], au milieu d’un capharnaüm de tableaux et d’objets en tous genres<ref>Madrid, musée du Prado</ref>{{,}}<ref name="Rheinberger_1998"/>. Progressivement des peintres comme [[Roelandt Savery]], [[Balthasar van der Ast]], [[Ambrosius Bosschaert]], [[Jan Davidszoon de Heem]], [[Abraham Bosschaert]]<ref>{{lien web|langue=en|auteur=Vancouver art gallery|titre=Roland Savery (Untitled) Flowers in a Vase (Vase de fleurs), 1615|url=http://projects.vanartgallery.bc.ca/publications/75years/pdf/Savery_Roelandt_24.pdf|lieu=Vancouver}}</ref> représentent des variétés de formes et de couleurs de plus en plus précieuses, les ''Rosen'', ''Violetten'' et ''Bizarden'' si recherchées.


De plus en plus, les tulipes « cassées », c’est-à-dire infectées par un [[phytovirus]], dominent le bouquet et triomphent progressivement des roses, des lys et des ancolies<ref>Voir notamment la page [[commons:Category:Tulips in art|Les Tulipes dans l’art]] sur Wikipedia Commons</ref>. Parallèlement sont publiés des catalogues de fleurs, comme celui d’[[Emanuel Sweerts]] (''Florilegium'', 1612) qui est suivi du ''Florilegium novum'' de [[Théodore de Bry]] en 1612-1614, de l’''Hortus Eystettensis'' du pharmacien Basile Bessler en 1613, et de l’''Hortus Floridus'' de [[Crispin de Passe l'Ancien|Crispin de Passe]] en 1614. La tulipe fait même son apparition dans le Jardin d’Eden, au frontispice d’une réédition d’un manuel anglais de jardinage. Dans cette édition de 1635, la tulipe est à la verticale de l’arbre de la connaissance du bien et du mal<ref>{{Ouvrage|langue=en|auteur1=John Parkinson|titre=Paradisi in Sole Paradisus Terrestris : Or A Garden of All Sorts of Pleasant Flowers which our English Ayre will Permitt to be Noursed Vp. With a Kitchen Garden of All Manner of Herbes, Rootes, & Fruites, for Meate or Sause Vsed with Vs, and an Orchard of All Sorte of Fruitbearing Trees and Shrubbes Fit for Our Land. Together with the Right Orderinge, Planting & Preserving of Them and Their Uses and Vertues Collected by Iohn Parkinson Apothecary of London|lieu=Londres|éditeur=Humfrey Lownes et Robert Young à l’enseigne de l’étoile sur Bread-Street Hill|année=1635}}</ref>.
[[Image:Flowers in a Glass Vase.jpg|thumb|200px|[[Balthasar van der Ast]], bouquet de fleurs : la tulipe qui se fane, les roses qui retombent dénotent l'éphémère; en haut l'âme (le papillon) prête à s'envoler]]
Cet engouement pour la fleur va se retrouver dans la peinture hollandaise de l'époque. La tulipe a fait son apparition dans la seconde partie du {{s|XVI}} dans les ouvrages spécialisés, sous forme de planches botaniques savantes<ref name=sources/>. Puis, alors que les premières natures mortes s'affirment en tant que genre indépendant, quelques variétés monochromes apparaissent, d'abord discrètement, dans les ''Bouquets de fleurs'' dont [[Jan Bruegel l'Ancien]] se fait une spécialité. Progressivement des peintres comme [[Roelandt Savery]], [[Balthasar van der Ast]], [[Ambrosius Bosschaert]], [[Jan Davidszoon de Heem]], [[Abraham Bosschaert]]<ref>{{lien web|langue=en|auteur=Vancouver art gallery|titre=Roland Savery (Untitled) Flowers in a Vase (Vase de fleurs), 1615|url=http://projects.vanartgallery.bc.ca/publications/75years/pdf/Savery_Roelandt_24.pdf|date=|lieu=Vancouver|}}</ref> représentent des variétés de formes et de couleurs de plus en plus plus précieuses, les ''Rosen'', ''Violetten'' et ''Bizarden'' si recherchées.


Le commerce des plantes se développa dans toute l'Europe, et les marchands publièrent des catalogues de vente, comme le firent les fils de Pierre Morin, et Jean-Baptiste Dru.
De plus en plus, les tulipes « cassées », c'est à dire infectées par le potyvirus, dominent le bouquet et triomphent progressivement des roses, des lys et des ancolies<ref>Voir notamment la page [http://commons.wikimedia.org/wiki/Category:Tulips_in_art Les Tulipes dans l'art] sur Wikipedia Commons</ref>. Parallèlement sont publiés des catalogues, comme celui du hollandais Emmanuel Sweert (''Florilegium'', 1612) qui contient aussi des illustrations de plantes rares et exotiques. La tulipe apparaît donc à la fois comme un objet de luxe et une curiosité propre à intéresser les collectionneurs<ref name=sources/>.


Pierre Morin père possédait un jardin à Paris, qui se trouvait rue de Thorigny (dans le Marais) et fit commerce des plantes qu’il cultivait. Ses fils Pierre l’aîné, René et Pierre le jeune prirent sa suite. René s’installa dans une zone alors peu urbanisée, le faubourg Saint-Germain, dans la propriété vraisemblablement reprise plus tard par son frère Pierre le jeune. Il publia son catalogue, ''Catalogus plantarum horti Renati Morini,'' en 1621 : il comprend cent variétés de tulipes, des renoncules, iris et anémones.
En 1614, Crispin de Passe le jeune publie à son tour un ''Hortus Floridus''<ref name=sources/>, mais c'est à partir de [[1634]] que se multiplient les catalogues, où figurent des variétés de plus en plus nombreuses et extravagantes, parfois réalisés par des peintres de renom <ref name=sources/>; cette multiplication suit la montée de la cote des tulipes qui permet d'en amortir le coût. Le plus célèbre est celui du pépiniériste P. Cos de Haarlem, paru en 1637, l'année de la crise <ref name=sources/>. Sans prétention artistique, ce catalogue fournit des données précises sur les appellations, les poids des bulbes et leur prix<ref name=sources/>. La tulipe fait même son apparition dans le Jardin d'Eden, au frontispice d'une réédition d'un manuel anglais de jardinage. Dans cette édition de 1635, la tulipe est à la verticale de l'arbre de la connaissance du bien et du mal<ref>{{ouvrage|langue=en|éditeur=Humfrey Lownes et Robert Young à l'enseigne de l'étoile sur Bread-Street Hill|auteur=John Parkinson|titre= Paradisi in Sole Paradisus Terrestris : Or A Garden of All Sorts of Pleasant Flowers which our English Ayre will Permitt to be Noursed Vp. With a Kitchen Garden of All Manner of Herbes, Rootes, & Fruites, for Meate or Sause Vsed with Vs, and an Orchard of All Sorte of Fruitbearing Trees and Shrubbes Fit for Our Land. Together with the Right Orderinge, Planting & Preserving of Them and Their Uses and Vertues Collected by Iohn Parkinson Apothecary of London|lieu= Londres|année=1635}}</ref>.


Pierre le jeune prit la succession de son père, et hérita également de son frère René (mort un peu avant 1658). On sait qu’il épousa Françoise de La Brosse (cousine de [[Guy de La Brosse]]) le {{date-|4 mai 1619}}. Il fut assez célèbre pour que [[John Evelyn]] lui rende visite, et le mentionne dans son Journal<ref>''The diary of John Evelyn from 1641 to 1705-6'' : Pierre Morin "who from being an ordinary gardner is become one of the most skillful and curious persons in France for his rare collection of shells, flowers, & insects." Evelyn ajoute que P. Morin a fait peindre, en miniature ou à l’huile, certaines de ses raretés.</ref> Pierre le jeune publia : ''Catalogues de quelques plantes à fleurs qui sont de present au Jardin de P. Morin le jeune, dit Troisième : fleuriste. Scitué au Faux-bourg Saint-Germain, proche la [[Hôpital de la Charité de Paris|Charité]]'', 1651, comprenant : ''Catalogue des Tulipes qui sont de present au Jardin de P. Morin le jeune, dit Troisième : fleuriste'' et des catalogues des "ranoncules de Tripoli" ; des iris bulbeux; des anémones). En 1658 parurent les ''Remarques nécessaires pour la culture des fleurs'' (chez Charles de Sercy). L’auteur s’y adresse aux « curieux fleuristes ».
===Naissance de la spéculation ===
[[Image:Tulip price index1.svg|left|thumb|280px|[[Indice des prix]] standards des contrats de bulbes de tulipe, établi par Thompson(2007, p.101). Thompson ne disposant pas de données sur l'évolution des prix entre le 9 février et le 1er mai, on ne sait pas quelle courbe elle a suivi. Mais on sait, en revanche, que les cours se sont effondrés en février.<ref>Thompson, 2007, p.109–11</ref>]]
La tulipe est une plante à bulbe qui se reproduit par semence ou par division du bulbe. Les graines produisent un bulbe capable de porter une fleur au bout de sept à douze ans. Dès qu'un bulbe a fleuri, le bulbe mère disparaît, laissant place à un clone pourvu d'un ou plusieurs [[wikt:caïeu|caïeu]]x. Cultivés correctement, ces caïeux deviennent à leur tour des bulbes florifères. Comme le virus mosaïque infecte les caïeux mais pas les graines, la culture d'espèces nouvelles est un processus excessivement laborieux. La reproduction est ralentie par la présence du virus, et les bulbes filles finissent par dégénérer<ref name=sources/>. Les tulipes fleurissent en avril et en mai, sur une période d'environ une semaine les caïeux se formant assez peu de temps après la fin de la floraison. Les bulbes peuvent être déplantés et déplacés de juin à septembre aux Pays-Bas, ce qui explique pourquoi les [[Marché au comptant|ventes au comptant]] ont lieu durant ces deux mois <ref>Garber, 1989, p.541–42</ref>.


René et Pierre le jeune furent des collaborateurs de [[Denis Joncquet]].
Le reste de l'année, les contrats sont signés devant notaire, l'achat devant se faire à la fin de la saison (il s'agit alors de [[marché à terme]])<ref>Garber, 1989, p.541–42</ref>. C'est ainsi que les Hollandais, qui sont à l'origine d'un grand nombre d'instruments de la finance moderne, créent un marché sur lequel le bulbe de tulipe rare se négocie comme [[bien durable]]<ref>Garber, 1989, p.537</ref>. La [[vente à découvert]] est interdite par un édit de 1610, interdiction renforcée par une succession d'édits plus rigoureux encore en 1621, 1630 et de nouveau en 1636. Aux termes de ces décrets, les vendeurs qui pratiquent la vente à découvert ne sont pas passibles de poursuites mais les contrats signés avec eux sont jugés inexécutables<ref>Garber, 2000, p.33–36</ref>.


Le Lyonnais Jean-Baptiste Dru publia son ''Catalogue des plantes<ref>https://archive.org/stream/8S222INV2101FA_P3#page/n67/mode/2up</ref>, tant des tulipes que des autres fleurs qui sont à présent au jardin du sieur Jean-Baptiste Dru, Herboriste du Roy, demeurant proche [l’Abbaye royale de] la [[Monastère Notre-Dame de la Déserte|deserte]] à Lyon'' (près de l’actuelle [[place Sathonay]]) à Lyon (chez Guillaume Barbier). C’est vraisemblablement la deuxième édition qui sortit en 1651 ; une troisième édition parut en 1653. Le catalogue, non illustré, comporte une liste de plantes et quelques conseils de culture. À partir de la troisième édition, les prix des plantes sont ajoutés.
En 1634, en partie du fait de l'apparition d'une demande française qui stimule les ventes, les spéculateurs entrent sur le marché<ref>Garber, 1989, p.543</ref>. En 1636, un système analogue, ''[[mutatis mutandis]]'', à une [[bourse de commerce]] où se négocient les contrats de vente à terme de tulipes s'est mis en place au Pays-Bas. Les négociants se réunissent en « collèges » dans des auberges et les acheteurs doivent s'acquitter d'un [[pourboire]] d'un montant égal à 2,5% de la transaction (pourboire plafonné à trois florins). Ni l'une ni l'autre partie ne fournissent de dépôt de garantie et il n'existe pas de système d'[[appel de marge]]. Tous les contrats se font directement entre les deux parties et non dans le cadre d'une [[chambre de compensation]].


Cette multiplication du nombre de catalogues suit la montée de la cote des tulipes qui permet d’amortir le coût des catalogues. Le plus célèbre est celui du pépiniériste P. Cos de Haarlem, paru en 1637, l’année de la crise<ref name=sources/>. Sans prétention artistique, ce catalogue fournit des données précises sur les appellations, les poids des bulbes et leur prix<ref name=sources/>.
Plus la popularité des tulipes s'élève et plus les horticulteurs sont prêts à payer des prix élevés pour des bulbes atteints par le potyvirus. Cependant l'absence de registres tenus systématiquement et donc de données fiables concernant les prix réels auxquels se négociaient les tulipes font qu'il est délicat d'évaluer l'ampleur de la crise. La majeure partie des données provient de pamphlets à charge, mettant en scène "Gaergoedt et Warmondt" (c'est à dire « Envie des biens » et « Bouche de vérité »), pamphlets qui sont rédigés juste après la crise.


=== Naissance de la spéculation ===
L'économiste Peter M. Garber a pu établir un catalogue des ventes de 161 bulbes de 36 variétés différentes entre 1633 et 1637, dont 53 sont signalés par GW. 98 ventes sont enregistrées le dernier jour qui précède l'effondrement, le 5 février 1637, avec une fourchette de prix extrêmement large. Ces ventes s'effectuent de façon variable, les unes étant des ventes à terme au sein des « collèges », les autres des ventes au comptant faites par les cultivateurs de tulipes, les autres enfin des promesses de ventes signées devant notaire ou des ventes de biens. Gerber remarque que pour se faire une idée des cours, on doit se contenter de données hétéroclites : {{citation| Les données disponibles sur les prix sont dans une large mesure un mélange de torchons et de serviettes }}<ref>[[#Garber_2000|Garber 2000]], p. 49–59 et 138–144</ref>.
[[Fichier:Tulip price index1.svg|left|thumb|[[Indice des prix]] standards des contrats de bulbes de tulipe, établi par Thompson (2007, p.101). Thompson ne disposant pas de données sur l’évolution des prix entre le 9 février et le {{1er}} mai, on ne sait pas quelle courbe elle a suivi. Mais on sait, en revanche, que les cours se sont effondrés en février<ref>Thompson, 2007, p.109–11</ref>.]]


La tulipe est une plante à bulbe qui se reproduit par semence ou par division du bulbe. Les graines produisent un bulbe capable de porter une fleur au bout de sept à douze ans. Dès qu’un bulbe a fleuri, le bulbe mère disparaît, laissant place à un clone pourvu d’un ou plusieurs [[wikt:caïeu|caïeu]]x filles. Cultivés correctement, ces caïeux deviennent à leur tour des bulbes florifères. Comme le virus mosaïque infecte les caïeux mais pas les graines, la culture d’espèces nouvelles est un processus extrêmement laborieux. La reproduction est ralentie par la présence du virus, et les bulbes filles finissent par dégénérer<ref name=sources/>. Les tulipes fleurissent en avril et en mai, sur une période d’environ une semaine, les caïeux se formant assez peu de temps après la fin de la floraison. Les bulbes peuvent être déplantés et replantés entre juin et septembre aux Pays-Bas, ce qui explique pourquoi les [[Marché au comptant|ventes au comptant]] ont lieu durant ces deux mois<ref name="Garber54142">Garber, 1989, p.541–42</ref>.
Selon [[Jacques Marseille]], en [[1623]] le bulbe d’une variété rare, ''Semper Augustus'', s'affiche à {{formatnum:1000}} [[florin]]s, {{formatnum:2000}} en [[1625]], et {{formatnum:5500}} en [[1637]], le revenu annuel moyen de l’époque étant de 150 florins<ref name=martin>{{Périodique
|auteur=Jacques Marseille
|titre=Les grandes crises et ce qu’elles nous ont appris
|revue= [[Capital (mensuel)|Capital]]
|date=mai [[2007]]
|sous-titre=L’affaire des tulipes hollandaises, première folie spéculative de l’histoire
|titre vol=Hors série
|no=3
|pages=71
|ISSN=1162-6704
|lang=fr}}</ref>. En 1635, il devient possible d’acheter des parts de bulbe<ref name=martin/>. En février 1637, une variété atteint le prix record de {{formatnum:6700}} florins<ref name=martin/>. Le prix d'un seul oignon peut atteindre en 1637 la valeur de deux maisons, huit fois celui d'un veau gras et quinze fois le salaire annuel d’un artisan<ref name=martin/>.


Le reste de l’année, les contrats sont signés devant notaire, l’achat devant se faire à la fin de la saison (il s’agit alors de [[marché à terme]])<ref name="Garber54142"/>. C’est ainsi que les Néerlandais, qui sont à l’origine d’un grand nombre d’instruments de la finance moderne, créent un marché sur lequel le bulbe de tulipe rare se négocie comme [[bien durable]]<ref>Garber, 1989, p.537</ref>.
===Effondrement des cours===
En 1634, en partie du fait de l’apparition d’une demande française qui stimule les ventes, les spéculateurs entrent sur le marché<ref>Garber, 1989, p.543</ref>. En 1636, un système analogue à une [[bourse de commerce]] où se négocient les contrats à terme de tulipes s’est mis en place aux Pays-Bas. Les négociants se réunissent en « collèges » dans des auberges et les acheteurs doivent s’acquitter d’un [[pourboire]] d’un montant égal à 2,5 % de la transaction (pourboire plafonné à trois florins). Ni l’une ni l’autre partie ne fournissent de dépôt de garantie et il n’existe pas de système d’[[appel de marge]]. Tous les contrats se font directement entre les deux parties et non dans le cadre d’une [[chambre de compensation]].
Le cours des bulbes rares continue à s'élever tout au long de l'année 1636. En novembre, le prix des bulbes ordinaires non infectés par le potyvirus se met également à monter. Les Néerlandais qualifient la spéculation sur les contrats de vente à terme de ''Windhandel'', littéralement « commerce du vent », parce que les transactions ne portent pas sur des bulbes réels<ref>Goldgar, 2007, p.322</ref>. Mais en février 1637, le prix des contrats de vente de bulbes de tulipe s'effondre brutalement, mettant fin au ''commerce du vent''<ref>Garber, 1989, p.543–44</ref>. La chute des cours est si subite qu' aucun des contrats ne peut être honoré. Le foyer de ces échanges se trouvant à [[Haarlem]], dans une ville ravagée par une épidémie de [[peste bubonique]], il est possible que le contexte ait contribué à développer un état d'esprit enclin au fatalisme et à la prise de risques<ref>Garber, 2000, p. 37–38, 44–47</ref>.


Plus la popularité des tulipes s’élève et plus les horticulteurs sont prêts à payer des prix élevés pour des bulbes atteints par le potyvirus. Cependant l’absence de registres tenus systématiquement et donc de données fiables concernant les prix réels auxquels se négociaient les tulipes font qu’il est délicat d’évaluer l’ampleur de la crise. La majeure partie des données provient de pamphlets à charge, mettant en scène ''Gaergoedt et Waermondt'' (ou GW), c’est-à-dire « Envie des biens » et « Bouche de vérité ».
==Les théories sur la crise==
===Sources primaires ===
Le débat actuel sur la crise de la tulipe remonte à la parution de l'ouvrage d'un journaliste écossais, [[Charles Mackay]], intitulé ''Extraordinary Popular Delusions and the Madness of Crowds'', publié en 1841 ; Mackay fait l'hypothèse que les foules se conduisent souvent de façon irrationnelle et que la tulipomanie, ainsi que le [[Krach de 1720]] et l'échec de la [[Compagnie du Mississippi]], sont parmi les premières crises économique à exhiber les syndromes de cette folie collective. Sa thèse se fonde en grande partie sur les informations qu'il tire d'un ouvrage de [[Johann Beckmann]], ''A History of Inventions, Discoveries, and Origins'', publié en 1797. L'ouvrage de Beckam, quant à lui, se fonde sur trois pamphlets anonymes parus en [[1637]], qui s'attaquent violemment au principe de la spéculation<ref>Garber, 1990, p.37</ref>. Avec son style enlevé, l'ouvrage de Mackay est resté populaire auprès de générations d'économistes et de spécialistes des marchés boursiers. L'analyse qu'il donne de la crise de la tulipe comme étant le résultat d'une bulle spéculative reste encore largement accepté aujourd'hui, même si de nombreux économistes en ont montré les limites depuis 1980 <ref>Garber, 1990, p.37</ref>.


L’économiste Peter M. Garber a pu établir un catalogue des ventes de 161 bulbes de 36 variétés différentes entre 1633 et 1637, dont 53 sont signalés par GW. 98 ventes sont enregistrées le dernier jour qui précède l’effondrement, le {{date-|5 février 1637}}, avec une fourchette de prix extrêmement large. Ces ventes s’effectuent de façon variable, les unes étant des ventes à terme au sein des « collèges », les autres des ventes au comptant faites par les cultivateurs de tulipes, les autres enfin des promesses de ventes signées devant notaire ou des ventes de biens. Garber remarque que pour se faire une idée des cours, on doit se contenter de données hétéroclites : {{citation|Les données disponibles sur les prix sont dans une large mesure un mélange de torchons et de serviettes }}<ref>[[#Garber_2000|Garber 2000]], p. 49–59 et 138–144.{{ISSN|1162-6704}}.</ref>. En 1635, il devient possible d’acheter des parts de bulbe. En {{date-|février 1637}}, une variété atteint le prix record de {{formatnum:6700}} florins. Le prix d’un seul oignon peut atteindre en 1637 la valeur de deux maisons, huit fois celui d’un veau gras et quinze fois le salaire annuel d’un artisan.
===La crise selon Mackay===

{| class="infobox" style="float:right; clear:all; margin-left:1em; margin-right:1em; margin-top:0em; font-size:90%; width:180pt;"
=== Effondrement des cours ===
[[Fichier:Jean-Léon Gérôme - The Tulip Folly - Walters 372612.jpg|thumb|''[[Le Duel à la tulipe|Folie tulipère]]'', [[Jean-Léon Gérôme]], 1882.]]
Le cours des bulbes rares continue à s’élever tout au long de l’année 1636. En novembre, le prix des bulbes ordinaires non infectés par le potyvirus se met également à monter. Les Néerlandais qualifient la spéculation sur les contrats à terme de ''Windhandel'', littéralement « commerce du vent », parce que les transactions ne portent pas sur des bulbes réels<ref name="Goldgar322">Goldgar, 2007, p.322</ref>. Mais en {{date-|février 1637}}, le prix des contrats à terme de bulbes de tulipe s’effondre brutalement, mettant fin au ''commerce du vent''<ref>Garber, 1989, p.543–44</ref>. La chute des cours est si subite qu’aucun des contrats ne peut être honoré. Le foyer de ces échanges se trouvant à [[Haarlem]], dans une ville ravagée par une épidémie de [[peste bubonique]], il est possible que le contexte ait contribué à développer un état d’esprit enclin au fatalisme et à la prise de risques<ref>Garber, 2000, p. 37–38, 44–47</ref>.

== Les théories sur la crise ==

=== Sources primaires ===

Le débat actuel sur la crise de la tulipe remonte à la parution de l’ouvrage d’un journaliste écossais, [[Charles Mackay]], intitulé ''{{langue|en|Extraordinary Popular Delusions and the Madness of Crowds}}'', publié en 1841 ; Mackay fait l’hypothèse que les foules se conduisent souvent de façon irrationnelle et que la tulipomanie, ainsi que le [[Krach de 1720]] et l’échec de la [[Compagnie du Mississippi]], sont parmi les premières crises économique à exhiber les syndromes de cette folie collective. Sa thèse se fonde en grande partie sur les informations qu’il tire d’un ouvrage de [[Johann Beckmann]], ''{{langue|en|A History of Inventions, Discoveries, and Origins}}'', publié en 1797. L’ouvrage de Beckmann, quant à lui, se fonde sur trois pamphlets anonymes parus en [[1637]], qui s’attaquent violemment au principe de la spéculation<ref name="Garber37">Garber, 1990, p.37</ref>. Avec son style enlevé, l’ouvrage de Mackay est resté populaire auprès de générations d’économistes et de spécialistes des marchés boursiers. L’analyse qu’il donne de la crise de la tulipe comme étant le résultat d’une bulle spéculative reste encore largement acceptée aujourd’hui, même si de nombreux économistes en ont montré les limites depuis 1980<ref name="Garber37"/>.

=== La crise selon Mackay ===

{| class="wikitable" style="float:right; clear:all; margin-left:1em; margin-right:1em; margin-top:0em; font-size:90%; width:180pt;"
!style="background:#DCDCDC;" colspan="2"|Marchandises échangées selon Mackay contre un bulbe unique de la variété ''Viceroi''<ref name=Mac3/>
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|width="110pt"|2 [[muid]]s de blé
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|width="40pt"|448 florins
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|width="110pt"|4 muids de seigle
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|width="40pt"|558 florins
|width=""|558 florins
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|width="110pt"|Quatre bœufs gras
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|width="40pt"|480 florins
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|width="110pt"|8 porcs gras
|width=""|8 porcs gras
|width="40pt"| 240 florins
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|width="110pt"|12 moutons gras
|width=""|12 moutons gras
|width="40pt"|120 florins
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|width="110pt"|2 barriques de vin
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|width="40pt"|70 florins
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|width="110pt"|4 tonneaux de bière
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|width="40pt"|32 florins
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|width="110pt"|2 tonnes de beurre
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|width="40pt"|192 florins
|width=""|192 florins
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|width="110pt"|1.000 livres de fromage
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|width="40pt"|120 florins
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|width="110pt"|1 lit complet
|width=""|1 lit complet
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|width="110pt"|1 habillement complet
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|width="40pt"|80 florins
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|width="110pt"|1 gobelet d'argent
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|width="40pt"|60 florins
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|width="110pt"|'''Total'''
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|width="40pt"|2500 florins
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Selon Mackay, l'engouement manifesté pour les tulipes au début du {{s|XVII}} va affecter toutes les classes de la société. {{citation|Toute la population, jusqu'à la lie des mortels, se lança dans le commerce de la tulipe}}<ref name=Chap3/>. Un acte écrit de [[1635]] atteste de la vente de 40 bulbes pour une somme de 100.000 florins. Pour se faire une idée de ce que représente cette somme, il faut savoir qu'une tonne de beurre coûte alors environ 100 florins, qu'un ouvrier spécialisé peut gagner jusqu'à 150 florins par an, et que « huit porcs gras » reviennent à 240 florins<ref name=Chap3/>. L'[[institut international d'histoire sociale]] estime qu'un florin vaut à l'époque l'équivalent de 10,28 [[euro]]s de 2002<ref>Goldgar, 2007 p. 323</ref>.


Selon Mackay, l’engouement manifesté pour les tulipes au début du {{s|XVII}} affecte toutes les classes de la société. {{citation|Toute la population, jusqu’à la lie des mortels, se lança dans le commerce de la tulipe}}<ref name=Chap3/>. Un acte écrit de [[1635]] atteste de la vente de 40 bulbes pour une somme de {{formatnum:100000}} florins. Pour se faire une idée de ce que représente cette somme, il faut savoir qu’une tonne de beurre coûte alors environ 100 florins, qu’un ouvrier spécialisé peut gagner jusqu’à 150 florins par an, et que « huit porcs gras » reviennent à 240 florins<ref name=Chap3/>. L’[[Institut international d'histoire sociale]] estime qu’un florin vaut à l’époque l’équivalent de 10,28 [[euro]]s de 2002<ref>Goldgar, 2007 p. 323</ref>, soit 12,56 € de 2017.
En 1636, observe Mackay, les tulipes se négocient sur le marché du change dans de nombreuses villes et bourgades néerlandaises. Cet état de fait encourage tous les membres de la société à se lancer dans le commerce de la tulipe ; Mackay raconte que des spéculateurs vendent ou échangent tous leurs bien pour jouer sur les cours de la tulipe; il donne l'exemple d'une promesse d'échanger un terrain de 49.000 m{{2}} contre un ou deux bulbes de ''Semper Augustus ''; il cite également le cas d'un bulbe unique de la variété ''Viceroi'' échangé contre un ensemble de marchandises évalué à 2.500 florins (voir tableau ci-contre)<ref name=Mac3>Au chapitre III de son ouvrage (1841) Mackay affirme que cet ensemble de marchandises aurait bien été échangé contre un bulbe de tulipe (Mackay, 1841), information reprise par [[Simon Schama]] en 1987, mais Krelage (1942) et Garber (2000), p. 81–83 critiquent cette interprétation de la source primaire, un pamphlet anonyme; ils pensent que l'auteur n'a dressé ce catalogue des prix et des biens qui y figure que pour donner aux lecteurs une base de comparaison pour se faire une idée de la valeur du florin.</ref>.
{{citation|Beaucoup de personnes devinrent riches du jour au lendemain. Un appât doré était tendu aux citoyens, et, l'un après l'autre, ils se précipitèrent sur le marché de la tulipe, comme des abeilles autour d'un pot de miel. Chacun était persuadé que la folie des tulipes durerait toujours, que les riches du monde entier en importeraient de Hollande et seraient prêts à payer n'importe quel prix. Les richesses d'Europe afflueraient jusqu'aux rives du Zuyder Zee et la pauvreté disparaîtrait à jamais de sous le ciel hollandais. Les nobles, les citoyens, les fermiers, les manœuvres, les matelots, les valets et les servantes, même les ramoneurs et les vieilles fripières voulaient leur part du marché de la tulipe<ref name=Chap3/>.}}


En 1636, observe Mackay, les tulipes se négocient sur le marché du change dans de nombreuses villes et bourgades néerlandaises. Cet état de fait encourage tous les membres de la société à se lancer dans le commerce de la tulipe ; Mackay raconte que des spéculateurs vendent ou échangent tous leurs biens pour jouer sur les cours de la tulipe ; il donne l’exemple d’une promesse d’échanger un terrain de {{Unité|49000|m|2}} contre un ou deux bulbes de ''Semper Augustus'' ; il cite également le cas d’un bulbe unique de la variété ''Viceroi'' échangé contre un ensemble de marchandises évalué à {{formatnum:2500}} florins (voir tableau ci-contre)<ref name=Mac3>Au chapitre III de son ouvrage (1841) Mackay affirme que cet ensemble de marchandises aurait bien été échangé contre un bulbe de tulipe (Mackay, 1841), information reprise par Simon Schama (''L’Embarras de richesses'') en 1987, mais Krelage (1942) et Garber (2000), p. 81–83 critiquent cette interprétation de la source primaire, un pamphlet anonyme ; ils pensent que l’auteur n’a dressé ce catalogue des prix et des biens qui y figurent que pour donner aux lecteurs une base de comparaison afin qu’ils se fassent une idée de la valeur du florin.</ref>.
Mackay reprend dans son récit un certain nombre d'anecdotes amusantes mais probablement apocryphes, comme celle du marin qui voulait croquer la tulipe d'un marchand qu'il prenait pour un [[oignon]] : le marchand et sa famille retrouvèrent le matelot en train de {{citation|faire un petit-déjeuner dont le prix aurait pu suffire à nourrir l'équipage pendant toute une année<ref name=Chap3/>.}} En février 1637, explique Mackay, les vendeurs de tulipes ont du mal à trouver acquéreurs pour des oignons de tulipes qui atteignent des prix de plus en plus exorbitants. Ce fléchissement du marché se faisant sentir, la demande s'effondre, entraînant la chute des prix. La bulle spéculative vient d'éclater. Les uns sont en devoir honorer des engagements d'achat à des prix dix fois supérieurs à ceux du marché réel, les autres se retrouvent à la tête d'un capital d'oignons de tulipes qui ne vaut plus qu'une fraction du prix qu'ils ont déboursé pour l'acquérir. Les Hollandais ne savent plus à quel saint se vouer ; Chacun accuse l'autre d'être responsable de la catastrophe<ref name=Chap3/>.


Mackay reprend dans son récit un certain nombre d’anecdotes amusantes mais probablement apocryphes, comme celle du marin qui voulait croquer la tulipe d’un marchand qu’il prenait pour un [[oignon]] : le marchand et sa famille retrouvèrent le matelot en train de {{citation|faire un petit-déjeuner dont le prix aurait pu suffire à nourrir l’équipage pendant toute une année<ref name=Chap3/>}}. En {{date-|février 1637}}, explique Mackay, les vendeurs de tulipes ont du mal à trouver acquéreurs pour des oignons de tulipes qui atteignent des prix de plus en plus exorbitants. Ce fléchissement du marché se faisant sentir, la demande s’effondre, entraînant la chute des prix. La bulle spéculative vient d’éclater. Les uns sont en devoir d'honorer des engagements d’achat à des prix dix fois supérieurs à ceux du marché réel, les autres se retrouvent à la tête d’un capital d’oignons de tulipes qui ne vaut plus qu’une fraction du prix qu’ils ont déboursé pour l’acquérir. Les Néerlandais ne savent plus à quel saint se vouer, chacun accuse l’autre d’être responsable de la catastrophe<ref name=Chap3/>.
Selon Mackay, les spéculateurs aux abois se tournent alors vers le gouvernement des Pays-Bas, qui déclare que toute personne ayant acheté des contrats de vente à terme peut les dénoncer en s'acquittant d'un paiement égal à 10% du prix figurant sur le contrat. Les tentatives pour trouver des solutions qui satisferaient les intérêts de toutes les parties restent vaines. La folie des tulipes prend fin, explique Mackay, laissant les particuliers en possession des oignons de tulipes qu'ils détenaient au moment de l'effondrement des prix. Il ne se trouve aucun tribunal pour obliger les débiteurs à honorer leur dette car les juges assimilent les dettes spéculatives à des dettes de [[jeu de hasard|jeu]] dont la loi n'oblige pas le remboursement (d'où l'expression « [[wikt:dette d’honneur|dettes d'honneur]] »)<ref name=Chap3/>.


Toujours selon Mackay, la mode de la tulipe se répandit dans d'autres régions d'Europe sans toutefois égaler la démesure qu'elle avait connu aux Pays-Bas. Il affirme également que dans le sillage de la crise et de la chute des prix de la tulipe, les Pays-Bas connurent une période de stagnation économique qui dura plusieurs années<ref name=Chap3/>
Toujours selon Mackay, la mode de la tulipe se dans régions sans toutefois égaler la démesure aux Pays-Bas. Il affirme également que dans le sillage de la crise et de la chute des prix de la tulipe, les Pays-Bas une période de stagnation économique qui plusieurs années<ref name=Chap3/>


===Renouvellement de l'analyse économique ===
===Renouvellement de économique ===
Le phénomène fascina, et la légende s'empara de l'événement, grossissant ses proportions et son impact réel sur l'économie de la Hollande de l'époque. Des recherches récentes tendent à réduire l'influence du phénomène et ses répercussions. D'après Anne Goldgar, dans ''Tulipmania'', la grande majorité des tubercules étaient [[Contrat à terme|vendus à terme]], producteurs et acheteurs signant des promesses de vente plusieurs mois avant la floraison, et lorsque les prix se sont effondrés, les transactions finales n'ont tout simplement pas été effectuées, aucune autorité de l'époque ne forçant les spéculateurs à acheter au prix promis.


Le phénomène fascina, et la légende s’empara de l’événement, grossissant ses proportions et son impact réel sur l’économie des Pays-Bas de l’époque. Des recherches récentes tendent à réduire l’influence du phénomène et ses répercussions. D’après Anne Goldgar, dans ''Tulipmania'', la grande majorité des tubercules étaient [[Contrat à terme|vendus à terme]], producteurs et acheteurs signant des promesses de vente plusieurs mois avant la floraison, et lorsque les prix se sont effondrés, les transactions finales n’ont tout simplement pas été effectuées, aucune autorité de l’époque ne forçant les spéculateurs à acheter au prix promis.
En réaction à la crise du marché de la tulipe, les députés d'Amsterdam annulèrent tous les contrats signés. Les juges d'Amsterdam déclarèrent également que la spéculation sur les bulbes de tulipe était un [[jeu de hasard]] et refusèrent d'obliger les contractants à honorer leurs contrats <ref name="crash">{{en}} {{Lien web

En réaction à la crise du marché de la tulipe, les députés d’[[Amsterdam]] annulèrent tous les contrats signés. Les juges d’Amsterdam déclarèrent également que la spéculation sur les bulbes de tulipe était un [[jeu de hasard]] et refusèrent d’obliger les contractants à honorer leurs contrats<ref name="crash">{{Lien web|langue=en
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|titre=Tulip Bulb Mania
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En 2002, Earl A. Thompson et Jonathan Treussard, de l'[[université de Californie]], explorent une explication alternative dans ''The Tulipmania: Fact or Artifact?'' <ref>{{fr}} {{Lien web
En 2002, Earl A. Thompson et Jonathan Treussard, de [[université de Californie]], explorent une explication alternative dans ''The Tulipmania: Fact or Artifact?''<ref>{{Lien web
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}}</ref>. Selon eux, la hausse du prix de la tulipe n'était pas le fruit d'une spéculation irrationnelle, mais la conséquence d'un décret du parlement de Hollande qui transforma les contrats à terme sur les bulbes de tulipes en une transaction sans risque, en retirant la clause d'obligation d'achat du contrat.
}}</ref>. Selon eux, la hausse du prix de la tulipe pas le fruit spéculation irrationnelle, mais la conséquence décret du parlement qui transforma les contrats à terme sur les bulbes de tulipes en une transaction sans risque, en retirant la clause du contrat.


==== La tulipomanie, un phénomène restreint ====
====Les travaux d'Anne Goldgar====
L'analyse qu'avait faite Mackay des mécanismes de la crise commença à être contestée dans les années 1980 lorsque les chercheurs s'intéressèrent de nouveau à cet épisode de l'histoire économique<ref>Garber, 1989, p.535</ref>. Les tenants de l'hypothèse d'[[efficience du marché]] (ou HEM, due à [[Eugène Fama]])<ref>Kindleberger, 2005, p.115</ref> qui restent sceptiques quant à la réalité du phénomène de bulle spéculative en général, pensent après examen des faits que la vision de Mackay est incomplète et inexacte. En 2007, Anne Goldgar publie le résultat de ses travaux universitaires dans ''Tulipmania'', où elle défend la thèse que la spéculation n'a jamais été un phénomène de masse mais n'a concerné qu'« un petit nombre d'individus » et que la plupart des rapports d'époque se fondent sur « un ou deux textes de propagande contemporains et se citent copieusement les uns les autres. »<ref name=Kuper>Kuper, Simon "[http://www.ft.com/cms/s/50e2255e-0025-11dc-8c98-000b5df10621.html Petal Power]" (Review of Goldgar, 2007, ''[[Financial Times]]'', May 12, 2007. consulté le 1er juillet 2008.</ref> Peter Garber affirme que la spéculation n'« était qu'un passe-temps d'hiver insignifiant, joué autour d'une table par des gens hantés par la peste qui essayaient de se distraire en pariant sur un marché de la tulipe en pleine effervescence »<ref>Garber, 2000, p.81</ref>.


L’analyse qu’avait faite Mackay des mécanismes de la crise commença à être contestée dans les années 1980 lorsque les chercheurs s’intéressèrent de nouveau à cet épisode de l’histoire économique<ref>Garber, 1989, p.535</ref>. Les tenants de l’hypothèse d’[[efficience du marché]] (ou HEM, due à [[Eugène Fama]])<ref>Kindleberger, 2005, p.115</ref> qui restent sceptiques quant à la réalité du phénomène de bulle spéculative en général, pensent après examen des faits que la vision de Mackay est incomplète et inexacte. En 2007, Anne Goldgar publie le résultat de ses travaux universitaires dans ''Tulipmania'', où elle défend la thèse que la spéculation n’a jamais été un phénomène de masse mais n’a concerné qu’« un petit nombre d’individus » et que la plupart des rapports d’époque se fondent sur « un ou deux textes de propagande contemporains et se citent copieusement les uns les autres. »<ref name=Kuper/> Peter Garber affirme que la spéculation n’« était qu’un passe-temps d’hiver insignifiant, joué autour d’une table par des gens hantés par la peste qui essayaient de se distraire en pariant sur un marché de la tulipe en pleine effervescence »<ref>Garber, 2000, p.81</ref>.
Alors que Mackay tient que des gens de toutes classes sociales étaient impliqués dans le négoce des tulipes, Goldgar, sur la base d'une étude des contrats conservés dans les archives, pense que même à leurs paroxysmes les échanges se faisaient uniquement entre négociants et artisans fortunés, sans liens avec la noblesse<ref>Goldgar, 2007, p. 141</ref>. Les retombées économiques de la crise de la tulipe sont restées limitées. Goldgar a pu identifier un grand nombre des vendeurs et des acheteurs qui constituaient le marché ; elle n'a repéré qu'une demi douzaine d'entre eux à avoir connu des problèmes financiers durant cette période, et encore ces difficultés n'étaient-elles pas forcément liées aux tulipes<ref>Goldgar, 2007, p. 247–48</ref>. Ceci n'a rien de surprenant. Si les prix étaient effectivement montés, aucune somme d'argent liquide n'avait transité entre acheteurs et vendeurs. Les premiers n'avaient donc encore engrangé aucun bénéfice réel ; à part dans le cas où un acheteur s'était endetté en escomptant un bénéfice spéculatif à long terme, la chute des cours ne fit perdre d'argent à personne<ref>{Goldgar, 2007, p. 233}}</ref>.


Alors que Mackay tient que des gens de toutes classes sociales étaient impliqués dans le négoce des tulipes, Goldgar, sur la base d’une étude des contrats conservés dans les archives, pense que même à leur paroxysme les échanges se faisaient uniquement entre négociants et artisans fortunés, sans liens avec la noblesse<ref>Goldgar, 2007, p. 141</ref>. Les retombées économiques de la crise de la tulipe sont restées limitées. Goldgar a pu identifier un grand nombre des vendeurs et des acheteurs qui constituaient le marché ; elle n’a repéré qu’une demi-douzaine d’entre eux à avoir connu des problèmes financiers durant cette période, et encore ces difficultés n’étaient-elles pas forcément liées aux tulipes<ref>Goldgar, 2007, p. 247–48</ref>. Ceci n’a rien de surprenant. Si les prix étaient effectivement montés, aucune somme d’argent liquide n’avait transité entre acheteurs et vendeurs. Les premiers n’avaient donc encore engrangé aucun bénéfice réel ; à part dans le cas où un acheteur s’était endetté en escomptant un bénéfice spéculatif à long terme, la chute des cours ne fit perdre d’argent à personne<ref>Goldgar, 2007, p. 233</ref>.
==== La crise au miroir des mathématiques financières ====
Personne ne discute le fait que les prix se soient envolés avant de retomber en 1636-37, mais même une ascension suivie d'une chute spectaculaires n'implique pas nécessairement l'éclatement d'une bulle spéculative. Pour que la hausse foudroyante des prix puisse être qualifiée de bulle économique, il faudrait que le prix des oignons de tulipe ait cessé de refléter leur valeur intrinsèque. Les économistes modernes ont avancé plusieurs arguments possibles pour discréditer l'hypothèse selon laquelle la montée et la chute rapide des prix serait l'indice d'une bulle spéculative<ref name=thompson100/>.
=====Conjoncture historique=====
La montée des prix au cours des années 1630 correspond à une accalmie dans la [[Guerre de trente ans]]<ref>Thompson, 2007, p.103</ref>. Au début, l'augmentation des prix du marché accompagne donc la reprise de la demande de façon logique. Mais la chute des prix intervient de façon plus brutale et plus spectaculaire que leur augmentation, ce qui frappe les esprits. Or, si les données chiffrées sur les ventes sont pratiquement inexistantes après la chute de février 1637, d'autres données faisant le point sur le prix des plantes à bulbes après la crise montrent que le déclin des prix s'est poursuivi sur les décennies suivantes.


===== Volatilité du cours des fleurs =====
==== des ====
Garber a comparé les données disponibles sur le cours des tulipes et celui des jacinthes au début du {{s|XIX}}, date à laquelle la jacinthe évince la tulipe et devient la plante d'ornement à la mode. Il a pu établir une courbe analogue dans l'évolution des prix des deux plantes. Quand les jacinthes font leur apparition, les horticulteurs s'évertuent à produire des variétés supérieures à celles de leurs concurrents en réponse à une forte demande. Mais les consommateurs se lassent peu à peu et le prix des jacinthes retombe. En trente ans, les plus belles variétés ne valent plus qu' 1 à 2 % de leur prix maximal<ref>Garber, 1989, p. 553–54</ref>. Garber observe également qu'une {{citation|petite quantité de bulbes de variétés expérimentales de lys s'est vendue récemment au prix d'un million de florins néerlandais, soient 480.000 dollars US au taux de change de 1987. }} Cet exemple prouve que même aujourd'hui les fleurs peuvent atteindre des prix extrêmement élevés<ref>Garber, 1989, p.555</ref>. Pour revenir à la crise de la tulipe, comme la montée des prix s'est produite après la mise en terre des bulbes de l'année, les horticulteurs néerlandais n'auraient pas eu les moyens d'augmenter la production en réponse à l'accroissement des prix<ref>Garber, 1989, p.555–56</ref>.


Les économistes modernes ont avancé plusieurs arguments possibles pour discréditer l’hypothèse selon laquelle la montée et la chute rapide des prix serait l’indice d’une bulle spéculative<ref name=thompson100/>. Personne ne discute le fait que les prix se soient envolés avant de retomber en 1636-37, mais même une croissance et une chute spectaculaires des prix n’implique pas nécessairement qu’il y ait eu formation puis éclatement d’une bulle. Pour que la tulipomanie puisse être qualifiée de bulle économique, il faudrait que le prix des oignons de tulipe se soit complètement écarté de leur valeur intrinsèque, alors que la hausse ne concerne que le marché à terme.
===== Rôle possible de la législation =====
[[Fichier:Tulipomania.jpg|thumb|Une tulipe, connue sous le nom de « Vice-roi », dans un catalogue néerlandais de 1637. Le prix indiqué est de {{formatnum:3000}} à {{Unité|4200|florins}}.]]
Selon Thompson, la montée des prix au cours des années 1630 peut s’expliquer par une accalmie dans la [[guerre de Trente Ans]]<ref>Thompson, 2007, p. 103</ref>. À ses débuts, la hausse des prix ne fait selon lui qu’accompagner la reprise de la demande de façon logique. Or, si les données chiffrées sur les ventes sont pratiquement inexistantes après la chute de {{date-|février 1637}}, d’autres données faisant le point sur le prix des plantes à bulbes après la crise montrent que le déclin des prix s’est poursuivi sur les décennies suivantes.


Garber a comparé les données disponibles sur le cours des tulipes et celui des jacinthes au début du {{s|XIX}}, date à laquelle la jacinthe évince la tulipe et devient la plante d’ornement à la mode. Il a pu établir une courbe analogue dans l’évolution des prix des deux plantes. Quand les jacinthes font leur apparition, les horticulteurs s’évertuent à produire des variétés supérieures à celles de leurs concurrents en réponse à une forte demande. Mais les consommateurs se lassent peu à peu et le prix des jacinthes retombe. En trente ans, les plus belles variétés ne valent plus qu’1 à 2 % de leur prix maximal<ref>Garber, 1989, p. 553–54</ref>. Garber observe également qu’une {{citation|petite quantité de bulbes de variétés expérimentales de lys s’est vendue récemment au prix d’un million de florins néerlandais, soient {{formatnum:480000}} dollars US au taux de change de 1987. }} Pour lui, cet exemple prouve qu’on peut encore voir aujourd’hui le prix d’une fleur atteindre des sommes phénoménales<ref>Garber, 1989, p. 555</ref>. La fluctuation des prix de la tulipe au début du {{s-|XVII|e}} obéit donc à un modèle que l’on retrouve dans le marché d’autres fleurs d’ornement.
En 2002, les économistes Earl A. Thompson et Jonathan Treussard, de l'[[université de Californie]], contestent les conclusions de Mackay dans ''The Tulipmania: Fact or Artifact?'' <ref>{{fr}} {{Lien web

Quant à l’envol des prix au moment de la crise de 1636-37, il serait dû à un autre facteur. En effet, comme la hausse des prix s’est emballée après la mise en terre des bulbes de l’année, les horticulteurs néerlandais n’ont pas eu le temps d’augmenter la production en réponse à l’accroissement de la demande<ref>Garber, 1989, p.555–56</ref>. L’offre était inférieure à la demande, d’où l’inflation brutale des prix.

==== Rôle possible de la législation ====

<!--En 2002, les économistes Earl A. Thompson et Jonathan Treussard, de l’[[université de Californie]], contestent eux aussi les conclusions de Mackay dans ''The Tulipmania: Fact or Artifact?''<ref>{{Lien web
|url=http://www.dklevine.com/archive/thompson-tulips.pdf
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}}</ref>. Selon eux, la hausse du prix de la tulipe n'est pas le fruit d'une spéculation irrationnelle; elle est liée à la perspective d'un décret modifiant la nature des contrats à terme. Dans un nouvel article paru en 2007, Thompson conteste également la thèse de Garber, qui selon lui ne peut expliquer la chute dramatique des cours du marché à terme. Le taux de chute des cours annualisé est de 99,99%, contre 40% pour d'autres plantes ornementales<ref>Thompson, 2007, p. 100</ref>. Thompson offre une autre explication pour l'emballement des cours de la tulipe. Selon lui, à l'instigation de citoyens Néerlandais qui avaient perdu de l'argent après une défaite allemande pendant la guerre de Trente Ans, le parlement néerlandais envisageait de sortir un décret qui aurait modifié la façon dont s'appliquaient les contrats de vente de tulipes<ref>Thompson, 2007, p.103–04</ref> :
}}</ref>. Selon eux, la hausse du prix de la tulipe pas le fruit spéculation irrationnelle est liée à la perspective décret modifiant la nature des contrats à terme.
Dans un article paru en 2007, Thompson la thèse de Garber qui selon lui ne peut expliquer la chute dramatique des cours du marché à terme. Le taux de chute des cours annualisé est de 99,99%, 40% pour plantes ornementales<ref>Thompson, 2007, p. 100</ref>. Thompson offre une autre explication pour des cours de la tulipe. Selon lui, à de citoyens qui avaient perdu de après une défaite allemande pendant la guerre de Trente Ans, le parlement néerlandais envisageait de sortir un décret aurait modifié la façon dont les contrats de vente de tulipes<ref>Thompson, 2007, p.103–04</ref> :


{{citation|
{{citation|
Le 24 février 1637, la guilde indépendante des horticulteurs néerlandais annonça une décision qui devait être ratifiée par le parlement, décision selon laquelle tous les contrats conclus entre le 30 novembre 1636 et la réouverture du [[marché au comptant]], en début de printemps, seraient désormais considérés comme des [[Option|options]] d'achat. Les futurs acheteurs ne seraient plus dans l'obligation d'acheter les tulipes à venir, leur seule contrainte étant de dédommager les vendeurs en leur versant un petit pourcentage du prix stipulé s'ils venaient à se dédire<ref name=thompson101>Thompson, 2007, p.101</ref>. }}
Le 24 février 1637, la guilde indépendante des horticulteurs néerlandais annonça une décision qui devait être ratifiée par le parlement, décision selon laquelle tous les contrats conclus entre le 30 novembre 1636 et la réouverture du [[marché au comptant]], en début de printemps, seraient désormais considérés comme des [[]] . Les acheteurs ne seraient plus dans les tulipes, leur seule contrainte étant de dédommager les vendeurs en leur versant un petit pourcentage du prix stipulé venaient à se dédire<ref name=thompson101>Thompson, 2007, p.101</ref>}}


Avant ce décret parlementaire, l'acquéreur d'un contrat de vente de tulipe (on dirait aujourd'hui « [[contrat à terme]] ») était tenu en droit d'honorer le contrat et d'acheter les bulbes de tulipes. Le décret change la nature des contrats, de telle sorte que si les cours chutent, l'acquéreur peut choisir de renoncer à prendre possession du bulbe moyennant le paiement d'une somme forfaitaire plutôt que de débourser le montant entier du prix conclu au moment du contrat. Cette évolution de la loi signifie que, pour employer une terminologie contemporaine, les contrats à terme sont transformés en [[options]]. La proposition fait l'objet d'un débat dès l'automne 1636, et si les spéculateurs avaient pensé qu'elle avait des chances de se concrétiser, les prix seraient tout naturellement montés<ref name=thompson101/>.
Avant ce décret parlementaire, [[ à terme]] était contrat et les bulbes de tulipes. Le décret la nature des contrats si les cours , choisir de renoncer à prendre possession du bulbe moyennant le paiement somme forfaitaire plutôt que de débourser le montant entier du prix conclu au moment du contrat. Cette évolution de la loi que, pour employer une terminologie contemporaine, les contrats à terme transformés en [[options]]. La proposition débat dès 1636, et les spéculateurs pensé qu'elle avait des chances de se concrétiser prix <ref name=thompson101/>.


Le décret aurait permis à l'acquéreur d'un contrat de se dédire moyennant le paiement d'environ 1/30{{è}} du prix contracté<ref name=thompson101/>. Ceci explique que les spéculateurs investissent alors dans des contrats de plus en plus onéreux; en effet, un acheteur peut souscrire un contrat de vente d'une tulipe au prix de 100 [[Florin néerlandais|ƒ]]. Si le cours grimpe pour dépasser les 100 ƒ, le spéculateur qui détient le contrat empoche la différence. Si le prix reste bas, il peut dénoncer le contrat pour seulement 3,5 ƒ. Un contrat de vente de 100 ƒ ne serait revenu en fait qu'à 3,5 ƒ au créancier. Au début de février, les contrats à terme se jouent sur des sommes telles que les autorités des Pays-Bas doivent intervenir en mettant terme à spéculation<ref name=thompson111>Thompson, 2007, p.111</ref>.
Le décret aurait permis à de se dédire moyennant le paiement 1/30{{}} du prix contracté<ref name=thompson101/>. Ceci explique que les alors des contrats de plus en plus onéreux; en effet, un acheteur souscrire un contrat de vente tulipe au prix de 100 [[Florin néerlandais|ƒ]]. Si le cours pour dépasser les 100 ƒ, le spéculateur la différence. Si le prix bas, il dénoncer le contrat pour seulement 3,5 ƒ. Un de 100 ƒ ne 3,5 ƒ. Au début de février, les contrats à terme se jouent sur des sommes telles que les autorités des Pays-Bas doivent intervenir en mettant terme à spéculation<ref name=thompson111>Thompson, 2007, p.111</ref>.


Thompson affirme que les ventes effectives de tulipes sont restées à un niveau normal pendant toute cette période. Il en conclut que la « crise » a été une réaction naturelle au changement des obligations contractuelles<ref name=thompson111/>. Sur la base de données concernant la rentabilité spécifique des contrats à terme et des options, il défend la thèse que le cours des oignons de tulipe a suivi une évolution proche des modèles élaborés par les [[mathématiques financières]]. Selon lui, {{citation|Les prix des contrats de tulipe avant, pendant et après la crise semblent illustrer de façon exemplaire l'hypothèse d'[[efficience du marché]] }} <ref>Thompson, 2007, p.109</ref>.
Thompson affirme que les ventes de tulipes sont restées à un niveau normal pendant toute cette période. Il en conclut que la « crise » a été une réaction naturelle au changement des obligations contractuelles<ref name=thompson111/>. Sur la base de données concernant la rentabilité spécifique des contrats à terme et des options, il défend la thèse que le cours des oignons de tulipe a suivi une évolution proche des modèles élaborés par les [[mathématiques financières]]. Selon lui, {{citation|Les prix des contrats de tulipe avant, pendant et après la crise semblent illustrer de façon exemplaire [[efficience du marché]]<ref>Thompson, 2007, p.109</ref>.


=== Critiques de ces nouvelles vues===
=== Critiques de ces nouvelles vues===

D'autres économistes, comme [[Charles Kindleberger]] pensent que ces éléments ne suffisent pas à justifier la montée soudaine et la non moins subite bascule des prix<ref>Kindleberger, Aliber, 2005, p. 115–16</ref>. La théorie de Garber est également discutée au motif qu'elle ne rend pas compte de l'existence du même phénomène d'éclatement de [[Bulle spéculative|bulle financière]] qui a affecté les ventes à terme d'oignons de tulipe ordinaires<ref>French, 2006, p.3</ref>. Certains économistes notent d'autres facteurs associés aux bulles spéculatives, notamment le contexte d'une [[politique monétaire]] expansionniste (augmentation des réserves monétaires) que mettent en évidence des phénomènes tels que l'accroissement des dépôts auprès de la [[Banque d'Amsterdam]] pendant la période d'emballement des prix<ref>French, 2006,p.11–12</ref>.
D’autres économistes, comme [[Charles Kindleberger]] pensent que ces éléments ne suffisent pas à justifier la montée soudaine et la non moins subite bascule des prix<ref>Kindleberger, Aliber, 2005, p. 115–16</ref>. La théorie de Garber est également discutée au motif qu’elle ne rend pas compte de l’existence du même phénomène d’éclatement de [[Bulle spéculative|bulle financière]] qui a affecté les ventes à terme d’oignons de tulipe ordinaires<ref>French, 2006, p.3</ref>. Certains économistes notent l’existence d’autres facteurs qui créent les conditions d’une bulle spéculative, notamment une [[politique monétaire]] expansionniste (accroissement des réserves monétaires) dont témoigne l’explosion des réserves (plus de 42 %) de la [[Banque d'Amsterdam]] pendant la période d’emballement des prix<ref>French, 2006,p.11–12</ref>.


== Après la crise ==
== Après la crise ==


La popularité du récit de Mackay s'est maintenue jusqu'à nos jours, ''Extraordinary Popular Delusions'' étant régulièrement réédité avec des introductions dues à des plumes aussi fameuses que celle du financier [[Bernard Baruch]] (1932), ou d'auteurs spécialisés dans la finance comme Andrew Tobias (1980)<ref> Introduction by Andrew Tobias to "Extraordinary Popular Delusions and the Madness of Crowds" (New York: Harmony Press, 1980) disponible en ligne [http://www.andrewtobias.com/ExPopDel-1.html Andrew Tobias, De l'argent et d'autres thèmes], page consultée le {{date|12|août|2008}} </ref> et Michael Lewis (2008), ou encore celle du psychologue David J. Schneider (1993). Il en existe à l'heure actuelle six éditions différentes disponibles chez les libraires.
La popularité du récit de Mackay maintenue nos jours, ''Extraordinary Popular Delusions'' étant régulièrement réédité avec des introductions dues à des plumes aussi que celle du financier [[Bernard Baruch]] (1932), ou spécialisés dans la finance comme Andrew Tobias (1980)<ref> Introduction by Andrew Tobias to Extraordinary Popular Delusions and the Madness of Crowds (New York: Harmony Press, 1980) disponible en ligne [http://www.andrewtobias.com/ExPopDel-1.html Andrew Tobias, De et thèmes], page consultée le {{date|12|août|2008}}</ref> et Michael Lewis (2008), ou encore celle du psychologue David J. Schneider (1993). Il en existe à actuelle six éditions différentes disponibles chez les libraires.

Goldgar défend le point de vue que même si la crise de la tulipe n'a pas atteint les proportions d'une véritable bulle spéculative ou financière, elle n'en constitue pas moins un traumatisme pour les Néerlandais, mais pour d'autres raisons. {{citation|Même si la crise financière n'a touché que peu de personnes, elle a créé un choc considérable. Tout un système de valeurs s'est trouvé remis en question}}<ref>{Goldgar, 2007, p.18</ref>. Au {{s|XVII}}, il paraît inconcevable à la majorité des gens qu'un produit aussi dérisoire qu'une fleur puisse jamais atteindre un prix supérieur à leur salaire annuel. La révélation que le prix d'une fleur d'été pouvait fluctuer aussi violemment en hiver brouille complètement le sens du mot « valeur »<ref>Goldgar, 2007, p. 276–77</ref>.
Goldgar défend le point de vue même si la crise de la tulipe pas atteint les proportions véritable bulle spéculative ou financière, elle constitue pas moins un traumatisme pour les Néerlandais, mais pour raisons. {{citation|Même si la crise financière touché que peu de personnes, elle a créé un choc considérable. Tout un système de valeurs trouvé remis en question<ref>Goldgar, 2007, p.18</ref>. Au {{s|XVII}}, il paraît inconcevable à la majorité des gens produit aussi dérisoire fleur puisse jamais atteindre un prix supérieur à leur salaire annuel. La révélation que le prix fleur pouvait fluctuer aussi violemment en hiver brouille complètement le sens du mot « valeur »<ref>Goldgar, 2007, p. 276–77</ref>.


Un grand nombre des sources qui s'étendent complaisamment sur les affres de la crise, comme les pamphlets anti-spéculation cités ensuite par Beckman et Mackay, ont fourni les données qui ont servi à évaluer l'ampleur des dégâts infligés à l'économie néerlandaise. Or ces pamphlets n'ont pas été rédigés par les victimes de la crise, mais par des auteurs qui ont exploité la situation à des fins de propagande religieuse. La crise est décrite comme une perversion de l'ordre moral, la preuve que « se concentrer sur la fleur terrestre et méconnaître la fleur céleste pouvait avoir des conséquences catastrophiques. » <ref>Goldgar, 2007, p.260–61</ref>. Il est donc possible qu'une péripétie relativement anecdotique soit devenue un [[conte]] moral, incorporant des éléments qui seraient qualifiés aujourd'hui de ''[[légende urbaine]]''.
Un grand nombre des sources qui complaisamment sur les affres de la crise, comme les pamphlets anti-spéculation cités ensuite par Beckman et Mackay, ont fourni les données qui ont servi à évaluer des dégâts infligés à néerlandaise. Or ces pamphlets pas été rédigés par les victimes de la crise, mais par des auteurs qui ont exploité la situation à des fins de propagande religieuse. La crise est décrite comme une perversion de moral, la preuve que « se concentrer sur la fleur terrestre et méconnaître la fleur céleste pouvait avoir des conséquences catastrophiques<ref>Goldgar, 2007, p.260–61</ref>. Il est donc possible péripétie relativement anecdotique soit devenue un [[conte]] moral, incorporant des éléments qui seraient qualifiés de ''[[légende urbaine]]''.


Près d'un siècle plus tard, après le [[krach]] de la [[compagnie du Mississippi]], ou celui de la ''[[Krach de 1720|South Sea Company]]'' (vers 1720), il est encore fait mention de la crise de la tulipe dans les satires d'époque<ref>Goldgar, 2007, p.307–09</ref>. Lorsque [[Johann Beckmann]] écrit sur la crise de la tulipe dans les années 1780, il la compare à la faillite des [[loterie]]s de son époque<ref>Goldgar, 2007, p.313</ref>. Golgar observe que même des livres populaires sur les marchés financiers tels que ''A Random Walk Down Wall Street'' (En descendant Wall Street à l'aventure), de Burton Malkiel, qui date de 1973, ou ''A Short History of Financial Euphoria'' (Petite histoire de l'euphorie financière) de [[John Kenneth Galbraith]] parue en 1990, peu de temps après le [[krach d'octobre 1987]], se servent de la crise de la tulipe comme [[exemplum]]<ref>Goldgar, 2007, p.314</ref>{{,}}<ref>Galbraith, 1990, p.34</ref>{{,}}<ref>Malkiel, 2007, p.35–38</ref>.
Près siècle plus tard, après le [[krach]] de la [[compagnie du Mississippi]], ou celui de la ''[[Krach de 1720|South Sea Company]]'' (vers 1720), il est encore fait mention de la crise de la tulipe dans les satires <ref>Goldgar, 2007, p.307–09</ref>. Lorsque [[Johann Beckmann]] écrit sur la crise de la tulipe dans les années 1780, il la compare à la faillite des [[loterie]]s de son époque<ref>Goldgar, 2007, p.313</ref>. Golgar observe que même des livres populaires sur les marchés financiers tels que ''A Random Walk Down Wall Street'' (En descendant Wall Street à ), de Burton Malkiel, qui date de 1973, ou ''A Short History of Financial Euphoria'' (Petite histoire de financière) de [[John Kenneth Galbraith]] parue en 1990, peu de temps après le [[krach d'octobre 1987]], se servent de la crise de la tulipe comme [[exemplum]]<ref>Goldgar, 2007, p.314</ref>{{,}}<ref>Galbraith, 1990, p.34</ref>{{,}}<ref>Malkiel, 2007, p.35–38</ref>.
L'anthropologue [[Jack Goody]] y fait encore référence dans son ouvrage ''La Culture des fleurs''<ref>Jack Goody, ''La Culture des fleurs'', Paris, Seuil, 1994, p. 215-6 (Édition originale, ''The Culture of Flowers'', Cambridge, Cambridge University Press, 1993)</ref>.
[[Jack Goody]] y fait encore référence dans son ouvrage ''La Culture des fleurs''<ref>Jack Goody, ''La Culture des fleurs'', Paris, Seuil, 1994, p. 215-6 (Édition originale, ''The Culture of Flowers'', Cambridge, Cambridge University Press, 1993)</ref>.


La crise de 1637 redevient une référence à la mode au moment de la [[bulle Internet]] entre 1995 et 2001
La crise de 1637 redevient une référence à la mode au moment de la [[bulle Internet]] entre 1995 et 2001
<ref>Goldgar, 2007, p.314</ref>. Plus récemment, des journalistes l'ont mise en parallèle avec la [[crise des subprimes]]<ref>{{Lien|auteur=The Washington Post|titre=Bubble and Bust; As the subprime mortgage market tanks, policymakers must keep their nerve|url=http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2007/08/10/AR2007081001912.html|année=2007}}, page consultée le {{date|17|juillet|2008}}</ref>{{,}}<ref>Horton, Scott. "[http://www.harpers.org/archive/2008/01/hbc-90002258 La Bulle éclate]", ''[[Harpers (magazine)|Harpers]]'', {{date|27|janvier|2008}}; page consultée le {{date|17|juillet|2008}}</ref>. Malgré la popularité durable de la « crise de la tulipe », Daniel Gross de ''[[Slate (revue)|Slate]]'' dit en citant les économistes qui proposent une relecture de l'épisode : {{citation|S'ils ont raison, alors les auteurs spécialisés dans la finance vont devoir retirer la crise de la tulipe de leur stock d'analogies toutes faites}} <ref>[[Daniel Gross|Gross, Daniel]]. "[http://slate.msn.com/id/2103985/ Les Problèmes de la bulle des bulbes : cette bulle des tulipes hollandaises n'était peut-être pas aussi folle que cela]", [[Slate (magazine)|Slate]], {{date|16|juillet|2004}} page consultée le {{date|22|juillet|2008}} </ref>.
<ref />. Plus récemment, des journalistes mise en parallèle avec la [[crise des subprimes]]<ref>{{Lien|auteur=The Washington Post|titre=Bubble and Bust; As the subprime mortgage market tanks, policymakers must keep their nerve|url=://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2007/08/10/AR2007081001912.html|année=2007}}, page consultée le {{date|17|juillet|2008}}</ref>{{,}}<ref>Horton, Scott. [http://www.harpers.org/archive/2008/01/hbc-90002258 La Bulle éclate], ''[[ ]]'', {{date|27|janvier|2008}}; page consultée le {{date|17|juillet|2008}}</ref>. Malgré la popularité durable de la « crise de la tulipe », Daniel Gross de ''[[Slate (revue)|Slate]]'' dit en citant les économistes qui proposent une relecture de : {{citation| ont raison, alors les auteurs spécialisés dans la finance vont devoir retirer la crise de la tulipe de leur stock toutes faites<ref>Daniel Gross. [http://slate.msn.com/id/2103985/ Les Problèmes de la bulle des bulbes : cette bulle des tulipes hollandaises peut-être pas aussi folle que cela], [[Slate ()|Slate]], {{date|16|juillet|2004}} page consultée le {{date|22|juillet|2008}} </ref>.


== La crise de la tulipe dans les arts ==
== la ==


=== Iconographie ===
===Quelques exemples dans la peinture===


==== Peinture ====
[[Image:Jacob de Gheyn - Vanitas.JPG|thumb|''Vanitas'', Jacob de Gheyn, 1603]]
[[Fichier:Jacob de Gheyn - Vanitas.JPG|thumb|''Vanitas'', Jacob de Gheyn, 1603.]]
Selon un travail de recherche inédit présenté à l'université de Lausanne, l'église condamne fermement la spéculation en 1636<ref name=Beutler_2003>{{article|langue=fr|prénom=Toni|nom= Beutler, Aldric Petit, Pierre Stadelmann|titre=Histoire économique des Pays-Bas : Les Provinces Unies|url = www.hec.unil.ch/jlambelet/Groupe8_HE.doc |périodique=|volume=|numéro|lieu=Lausanne|date=2003|id=Beutler_2003}}, pages consultées le {{date|6|novembre|2008}}</ref>, autant pour prévenir une crise économique que par souci éthique, les industries somptuaires étant découragées dans la société calviniste<ref name=Beutler_2003/>. En efft, si L'envol extravagant des prix irrite les horticulteurs<ref name=thompson101/> elle heurte aussi les sensibilités. Dans la culture de l'époque, comme le montre le terme de ''Windhandel''<ref>Goldgar, 2007, p.322</ref>, la tulipomanie apparaît à la fois comme une menace économique et une folie qui doit nécessairement aboutir à la catastrophe. Les peintures du siècle d'or naissant s'inscrivent dans la tradition humaniste satirique de la Folie<ref>Voir dans la littérature [[Sebastien Brandt]] et [[Thomas More]], en peinture [[Jérôme Bosch]] et [[Pieter Bruegel l'Ancien]], au théâtre les [[Sotie]]s</ref> et des Vanités<ref name="rijk1">{{en}}
Selon un travail de recherche inédit présenté à l’université de Lausanne, l’Église protestante condamne fermement la spéculation en 1636<ref name=Beutler_2003>{{lien web|auteur=Toni Beutler, Aldric Petit et Pierre Stadelmann|titre=Histoire économique des Pays-Bas : Les Provinces Unies|url= http://www.hec.unil.ch/jlambelet/Groupe8_HE.doc|format=doc|lieu=Lausanne|année=2003|id=Beutler_2003|consulté le =25 février 2009|éditeur=HEC Lausance|mois=mai}}.</ref>, autant pour prévenir une crise économique que par souci éthique, les industries somptuaires étant découragées dans la société calviniste<ref name=Beutler_2003/>. En effet, si l’envol extravagant des prix irrite les horticulteurs<ref name=thompson101/>, il heurte aussi les sensibilités. Dans la culture de l’époque, comme le montre le terme de ''Windhandel''<ref name="Goldgar322"/>, la tulipomanie apparaît à la fois comme une menace économique et une folie qui doit nécessairement aboutir à la catastrophe. Les peintures du siècle d’or naissant s’inscrivent dans la tradition humaniste satirique de la Folie<ref>Voir dans la littérature [[Sébastien Brant]] et [[Thomas More]], en peinture [[Jérôme Bosch]] et [[Pieter Brueghel l'Ancien]], au théâtre les [[Sotie]]s</ref> et des Vanités<ref name="rijk1">{{en}}
{{Lien web
{{Lien web
|url=http://www.rijksmuseum.nl/aria/aria_encyclopedia/00047487?lang=en
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|titre=Vanitas and Transience (Vanité et caducité)
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|éditeur=Rijksmuseum, Amsterdam
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|consulté le=10 novembre 2008}}</ref>. Le thème de la Vanité s’appuyait particulièrement sur l’''[[Ecclésiaste]]''<ref>{{BFR|ec|1,2}}, {{BFR|ec|2,5}}, mais aussi des passages tels que {{citation|sorti nu du sein de sa mère, [l'homme] s’en va tel qu’il est venu [..] Quel profit lui revient-il d’avoir travaillé pour le vent ?}} {{BFR|ec|5,15}}</ref> et celui de la caducité des choses sur le ''[[Livre des Psaumes]]''<ref>{{BFR|ps|103,15}}</ref>.
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|consulté le=10 novembre 2008}}</ref>. Le thème de la Vanité s'appuyait particulièrement sur l'[[Ecclésiaste]]<ref> {{BFR|ec|1,2}}, {{BFR|ec|2,5}}, mais aussi des passages tels que {{citation|sorti nu du sein de sa mère, [l'homme] s'en va tel qu'il est venu [..] Quel profit lui revient-il d'avoir travaillé pour le vent ?}} {{BFR|ec|5,15}}</ref> et celui de la caducité des choses sur le [[Livre des Psaumes]]<ref>{{BFR|ps|103,15}}</ref>.


On ne s'étonnera donc pas de la place qu'occupe la [[tulipe]] dans les [[nature morte|natures mortes]] hollandaises et flamandes du début du {{s|XVII}}, traitées comme des [[Vanité]]s<ref name="expo">{{en}}
On ne donc pas de la place la [[tulipe]] dans les [[nature morte|natures mortes]] hollandaises et flamandes du début du {{s|XVII}}, traitées comme des [[Vanité]]s<ref name="expo">{{en}}
{{Lien web |url=url=http://www.rijksmuseum.nl/tentoonstellingen/ex_191/flowers?lang=en |titre=Tulips, roses and hyacinths at the Rijksmuseum Schiphol Amsterdam |auteur=Introduction à l'exposition "Flowers" (Fleurs), 8 décembre 2005 – 27 février 2006 |éditeur= Rijksmuseum (Amsterdam)|date=2005 |consulté le=10 novembre 2008}}</ref>. D'abord simple curiosité pour les botanistes au début du siècle auxquelles sont destinées les planches illustrées<ref name=sources/>, la tulipe devient un sujet à la mode<ref>Le musée Boijmans ven Beunigen de Rotterdam possède même des carreaux de faïence représentant des variétés rares et chères de tulipes, probablement copiées à partir des herbiers peints des botanistes {{lien web|langue=en|titre=Tulip tiles, anonymous, Netherland c. 1640 (Carreaux avec tulipes, anonyme, Pays-Bas vers 1640)|auteur=cartel du musée|url=http://www.boijmans.nl/en/78/tulip-tiles}}, page consultée le {{date|10|novembre|2008}} </ref> pour les peintres, les tableaux représentant étant une alternative durable aux fleurs périssables<ref name="expo"/>. La tulipe s'ajoute alors à la liste d'objets qui symbolisent à la fois la caducité, comme les fleurs et le crâne, mais en raison de l'envol des cours elle peut également signifier la vanité du luxe, comme les bijoux ou les bibelots rares<ref name="rijk1"/>{{,}}<ref name="expo"/>. La chute brutale des cours en 1637 ne fait que conforter cette symbolique<ref name="expo"/>.
{{Lien web |url=http://www.rijksmuseum.nl/tentoonstellingen/ex_191/flowers?lang=en |titre=Tulips, roses and hyacinths at the Rijksmuseum Schiphol Amsterdam |auteur=Introduction à Flowers (Fleurs), 8 décembre 2005 – 27 février 2006 |éditeur= Rijksmuseum (Amsterdam)|date=2005 |consulté le=10 novembre 2008}}</ref>. simple curiosité pour les botanistes au début du siècle auxquelles sont destinées les planches illustrées<ref name=sources/>, la tulipe devient un sujet à la mode<ref>Le musée Boijmans de Rotterdam possède même des carreaux de faïence représentant des variétés rares et chères de tulipes, probablement copiées à partir des herbiers peints des botanistes {{lien web|langue=en|titre=Tulip tiles, anonymous, Netherland c. 1640 (Carreaux avec tulipes, anonyme, Pays-Bas vers 1640)|auteur=cartel du musée|url=http://www.boijmans.nl/en/78/tulip-tiles}}, page consultée le {{date|10|novembre|2008}}</ref> pour les peintres, les tableaux représentant étant une alternative durable aux fleurs périssables<ref name="expo"/>. La tulipe alors à la liste qui symbolisent à la fois la caducité, comme les fleurs et le crâne, mais en raison de des cours elle peut également signifier la vanité du luxe, comme les bijoux ou les bibelots rares<ref name="rijk1"/>{{,}}<ref name="expo"/>. La chute brutale des cours en 1637 ne fait que conforter cette symbolique<ref name="expo"/>.


Si la [[rose]] représente souvent la vanité de la beauté éphémère (''Mignonne allons voir si la rose''), Dans cette ''Vanité'' de [[Jacques de Gheyn le jeune|Jacob de Gheyn]], peinte en 1603, la tulipe est associée à la fortune et l'ostentation et des richesses, symbolisées par les pièces d'or espagnoles abandonnées sur le rebord de la niche par leur propriétaire<ref name=met>Voir le cartel du tableau sur le site du Metropolitan Museum of Art de new York : {{lien web|titre=Jacques de Gheyn the Elder: Vanitas Still Life (1974.1)" (Nature morte au crâne)|auteur=In Heilbrunn Timeline of Art History. New York: The Metropolitan Museum of Art|url=http://www.metmuseum.org/toah/hd/nstl/ho_1974.1.htm|date=octobre 2006}}, page consultée le {{date|10|novembre|2008}}</ref> (riche négociant ou changeur ?) dont il ne reste que le crâne. L'œuvre précède la crise, mais la tulipe dénote déjà l'objet rare, précieux, essentiellement périssable<ref name=met/>. Une inscription en haut de la niche porte les mots ''Vita Humana'' (Vie humaine), ici résumée à la recherche des vanités. Les figures des philosophes<ref name=met/> sculptés dans la partie supérieure du tableau de part et d'autre de la niche, tendent le doigt vers la bulle transparente qui représente le monde trompeur des apparences (le reflet) et donc la folie des hommes<ref name=met/>.
Si la [[rose]] représente souvent la vanité de la beauté éphémère (''Mignonne allons voir si la rose''), Dans ''Vanité'' de [[Jacques de Gheyn le jeune|Jacob de Gheyn]], peinte en 1603, la tulipe est associée à la fortune et des richesses, symbolisées par les pièces espagnoles abandonnées sur le rebord de la niche par leur propriétaire<ref name=met>Voir le cartel du tableau sur le site du Metropolitan Museum of Art de York : {{lien web|titre=Jacques de Gheyn the Elder: Vanitas Still Life (1974.1) (Nature morte au crâne)|auteur=In Heilbrunn Timeline of Art History. New York: The Metropolitan Museum of Art|url=http://www.metmuseum.org/toah/hd/nstl/ho_1974.1.htm|date=octobre 2006}}, page consultée le {{date|10|novembre|2008}}</ref> (riche négociant ou changeur ?) dont il ne reste que le crâne. précède la crise, mais la tulipe dénote déjà rare, précieux, essentiellement périssable<ref name=met/>. Une inscription en haut de la niche porte les mots ''Vita Humana'' ( humaine), ici résumée à la recherche des vanités. Les figures des philosophes<ref name=met/> sculptés dans la partie supérieure du tableau de part et de la niche, tendent le doigt vers la bulle transparente qui représente le monde trompeur des apparences (le reflet) et donc la folie des hommes<ref name=met/>.


En 1635, deux ans avant la crise, le peintre [[Jacob Marrel]] se représente devant son chevalet en train de peindre un bouquet de fleurs où triomphe une tulipe. Mais en 1637, il peint une ''Vanité'' qui représente une niche où un bouquet semblable, un violon, un recueil de musique et de menus objets du quotidien voisinent avec un crâne, tandis qu'un angelot de pierre souffle des bulles de savon ironiques<ref>[http://www.kunsthalle-karlsruhe.de/anzeige.php?page_id=126 Reproduction visible sur le site de la ][[Staatliche Kunsthalle Karlsruhe]]</ref>.
En 1635, deux ans avant la crise, le peintre [[Jacob Marrel]] se représente devant son chevalet en train de peindre un bouquet de fleurs où triomphe une tulipe. Mais en 1637, il peint une ''Vanité'' qui représente une niche où un bouquet semblable, un violon, un recueil de musique et de menus objets du quotidien voisinent avec un crâne, tandis angelot de pierre souffle des bulles de savon ironiques<ref>Reproduction visible sur le site de la [[Staatliche Kunsthalle Karlsruhe]]</ref>.


[[Image:Flora's Malle-wagen van Hendrik Pot 1640.jpg|400px|thumb|Le triomphe de [[Flore]] dans le char de la Fortune, vers 1640]]
[[:Flora's Hendrik Pot .jpg|thumb|Le triomphe de [[Flore]] dans le char de la Fortune, vers 1640]]
En 1640, [[Hendrick Pot]] se moque de la crise dans un tableau allégorique, ''Char des fous de Flore''<ref>{{lien web|auteur=Château Royal de Quierzy|titre=L'Art des jardins de l'antiquité à nos jours|url=http://www.chateauquierzy.org/index.php?fonction=page&page_id=13}}</ref>. [[Flora]], déesse des fleurs, est assise sur un char poussé par le vent (symbole de la légèreté et de l'inconstance), les bras remplis de de tulipes. Ses compagnons, qui portent le capuchon des fous (ou des sots) orné de tulipes, sont un alcoolique (allusion aux tavernes où se négociaient les effets, lieux de débauche et de jeux d'argent) et deux hommes (sans doute le ''Gaergoedt'' des pamphlets, ou l'Avarice, et la fraude) prenant l'argent des naïfs qui va gonfler une bourse déjà bien remplie (représentant littéralement l' « appât du gain »). Le char est conduit par une femme aux deux visages, allégorie [[polysémie|polysémique]] de la fausseté et du mensonge, de l'avant et de l'après, et, [[ironie|ironiquement]], de la [[vertus|prudence]]; c'est aussi la fortune aux deux visages, souriant un jour aux fous et le lendemain leur faisant grise mine. Le char est suivi par des tisserands en goguette (les acheteurs irréfléchis, qui se ruinent en échangeant le fruit de leurs labeurs contre du vent). Le char de la Fortune qui passe au premier plan a pour l'instant le vent en poupe, mais on voit au second plan un char identique voguer sur les flots cette fois en luttant contre des vents contraires<ref>Ecclésiaste I, vi, « Le vent se dirige vers le midi, tourne vers le nord ; puis il tourne encore, et reprend les mêmes circuits. » (trad. [[Louis Segond]]).</ref>. Le motif de l'horloge est comme dans les vanités l'emblème du temps qui passe et que l'on ne peut racheter si on l'a gaspillé en vaines poursuites. Ce tableau est à rapprocher de la ''[[La Nef des fous (Bosch)|Nef des fous]]'' ou du ''Char de foin'' de [[Jérôme Bosch]] au [[musée du Prado]]. Le tableau de Pot comme celui de de Gheyn insistent sur le thème du vent, allusion à l'[[Ecclésiaste]], avec la légère fumée qui s'élève du gobelet d'argent placé symétriquement à la tulipe dans la ''Vanité'' et celle qui s'exhale de la bouche de la figure de proue du char de la Fortune dans le second tableau. Tout part en fumée, ainsi en emporte le vent. Les spectateur auraient identifié sans peine les codes d'une scène qui s'inscrit dans la tradition des [[sotie]]s, mais aussi du [[carnaval]] et de la [[fête des fous]]<ref>Pour la symbolique du fou dans le carnaval, voir Jacques Heers, ''Fête des fous et carnaval'', ISBN 2012788289</ref>.
En 1640, [[Hendrick Pot]] se moque de la crise dans un tableau allégorique, ''Char des fous de Flore''<ref>{{lien web|auteur=Château Royal de Quierzy|titre= des jardins de à nos jours|url=http://www.chateauquierzy.org/index.php?fonction=page&page_id=13}}</ref>. [[Flora]], déesse des fleurs, est assise sur un char poussé par le vent (symbole de la légèreté et de ), les bras remplis de tulipes. Ses compagnons, qui portent le capuchon des fous (ou des sots) orné de tulipes, sont un alcoolique (allusion aux tavernes où se négociaient les effets, lieux de débauche et de jeux ) et deux hommes (sans doute le ''Gaergoedt'' des pamphlets, ou , et la fraude) prenant des naïfs qui va gonfler une bourse déjà bien remplie (représentant littéralement « appât du gain »). Le char est conduit par une femme aux deux visages, allégorie [[polysémie|polysémique]] de la fausseté et du mensonge, de et de , et, [[ironie|ironiquement]], de la [[|prudence]]; aussi la fortune aux deux visages, souriant un jour aux fous et le lendemain leur faisant grise mine. Le char est suivi par des tisserands en goguette (les acheteurs irréfléchis, qui se ruinent en échangeant le fruit de leurs labeurs contre du vent). Le char de la Fortune qui passe au premier plan a pour le vent en poupe, mais on voit au second plan un char identique voguer sur les flots cette fois en luttant contre des vents contraires<ref>Ecclésiaste I, vi, « Le vent se dirige vers le midi, tourne vers le nord ; puis il tourne encore, et reprend les mêmes circuits. » (trad. [[Louis Segond]]).</ref>. Le motif de est comme dans les vanités du temps qui passe et que ne peut racheter si on gaspillé en vaines poursuites. Ce tableau est à rapprocher de la ''[[La Nef des fous (Bosch)|Nef des fous]]'' ou du ''Char de foin'' de [[Jérôme Bosch]] au [[musée du Prado]]. Le tableau de Pot comme celui de Gheyn sur le thème du vent, allusion à [[Ecclésiaste]] la légère fumée qui du gobelet placé symétriquement à la tulipe dans ''Vanité'' et qui de la bouche de la figure de proue du char de la Fortune dans le second tableau. Tout part en fumée le vent. Les auraient identifié sans peine les codes scène qui dans la tradition des [[sotie]]s, mais aussi du [[carnaval]] et de la [[fête des fous]]<ref>Pour la symbolique du fou dans le carnaval, voir Jacques Heers, ''Fête des fous et carnaval'', ISBN</ref>.


Au même moment, [[Jan Bruegel le Jeune]] peint une ''Satire de la tulipomanie'' où l'on voit une société de singes plantant, récoltant, vendant des tulipes, comptant leur argent, passant en jugement pour défaut de paiement, finissant au pilori ou même au cimetière<ref>Frans Hals Museum [http://www.franshalsmuseum.collectionconnection.nl/FHM/franshals_e.aspx?p=full&iFirst=68&c=ludionwebsite&s=dateOfCreation page consultée le {{date|6|novembre|2008]}}</ref>. On doit aussi à Jan Bruegel le jeune un ''Panier de fleurs'' dans le style des compositions florales de son père, d'où pendent tristement des tulipes à longue tige, tombées comme [[Icare]] pour avoir voulu s'élever trop haut<ref>[http://www.metmuseum.org/TOAH/HD/nstl/ho_67.187.58.htm The Metropolitan Museum of Art]</ref>. Se greffant sur le thème traditionnel de la [[Chute (Bible)|Chute]] d' Adam et Ève, mais aussi sur celui des vicissitudes de la [[Fortuna (mythologie)|roue de la Fortune]], la débâcle annoncée de 1637 (« L'Orgueil » dit la Bible que les calvinistes sont tenus de lire, « précède la chute »<ref>{{BFR|Spr|16,18}}</ref>) se coule naturellement dans le moule de récits archétypaux qui peuvent expliquer sa popularité en tant qu'''[[exemplum]]''.
Au même moment, [[Jan le Jeune]] peint une ''Satire de la tulipomanie'' où voit une société de singes plantant, récoltant, vendant des tulipes, comptant leur argent, passant en jugement pour défaut de paiement, finissant au pilori ou même au cimetière<ref>[http://www.franshalsmuseum.collectionconnection.nl/FHM/franshals_e.aspx?p=full&iFirst=68&c=ludionwebsite&s=dateOfCreation page consultée le {{date|6|novembre|2008}}</ref>. On doit aussi à Jan Bruegel le jeune un ''Panier de fleurs'' dans le style des compositions florales de son père, pendent tristement des tulipes à longue tige, tombées comme [[Icare]] pour avoir voulu trop haut<ref>[http://www.metmuseum.org/TOAH/HD/nstl/ho_67.187.58.htm The Metropolitan Museum of Art]</ref>. Se greffant sur le thème traditionnel de la [[Chute (Bible)|Chute]] et Ève, mais aussi sur celui des vicissitudes de la [[Fortuna (mythologie)|roue de la Fortune]], la débâcle annoncée de 1637 (« » dit la Bible que les calvinistes sont tenus de lire, « précède la chute »<ref>{{BFR|Spr|16,18}}</ref>) se coule naturellement dans le moule de récits archétypaux qui peuvent expliquer sa popularité en tant ''[[exemplum]]''.


[[Image:Philippe de Champaigne Still-Life with a Skull.JPG||thumb|left|[[Philippe de Champaigne]], ''Vanitas'', ou Allégorie de la vie humaine, 1646, Musée de Tessé, [[ Le Mans]]]]
[[:Philippe de Champaigne Still-Life with a Skull.JPG|thumb|left|[[Philippe de Champaigne]], ''Vanitas'', ou Allégorie de la vie humaine, 1646, de Tessé, [[Le Mans]]]]
Cependant la crise de la tulipe n'affecte pas le genre de la nature morte, où elle continue à s'imposer longtemps après 1637, avec des variétés toujours nouvelles et plus somptueuses, reflétant le succès commercial de cette fleur et l'engouement durable qu'elle suscite chez les amateurs. Ce succès ne s'est jamais démenti et fait d'elle encore aujourd'hui un des fleurons de l'horticulture néerlandaise.
Cependant la crise de la tulipe pas le genre de la nature morte, où elle continue à longtemps après 1637, avec des variétés toujours nouvelles et plus somptueuses, reflétant le succès commercial de cette fleur et durable suscite chez les amateurs. Ce succès ne jamais démenti et fait encore un des fleurons de néerlandaise.


Lorsque le flamand [[Philippe de Champaigne]] peint cette ''Vanité'' à l'austérité toute [[jansénisme|janséniste]] en 1646, il n'a besoin que de trois objets pour résumer la vie humaine : tout est dit avec le crâne (''[[memento mori]]''), le sablier qui marque la fuite du temps et la tulipe flammée dans un vase bulle. Neuf ans après la crise de la tulipe, la fleur, ici une variété panachée précieuse, reste pour ses contemporains une métonymie riche de sens, qui évoque nécessairement l'orgueil, la chute et la vanité des entreprises humaines<ref>Pour la tulipe flammée comme symbole du luxe à l'époque baroque voir {{lien web|langue=en|titre=Still-life with flowers (Nature morte aux fleurs)|auteur=Rijksmuseum, Amsterdam|url=http://www.rijksmuseum.nl/aria/aria_assets/SK-A-1522?lang=en}}</ref>.
Lorsque le [[Philippe de Champaigne]] peint ''Vanité'' à toute [[jansénisme|janséniste]] en 1646, il besoin que de trois objets pour résumer la vie humaine : tout est dit avec le crâne ''[[memento mori]]'', le sablier qui marque la fuite du temps et la tulipe flammée dans un vase bulle. Neuf ans après la crise de la tulipe, la fleur, ici une variété panachée précieuse, reste pour ses contemporains une métonymie riche de sens, qui évoque nécessairement , la chute et la vanité des entreprises humaines<ref>Pour la tulipe flammée comme symbole du luxe à baroque voir {{lien web|langue=en|titre=Still-life with flowers (Nature morte aux fleurs)|auteur=Rijksmuseum, Amsterdam|url=http://www.rijksmuseum.nl/aria/aria_assets/SK-A-1522?lang=en}}</ref>.


=== Littérature ===
===La tulipomanie dans la littérature===
En 1688, lorsque Jean de la Bruyère mentionne l'amateur de tulipes dans les ''Caractères'' au chapitre « De la mode », il ne mentionne nullement la tulipomanie comme un phénomène économique, mais bien au contraire comme une ''[[manie]]'' au sens clinique du terme<ref>« Le fleuriste a un jardin dans un faubourg: il y court au lever du soleil, et il en revient à son coucher. Vous le voyez planté, et qui a pris racine au milieu de ses tulipes et devant la Solitaire: il ouvre de grands yeux, il frotte ses mains, il se baisse, il la voit de plus près, il ne l'a jamais vue si belle, il a le cœur épanoui de joie; il la quitte pour l'Orientale, de là il va à la Veuve, il passe au Drap d'or, de celle-ci à l'Agathe, d'où il revient enfin à la Solitaire, où il se fixe, où il se lasse, où il s'assit, où il oublie de dîner: aussi est-elle nuancée, bordée, huilée, à pièces emportées; elle a un beau vase ou un beau calice: il la contemple, il l'admire. Dieu et la nature sont en tout cela ce qu'il n'admire point; il ne va pas plus loin que l'oignon de sa tulipe, qu'il ne livrerait pas pour mille écus, et qu'il donnera pour rien quand les tulipes seront négligées et que les œillets auront prévalu. Cet homme raisonnable, qui a une âme, qui a un culte et une religion, revient chez soi fatigué, affamé, mais fort content de sa journée: il a vu des tulipes. »</ref>. De même lorsqu'[[Alexandre Dumas]] et [[Auguste Maquet]] rédigent ''[[La Tulipe noire (roman)|La Tulipe noire]]'' ([[1850 en littérature|1850]]) ils en situent l'action en [[1672]], l'année de l'accession de [[Guillaume III d'Angleterre|Guillaume d'Orange]] au poste de [[Stathouder]] des [[Pays-Bas]], trente-cinq ans donc après la crise de la tulipe. Le héros du roman, comme le personnage de La Bruyère, consacre tous ses efforts à créer une tulipe noire, symbole de l'impossible rêve, surveillé de près, mais en secret, par un rival qui convoite la fleur précieuse. De la tulipomanie Dumas n'a conservé que l'idée d'une quête obsessionnelle de la fleur rare et unique et de l'appât du gain qu'elle peut susciter.


==== Bande dessinée ====
À la fin des années 1980, le livre de Simon Schama, ''L'Embarras de richesses'', produit un regain d'intérêt durable pour le siècle d'or néerlandais en dehors d'un public de spécialistes. Des romanciers tels que [[Gregory Maguire]] (''Confessions of an Ugly Stepsister'' : ''Les Confessions d'une des méchantes belles-sœurs'', 1999<ref>Maguire, HarperCollins, 1999</ref>{{,}}<ref>Goldgar, 2007, p.329}}</ref>) ou Deborah Moggach (''Tulip Fever'' : La Fièvre de la tulipe<ref>William Heinemann le 6 mai 1999ISBN-10: 043400779X</ref>) et plus récemment Olivier Bleys<ref>{{ouvrage|éditeur=Gallimard|auteur=Olivier Bleys|titre=Semper Augustus|date=1997|lieu=Paris}}</ref> (''Semper Augustus'') s'emparent de cet épisode haut en couleurs et utilisent la folie de la tulipe comme ressort dramatique. L'action du roman d'Olivier Bleys commence au moment où la spéculation sur la tulipe commence à s'emballer, miroir aux alouettes où le héros va se faire prendre. Les détails de la première partie semblent inspiré du tableau brossé par McKay mais la chute des prix est attribuée à l'annonce du décret parlementaire. Selon un critique, le roman d'Olivier Bleys est « est inspiré de [[Max Weber]], ce sociologue qui pointa la naissance du capitalisme moderne »<ref>{{article|langue=fr|prénom= Gilles|nom= Heuré|titre=Olivier Bleys. Semper Augustus ; Dites-le avec des florins|périodique=Telerama|numéro=3001|date=21 juillet 2007}}</ref>.
L'histoire de l'album ''Bulbe fiction !'' du ''[[Super Picsou géant]]'' numéro 178 traite de la tulipomanie au {{S-|XVII}}.


==== Recueil ====
=== La tulipomanie dans la culture populaire ===
[[Fichier:Tulipe noire.JPG|thumb|upright|Tulipe noire.]]
L'éditeur anglais ''JKLM Games'' a publié en 2008 le [[jeu de plateau]] ''Tulipmania'' inspiré de cet épisode historique.
En 1688, lorsque [[Jean de la Bruyère]] mentionne l’amateur de tulipes dans les ''[[Les Caractères|Caractères]]'' au chapitre « De la mode », il ne mentionne nullement la tulipomanie comme un phénomène économique de masse, mais comme une mode qui fait des victimes chez les [[Folie|fous]]<ref>« Le fleuriste a un jardin dans un faubourg : il y court au lever du soleil, et il en revient à son coucher. Vous le voyez planté, et qui a pris racine au milieu de ses tulipes et devant la Solitaire: il ouvre de grands yeux, il frotte ses mains, il se baisse, il la voit de plus près, il ne l’a jamais vue si belle, il a le cœur épanoui de joie; il la quitte pour l’Orientale, de là il va à la Veuve, il passe au Drap d’or, de celle-ci à l’Agathe, d’où il revient enfin à la Solitaire, où il se fixe, où il se lasse, où il s’assit, où il oublie de dîner [...] »</ref>.

==== Roman ====
Lorsqu’[[Alexandre Dumas]] et [[Auguste Maquet]] rédigent ''[[La Tulipe noire (roman)|La Tulipe noire]]'' ([[1850 en littérature|1850]]) ils en situent l’action en [[1672]], l’année de l’accession de [[Guillaume III d'Angleterre|Guillaume d’Orange]] au poste de [[Stathouder]] des [[Provinces-Unies]], trente-cinq ans donc après la crise de la [[tulipe]]. Le héros du livre, comme le personnage de La Bruyère, consacre tous ses efforts à créer une tulipe noire, symbole de l’impossible rêve, surveillé de près, mais en secret, par un rival qui convoite la fleur précieuse. De la tulipomanie, Dumas n’a conservé que l’idée d’une quête obsessionnelle de la fleur rare et unique et de l’appât du gain qu’elle peut susciter.

À la fin des années 1980, le livre de [[Simon Schama]], ''L’Embarras de richesses'', produit un regain d’intérêt durable pour le siècle d’or néerlandais en dehors d’un public de spécialistes. Des romanciers tels que [[Gregory Maguire]] (''{{langue|en|Confessions of an Ugly Stepsister}}'' : ''Les Confessions d’une des méchantes belles-sœurs'', 1999<ref>Maguire, HarperCollins, 1999</ref>{{,}}<ref>Goldgar, 2007, p.329</ref>) ou [[Deborah Moggach]] ({{langue|en|texte=''Tulip Fever''}} (1999): La Fièvre de la tulipe<ref>William Heinemann le 6 mai 1999 {{ISBN|0-434-00779-X}}.</ref>), et plus récemment [[Olivier Bleys]]<ref>{{Ouvrage|auteur1=Olivier Bleys|titre=Semper Augustus|lieu=Paris|éditeur=[[Éditions Gallimard|Gallimard]]|année=1997|isbn=}}</ref> ''(Semper Augustus, 2007)'' s’emparent de cet épisode haut en couleur et utilisent la folie de la tulipe comme ressort dramatique. L’action du roman d’[[Olivier Bleys]] commence au moment où la spéculation sur la tulipe commence à s’emballer, miroir aux alouettes où le héros va se faire prendre. Les détails de la crise correspondent au tableau brossé par McKay et la chute des prix résulte, comme chez cet auteur, de l’intervention des autorités. Selon un critique, le roman d’Olivier Bleys « est inspiré de [[Max Weber]], ce sociologue qui pointa la naissance du capitalisme moderne »<ref>{{article|langue=fr|prénom= Gilles|nom= Heuré|titre=Olivier Bleys. Semper Augustus ; Dites-le avec des florins|périodique=Télérama|numéro=3001|date=21 juillet 2007}}</ref>.

=== Filmographie ===

==== Cinéma ====
* Il est fait référence à cet épisode historique dans ''[[Wall Street : L'argent ne dort jamais]]'' (2010) traitant du monde de la finance spéculative.

* ''[[Tulip Fever]]'' (2017) traite de la tulipomanie au {{S-|XVII}}.

==== Télévision ====

===== Série =====

* L'intrigue d'''[[Adrian der Tulpendieb]]'' (1966) tourne autour de l'invention de nouveaux types de bulbes,

=== Jeu ===

* L’éditeur anglais JKLM Games a publié en 2008 le [[jeu de société]] ''Tulipmania'' inspiré de cet épisode historique.


== Bibliographie ==
== Bibliographie ==
* {{en}} {{ouvrage
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*{{en}} {{Lien web | auteur= Doug French | date = 2006 | titre = The Dutch monetary environment during tulipomania (Environnement monétaire néerlandais pendant la crise de la tulipe)| volume = 9 | numéro = 1 | pages = 3–14 | doi=10.1007/s12113-006-1000-6 | url=http://www.mises.org/journals/qjae/pdf/qjae9_1_1.pdf | source = [[The Quarterly Journal of Austrian Economics]] | consulté le = {{date|24|juin|2008}}}} ;
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* édition originale : {{Lien web | titre = Memoirs of Extraordinary Popular Delusions and the Madness of Crowds | auteur = Charles Mackay | date = 1841 | url = http://www.econlib.org/library/mackay/macExContents.html | location = Londres | éditeur = Richard Bentley| consulté le {{date|15|août|2008 }}}} ;
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*{{en}} {{ouvrage | titre = Tulipmania: Money, Honor, and Knowledge in the Dutch Golden Age | auteur= Anne Goldgar |année = 2007 | éditeur = University of Chicago Press | lieu = Chicago | isbn = 978-0-226-30125-9 | url texte=http://books.google.com/books?id=gViwLbCJ7X0C&printsec=frontcover&hl=nl&source=gbs_summary_r&cad=0|id=Goldgar_2007}} ;
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* Anna Pavord (2001). ''La Tulipe'', Actes Sud (Arles) : 439 p. {{ISBN|978-2-7427-2913-5}}


==Références==
==Références==
{{Traduction/Référence|en|Tulip mania|248266700}}
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{{Références}}


== Voir aussi ==
{{Références|colonnes=2}}
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[[nl:Tulpenmanie]]
[[no:Tulipankrakket]]
[[pl:Tulipomania]]
[[pt:Mania das tulipas]]
[[ru:Тюльпаномания]]
[[sv:Tulpanmanin]]
[[zh:鬱金香狂熱]]
[[zh-yue:鬱金香狂熱]]

Dernière version du 25 juillet 2024 à 21:37

Anonyme, La vente des oignons de tulipe, XVIIe siècle. Huile sur bois. Musée des beaux-arts de Rennes.

La tulipomanie (en néerlandais : tulpenmanie ; en anglais : tulip mania) est le soudain engouement pour les tulipes dans le nord des Provinces-Unies au milieu du XVIIe siècle, qui entraîna l'augmentation démesurée puis l'effondrement des cours du bulbe de tulipe : ce qu’on appelle la « crise de la tulipe » en histoire économique. Au plus fort de la tulipomanie, en , des offres de vente pour un bulbe se négociaient pour un montant égal à dix fois le salaire annuel d’un artisan spécialisé. Certains historiens ont qualifié cette crise de « première bulle spéculative » de l’histoire[1]. Elle est restée dans les mémoires, tout au long de l'histoire des bourses de valeurs.

L’épisode connut un regain d'intérêt en 1841 avec la parution d’un ouvrage intitulé Extraordinary Popular Delusions and the Madness of Crowds (« Extraordinaires illusions populaires et la folie des foules ») du romancier et poète britannique Charles Mackay. Mackay affirmait qu’à une certaine époque, un bulbe de Semper augustus pouvait s’échanger contre cinq hectares de terre[2]. Il prétendait également que de nombreux investisseurs avaient été ruinés par la chute des cours, chute qui aurait ébranlé toute l’économie néerlandaise. Bien que l’ouvrage de Mackay soit devenu un classique fréquemment réédité, sa version des faits est aujourd’hui contestée. Les économistes modernes considèrent que la crise de la tulipe n’a pas été aussi spectaculaire que le voudrait Mackay, certains allant même jusqu’à douter de la réalité d’une véritable bulle spéculative[3], tandis que l'historienne Anne Goldgar a montré qu'il ne s'agissait pas d'une crise sur un marché comptant mais de ventes à termes qui, dans un état encore peu développé des techniques financières, s'est transformé en marché d'options. Aucun argent n'a « disparu ».

L’étude de cette crise[4] est difficile en raison de la pauvreté des données d’époque et du fait que ces données proviennent pour la plupart de sources partisanes dénonçant la spéculation de façon caricaturale[5],[6]. Certains économistes modernes, écartant la théorie de l’hystérie spéculative, proposent des modèles mathématiques qui ne font plus appel aux phénomènes de contagion psychologique pour expliquer l’envolée des cours de la tulipe. Ils observent que des phénomènes analogues se sont produits à d’autres époques sur le prix des plantes d’ornement, notamment la jacinthe dont le cours s’est élevé de façon rapide après son introduction sur le marché pour s’effondrer ensuite. D’autres auteurs font remarquer que la montée des prix coïncide avec l’annonce d’un décret parlementaire prévoyant que les contrats à terme pourraient être annulés à peu de frais ; une telle mesure aurait diminué le risque pour les acheteurs qui n’auraient eu alors aucune raison d’hésiter à s’engager pour des sommes exorbitantes. Ces explications sont cependant loin de faire l’unanimité.

Pamphlet néerlandais critiquant la tulipomanie, imprimé en 1637, à la suite de l’effondrement des cours.

Les premières tulipes néerlandaises

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Charles de l'Écluse (1525-1609).

Le début du XVIIe siècle voit se développer un engouement extraordinaire pour l’horticulture et le jardinage dans le nord de l’Europe, et plus particulièrement dans les Provinces-Unies. Jusqu’en 1550, les jardiniers néerlandais cultivent des roses, des lys, des iris, des pivoines, des ancolies, des giroflées et des œillets[7]. Entre 1500 et 1550, une dizaine d’espèces nouvelles font leur apparition dans l’actuelle Belgique. Le phénomène s’accélère, avec plus d’une centaine de nouvelles venues entre 1550 et 1600, puis 120 espèces nouvelles entre 1600 et 1615, notamment l’anémone, le muflier, la jacinthe, le jasmin, le lilas et surtout la tulipe[7].

Venue d'Istanbul, celle-ci fait son chemin à travers l’Europe. Sa présence est signalée à Augsbourg en 1559[7]. Vers 1560-1561, elle fait son apparition à Bruxelles, puis Anvers, Paris vers 1566 ; en 1581, le Kruydtboeck en cite déjà 47 variétés[7]. On date généralement le début de sa culture dans les Provinces-Unies aux environs de 1593, à la suite de la création de l’hortus academicus de l’université de Leyde par le botaniste flamand Charles de l'Écluse qui vient d’y être nommé professeur[8].

De l’Écluse fait planter dans ce jardin botanique une série de bulbes de tulipes qu’il a fait venir de Bruxelles[9]. Les tulipes avaient été observées pour la première fois à Andrinople, en Turquie par Ogier de Busbecq (qui signe Busbecquius), ambassadeur de l’Empereur Ferdinand Ier auprès du sultan ottoman Soliman le Magnifique[10] . De l’Écluse le cite en appendice d’un ouvrage paru en 1583, dans lequel il décrit plusieurs variétés de tulipes[9],[11]. Ces bulbes sont suffisamment résistants pour survivre aux rigueurs du climat néerlandais[12]. Les premières tulipes sont méconnues du grand public et ne sont mentionnées que par des botanistes ou des amateurs de plantes rares et de curiosités[11]. Mais la vogue des tulipes se répand du sud des Pays-Bas vers le nord, et l’engouement devient tel qu’assez rapidement des voleurs s’introduisent dans le Jardin botanique de Leyde pour dérober des bulbes[11].

Au début du XVIIe siècle les premiers bulbes font leur apparition sur le marché. Des bourgeois fortunés plantent des jardins privés à l’arrière de leur maison, notamment dans ce qui est aujourd’hui le centre historique de la ville d’Amsterdam, le long de canaux comme le Keizersgracht ou le Herengracht[7]. L’époque se passionne pour la création d’hybrides et de nouvelles variétés, créant une demande pour les livres illustrés de gravures, livres destinés aux amateurs et aux professionnels de l’horticulture et non plus aux botanistes[7]. Le Néerlandais Emanuel Sweerts, pionnier de la vente d’oignons de tulipe sur la foire annuelle de Francfort puis d’Amsterdam, publie un des premiers catalogues ouvertement commerciaux, le Florilegium, imprimé en 1612 après Le Jardin du Roy Tres Chrestien Henry IV, de Pierre Vallet, paru en 1608[7]. Sweerts cite de nombreuses variétés de tulipes[7], avec des illustrations de tulipes « cassées », marbrées et flammées, ainsi que de plantes rares et exotiques.

Les tulipes deviennent un article et un symbole de luxe

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Variété Semper augustus, dessin du XVIIe siècle.

La fleur devenant bientôt un article de luxe convoité et un signe de richesse, de nombreuses variétés voient le jour. Ces bulbes rares et précieux produisent des fleurs aux pétales marbrés de couleurs vives, dues, on le sait aujourd’hui, à la présence d’un potyvirus, sorte de virus de la mosaïque de la tulipe[13],[14].

Balthasar van der Ast, bouquet de fleurs : la tulipe qui se fane, les roses qui retombent dénotent l’éphémère ; en haut l’âme (le papillon) prête à s’envoler.

Cet engouement pour la fleur se retrouve dans la peinture néerlandaise et flamande de l’époque. La tulipe a fait son apparition dans la seconde partie du XVIe siècle dans les ouvrages spécialisés, sous forme de planches botaniques savantes[11]. Puis, alors que les premières natures mortes s’affirment en tant que genre indépendant, quelques variétés monochromes apparaissent, d’abord discrètement, dans les Bouquets de fleurs dont Jan Brueghel l'Ancien se fait une spécialité. Dans une Allégorie de la vue qu’il produit avec Rubens en 1617, Brueghel peint un bouquet qui contient quelques tulipes dans un cabinet de curiosités, au milieu d’un capharnaüm de tableaux et d’objets en tous genres[15],[7]. Progressivement des peintres comme Roelandt Savery, Balthasar van der Ast, Ambrosius Bosschaert, Jan Davidszoon de Heem, Abraham Bosschaert[16] représentent des variétés de formes et de couleurs de plus en plus précieuses, les Rosen, Violetten et Bizarden si recherchées.

De plus en plus, les tulipes « cassées », c’est-à-dire infectées par un phytovirus, dominent le bouquet et triomphent progressivement des roses, des lys et des ancolies[17]. Parallèlement sont publiés des catalogues de fleurs, comme celui d’Emanuel Sweerts (Florilegium, 1612) qui est suivi du Florilegium novum de Théodore de Bry en 1612-1614, de l’Hortus Eystettensis du pharmacien Basile Bessler en 1613, et de l’Hortus Floridus de Crispin de Passe en 1614. La tulipe fait même son apparition dans le Jardin d’Eden, au frontispice d’une réédition d’un manuel anglais de jardinage. Dans cette édition de 1635, la tulipe est à la verticale de l’arbre de la connaissance du bien et du mal[18].

Le commerce des plantes se développa dans toute l'Europe, et les marchands publièrent des catalogues de vente, comme le firent les fils de Pierre Morin, et Jean-Baptiste Dru.

Pierre Morin père possédait un jardin à Paris, qui se trouvait rue de Thorigny (dans le Marais) et fit commerce des plantes qu’il cultivait. Ses fils Pierre l’aîné, René et Pierre le jeune prirent sa suite. René s’installa dans une zone alors peu urbanisée, le faubourg Saint-Germain, dans la propriété vraisemblablement reprise plus tard par son frère Pierre le jeune. Il publia son catalogue, Catalogus plantarum horti Renati Morini, en 1621 : il comprend cent variétés de tulipes, des renoncules, iris et anémones.

Pierre le jeune prit la succession de son père, et hérita également de son frère René (mort un peu avant 1658). On sait qu’il épousa Françoise de La Brosse (cousine de Guy de La Brosse) le . Il fut assez célèbre pour que John Evelyn lui rende visite, et le mentionne dans son Journal[19] Pierre le jeune publia : Catalogues de quelques plantes à fleurs qui sont de present au Jardin de P. Morin le jeune, dit Troisième : fleuriste. Scitué au Faux-bourg Saint-Germain, proche la Charité, 1651, comprenant : Catalogue des Tulipes qui sont de present au Jardin de P. Morin le jeune, dit Troisième : fleuriste et des catalogues des "ranoncules de Tripoli" ; des iris bulbeux; des anémones). En 1658 parurent les Remarques nécessaires pour la culture des fleurs (chez Charles de Sercy). L’auteur s’y adresse aux « curieux fleuristes ».

René et Pierre le jeune furent des collaborateurs de Denis Joncquet.

Le Lyonnais Jean-Baptiste Dru publia son Catalogue des plantes[20], tant des tulipes que des autres fleurs qui sont à présent au jardin du sieur Jean-Baptiste Dru, Herboriste du Roy, demeurant proche [l’Abbaye royale de] la deserte à Lyon (près de l’actuelle place Sathonay) à Lyon (chez Guillaume Barbier). C’est vraisemblablement la deuxième édition qui sortit en 1651 ; une troisième édition parut en 1653. Le catalogue, non illustré, comporte une liste de plantes et quelques conseils de culture. À partir de la troisième édition, les prix des plantes sont ajoutés.

Cette multiplication du nombre de catalogues suit la montée de la cote des tulipes qui permet d’amortir le coût des catalogues. Le plus célèbre est celui du pépiniériste P. Cos de Haarlem, paru en 1637, l’année de la crise[11]. Sans prétention artistique, ce catalogue fournit des données précises sur les appellations, les poids des bulbes et leur prix[11].

Naissance de la spéculation

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Indice des prix standards des contrats de bulbes de tulipe, établi par Thompson (2007, p.101). Thompson ne disposant pas de données sur l’évolution des prix entre le 9 février et le 1er mai, on ne sait pas quelle courbe elle a suivi. Mais on sait, en revanche, que les cours se sont effondrés en février[21].

La tulipe est une plante à bulbe qui se reproduit par semence ou par division du bulbe. Les graines produisent un bulbe capable de porter une fleur au bout de sept à douze ans. Dès qu’un bulbe a fleuri, le bulbe mère disparaît, laissant place à un clone pourvu d’un ou plusieurs caïeux filles. Cultivés correctement, ces caïeux deviennent à leur tour des bulbes florifères. Comme le virus mosaïque infecte les caïeux mais pas les graines, la culture d’espèces nouvelles est un processus extrêmement laborieux. La reproduction est ralentie par la présence du virus, et les bulbes filles finissent par dégénérer[11]. Les tulipes fleurissent en avril et en mai, sur une période d’environ une semaine, les caïeux se formant assez peu de temps après la fin de la floraison. Les bulbes peuvent être déplantés et replantés entre juin et septembre aux Pays-Bas, ce qui explique pourquoi les ventes au comptant ont lieu durant ces deux mois[22].

Le reste de l’année, les contrats sont signés devant notaire, l’achat devant se faire à la fin de la saison (il s’agit alors de marché à terme)[22]. C’est ainsi que les Néerlandais, qui sont à l’origine d’un grand nombre d’instruments de la finance moderne, créent un marché sur lequel le bulbe de tulipe rare se négocie comme bien durable[23]. En 1634, en partie du fait de l’apparition d’une demande française qui stimule les ventes, les spéculateurs entrent sur le marché[24]. En 1636, un système analogue à une bourse de commerce où se négocient les contrats à terme de tulipes s’est mis en place aux Pays-Bas. Les négociants se réunissent en « collèges » dans des auberges et les acheteurs doivent s’acquitter d’un pourboire d’un montant égal à 2,5 % de la transaction (pourboire plafonné à trois florins). Ni l’une ni l’autre partie ne fournissent de dépôt de garantie et il n’existe pas de système d’appel de marge. Tous les contrats se font directement entre les deux parties et non dans le cadre d’une chambre de compensation.

Plus la popularité des tulipes s’élève et plus les horticulteurs sont prêts à payer des prix élevés pour des bulbes atteints par le potyvirus. Cependant l’absence de registres tenus systématiquement et donc de données fiables concernant les prix réels auxquels se négociaient les tulipes font qu’il est délicat d’évaluer l’ampleur de la crise. La majeure partie des données provient de pamphlets à charge, mettant en scène Gaergoedt et Waermondt (ou GW), c’est-à-dire « Envie des biens » et « Bouche de vérité ».

L’économiste Peter M. Garber a pu établir un catalogue des ventes de 161 bulbes de 36 variétés différentes entre 1633 et 1637, dont 53 sont signalés par GW. 98 ventes sont enregistrées le dernier jour qui précède l’effondrement, le , avec une fourchette de prix extrêmement large. Ces ventes s’effectuent de façon variable, les unes étant des ventes à terme au sein des « collèges », les autres des ventes au comptant faites par les cultivateurs de tulipes, les autres enfin des promesses de ventes signées devant notaire ou des ventes de biens. Garber remarque que pour se faire une idée des cours, on doit se contenter de données hétéroclites : « Les données disponibles sur les prix sont dans une large mesure un mélange de torchons et de serviettes »[25]. En 1635, il devient possible d’acheter des parts de bulbe. En , une variété atteint le prix record de 6 700 florins. Le prix d’un seul oignon peut atteindre en 1637 la valeur de deux maisons, huit fois celui d’un veau gras et quinze fois le salaire annuel d’un artisan.

Effondrement des cours

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Folie tulipère, Jean-Léon Gérôme, 1882.

Le cours des bulbes rares continue à s’élever tout au long de l’année 1636. En novembre, le prix des bulbes ordinaires non infectés par le potyvirus se met également à monter. Les Néerlandais qualifient la spéculation sur les contrats à terme de Windhandel, littéralement « commerce du vent », parce que les transactions ne portent pas sur des bulbes réels[26]. Mais en , le prix des contrats à terme de bulbes de tulipe s’effondre brutalement, mettant fin au commerce du vent[27]. La chute des cours est si subite qu’aucun des contrats ne peut être honoré. Le foyer de ces échanges se trouvant à Haarlem, dans une ville ravagée par une épidémie de peste bubonique, il est possible que le contexte ait contribué à développer un état d’esprit enclin au fatalisme et à la prise de risques[28].

Les théories sur la crise

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Sources primaires

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Le débat actuel sur la crise de la tulipe remonte à la parution de l’ouvrage d’un journaliste écossais, Charles Mackay, intitulé Extraordinary Popular Delusions and the Madness of Crowds, publié en 1841 ; Mackay fait l’hypothèse que les foules se conduisent souvent de façon irrationnelle et que la tulipomanie, ainsi que le Krach de 1720 et l’échec de la Compagnie du Mississippi, sont parmi les premières crises économique à exhiber les syndromes de cette folie collective. Sa thèse se fonde en grande partie sur les informations qu’il tire d’un ouvrage de Johann Beckmann, A History of Inventions, Discoveries, and Origins, publié en 1797. L’ouvrage de Beckmann, quant à lui, se fonde sur trois pamphlets anonymes parus en 1637, qui s’attaquent violemment au principe de la spéculation[29]. Avec son style enlevé, l’ouvrage de Mackay est resté populaire auprès de générations d’économistes et de spécialistes des marchés boursiers. L’analyse qu’il donne de la crise de la tulipe comme étant le résultat d’une bulle spéculative reste encore largement acceptée aujourd’hui, même si de nombreux économistes en ont montré les limites depuis 1980[29].

La crise selon Mackay

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Marchandises échangées selon Mackay contre un bulbe unique de la variété Viceroi[30]
2 muids de blé 448 florins
4 muids de seigle 558 florins
Quatre bœufs gras 480 florins
8 porcs gras 240 florins
12 moutons gras 120 florins
2 barriques de vin 70 florins
4 tonneaux de bière 32 florins
2 tonnes de beurre 192 florins
1 000 livres de fromage 120 florins
1 lit complet 100 florins
1 habillement complet 80 florins
1 gobelet d’argent 60 florins
Total 2500 florins

Selon Mackay, l’engouement manifesté pour les tulipes au début du XVIIe siècle affecte toutes les classes de la société. « Toute la population, jusqu’à la lie des mortels, se lança dans le commerce de la tulipe »[2]. Un acte écrit de 1635 atteste de la vente de 40 bulbes pour une somme de 100 000 florins. Pour se faire une idée de ce que représente cette somme, il faut savoir qu’une tonne de beurre coûte alors environ 100 florins, qu’un ouvrier spécialisé peut gagner jusqu’à 150 florins par an, et que « huit porcs gras » reviennent à 240 florins[2]. L’Institut international d'histoire sociale estime qu’un florin vaut à l’époque l’équivalent de 10,28 euros de 2002[31], soit 12,56 € de 2017.

En 1636, observe Mackay, les tulipes se négocient sur le marché du change dans de nombreuses villes et bourgades néerlandaises. Cet état de fait encourage tous les membres de la société à se lancer dans le commerce de la tulipe ; Mackay raconte que des spéculateurs vendent ou échangent tous leurs biens pour jouer sur les cours de la tulipe ; il donne l’exemple d’une promesse d’échanger un terrain de 49 000 m2 contre un ou deux bulbes de Semper Augustus ; il cite également le cas d’un bulbe unique de la variété Viceroi échangé contre un ensemble de marchandises évalué à 2 500 florins (voir tableau ci-contre)[30].

Mackay reprend dans son récit un certain nombre d’anecdotes amusantes mais probablement apocryphes, comme celle du marin qui voulait croquer la tulipe d’un marchand qu’il prenait pour un oignon : le marchand et sa famille retrouvèrent le matelot en train de « faire un petit-déjeuner dont le prix aurait pu suffire à nourrir l’équipage pendant toute une année[2] ». En , explique Mackay, les vendeurs de tulipes ont du mal à trouver acquéreurs pour des oignons de tulipes qui atteignent des prix de plus en plus exorbitants. Ce fléchissement du marché se faisant sentir, la demande s’effondre, entraînant la chute des prix. La bulle spéculative vient d’éclater. Les uns sont en devoir d'honorer des engagements d’achat à des prix dix fois supérieurs à ceux du marché réel, les autres se retrouvent à la tête d’un capital d’oignons de tulipes qui ne vaut plus qu’une fraction du prix qu’ils ont déboursé pour l’acquérir. Les Néerlandais ne savent plus à quel saint se vouer, chacun accuse l’autre d’être responsable de la catastrophe[2].

Toujours selon Mackay, la mode de la tulipe se répand dans d’autres régions d’Europe sans toutefois égaler la démesure qu’elle a connue aux Pays-Bas. Il affirme également que dans le sillage de la crise et de la chute des prix de la tulipe, les Pays-Bas connaissent une période de stagnation économique qui dure plusieurs années[2].

Renouvellement de l’analyse économique

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Le phénomène fascina, et la légende s’empara de l’événement, grossissant ses proportions et son impact réel sur l’économie des Pays-Bas de l’époque. Des recherches récentes tendent à réduire l’influence du phénomène et ses répercussions. D’après Anne Goldgar, dans Tulipmania, la grande majorité des tubercules étaient vendus à terme, producteurs et acheteurs signant des promesses de vente plusieurs mois avant la floraison, et lorsque les prix se sont effondrés, les transactions finales n’ont tout simplement pas été effectuées, aucune autorité de l’époque ne forçant les spéculateurs à acheter au prix promis.

En réaction à la crise du marché de la tulipe, les députés d’Amsterdam annulèrent tous les contrats signés. Les juges d’Amsterdam déclarèrent également que la spéculation sur les bulbes de tulipe était un jeu de hasard et refusèrent d’obliger les contractants à honorer leurs contrats[32].

En 2002, Earl A. Thompson et Jonathan Treussard, de l’université de Californie, explorent une explication alternative dans The Tulipmania: Fact or Artifact?[33]. Selon eux, la hausse du prix de la tulipe n’était pas le fruit d’une spéculation irrationnelle, mais la conséquence d’un décret du parlement des Provinces-Unies qui transforma les contrats à terme sur les bulbes de tulipes en une transaction sans risque, en retirant la clause d’obligation d’achat du contrat.

La tulipomanie, un phénomène restreint

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L’analyse qu’avait faite Mackay des mécanismes de la crise commença à être contestée dans les années 1980 lorsque les chercheurs s’intéressèrent de nouveau à cet épisode de l’histoire économique[34]. Les tenants de l’hypothèse d’efficience du marché (ou HEM, due à Eugène Fama)[35] qui restent sceptiques quant à la réalité du phénomène de bulle spéculative en général, pensent après examen des faits que la vision de Mackay est incomplète et inexacte. En 2007, Anne Goldgar publie le résultat de ses travaux universitaires dans Tulipmania, où elle défend la thèse que la spéculation n’a jamais été un phénomène de masse mais n’a concerné qu’« un petit nombre d’individus » et que la plupart des rapports d’époque se fondent sur « un ou deux textes de propagande contemporains et se citent copieusement les uns les autres. »[5] Peter Garber affirme que la spéculation n’« était qu’un passe-temps d’hiver insignifiant, joué autour d’une table par des gens hantés par la peste qui essayaient de se distraire en pariant sur un marché de la tulipe en pleine effervescence »[36].

Alors que Mackay tient que des gens de toutes classes sociales étaient impliqués dans le négoce des tulipes, Goldgar, sur la base d’une étude des contrats conservés dans les archives, pense que même à leur paroxysme les échanges se faisaient uniquement entre négociants et artisans fortunés, sans liens avec la noblesse[37]. Les retombées économiques de la crise de la tulipe sont restées limitées. Goldgar a pu identifier un grand nombre des vendeurs et des acheteurs qui constituaient le marché ; elle n’a repéré qu’une demi-douzaine d’entre eux à avoir connu des problèmes financiers durant cette période, et encore ces difficultés n’étaient-elles pas forcément liées aux tulipes[38]. Ceci n’a rien de surprenant. Si les prix étaient effectivement montés, aucune somme d’argent liquide n’avait transité entre acheteurs et vendeurs. Les premiers n’avaient donc encore engrangé aucun bénéfice réel ; à part dans le cas où un acheteur s’était endetté en escomptant un bénéfice spéculatif à long terme, la chute des cours ne fit perdre d’argent à personne[39].

Explications de la hausse des prix par la logique des marchés

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Les économistes modernes ont avancé plusieurs arguments possibles pour discréditer l’hypothèse selon laquelle la montée et la chute rapide des prix serait l’indice d’une bulle spéculative[3]. Personne ne discute le fait que les prix se soient envolés avant de retomber en 1636-37, mais même une croissance et une chute spectaculaires des prix n’implique pas nécessairement qu’il y ait eu formation puis éclatement d’une bulle. Pour que la tulipomanie puisse être qualifiée de bulle économique, il faudrait que le prix des oignons de tulipe se soit complètement écarté de leur valeur intrinsèque, alors que la hausse ne concerne que le marché à terme.

Une tulipe, connue sous le nom de « Vice-roi », dans un catalogue néerlandais de 1637. Le prix indiqué est de 3 000 à 4 200 florins.

Selon Thompson, la montée des prix au cours des années 1630 peut s’expliquer par une accalmie dans la guerre de Trente Ans[40]. À ses débuts, la hausse des prix ne fait selon lui qu’accompagner la reprise de la demande de façon logique. Or, si les données chiffrées sur les ventes sont pratiquement inexistantes après la chute de , d’autres données faisant le point sur le prix des plantes à bulbes après la crise montrent que le déclin des prix s’est poursuivi sur les décennies suivantes.

Garber a comparé les données disponibles sur le cours des tulipes et celui des jacinthes au début du XIXe siècle, date à laquelle la jacinthe évince la tulipe et devient la plante d’ornement à la mode. Il a pu établir une courbe analogue dans l’évolution des prix des deux plantes. Quand les jacinthes font leur apparition, les horticulteurs s’évertuent à produire des variétés supérieures à celles de leurs concurrents en réponse à une forte demande. Mais les consommateurs se lassent peu à peu et le prix des jacinthes retombe. En trente ans, les plus belles variétés ne valent plus qu’1 à 2 % de leur prix maximal[41]. Garber observe également qu’une « petite quantité de bulbes de variétés expérimentales de lys s’est vendue récemment au prix d’un million de florins néerlandais, soient 480 000 dollars US au taux de change de 1987. » Pour lui, cet exemple prouve qu’on peut encore voir aujourd’hui le prix d’une fleur atteindre des sommes phénoménales[42]. La fluctuation des prix de la tulipe au début du XVIIe siècle obéit donc à un modèle que l’on retrouve dans le marché d’autres fleurs d’ornement.

Quant à l’envol des prix au moment de la crise de 1636-37, il serait dû à un autre facteur. En effet, comme la hausse des prix s’est emballée après la mise en terre des bulbes de l’année, les horticulteurs néerlandais n’ont pas eu le temps d’augmenter la production en réponse à l’accroissement de la demande[43]. L’offre était inférieure à la demande, d’où l’inflation brutale des prix.

Rôle possible de la législation

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Dans un article paru en 2007, Earl A. Thompson, professeur d’économie à l’université de Californie, critique la thèse de Garber qui selon lui ne peut expliquer la chute dramatique des cours du marché à terme. Le taux de chute des cours annualisé est de 99,99 %, alors qu’il n’est que de 40 % pour d’autres plantes ornementales[44]. Thompson offre une autre explication pour l’emballement des cours de la tulipe. Selon lui, à l’instigation de citoyens néerlandais qui avaient perdu de l’argent après une défaite allemande pendant la guerre de Trente Ans, le parlement néerlandais envisageait de sortir un nouveau décret. Celui-ci aurait modifié la façon dont s’appliquaient les contrats de vente de tulipes[45] :

« Le 24 février 1637, la guilde indépendante des horticulteurs néerlandais annonça une décision qui devait être ratifiée par le parlement, décision selon laquelle tous les contrats conclus entre le 30 novembre 1636 et la réouverture du marché au comptant, en début de printemps, seraient désormais considérés comme des options d’achat. Les acheteurs à terme ne seraient plus dans l’obligation d’acheter les futures tulipes, leur seule contrainte étant de dédommager les vendeurs en leur versant un petit pourcentage du prix stipulé s’ils venaient à se dédire[46] ».

Avant ce décret parlementaire, la personne qui avait souscrit un contrat d’achat à terme de tulipe était tenue d’honorer ce contrat et de payer les bulbes de tulipes au vendeur. Le décret changeait la nature des contrats : si les cours chutaient, l’acheteur pouvait choisir de renoncer à prendre possession du bulbe, moyennant le paiement d’une somme forfaitaire, plutôt que de débourser le montant entier du prix conclu au moment du contrat. Cette évolution de la loi signifiait que, pour employer une terminologie contemporaine, les contrats à terme étaient transformés en options. La proposition fit l’objet d’un débat dès l’automne 1636, et par conséquent, les spéculateurs ayant pensé qu'elle avait des chances de se concrétiser auraient acheté des bulbes entre l'automne 1636 et à des prix très élevés, le risque de pertes étant considérablement amoindri si le décret était adopté. Cela expliquerait la forte hausse des prix sur cette période[46].

Le décret aurait permis à l’acheteur de se dédire moyennant le paiement d’environ 1/30e du prix contracté[46]. Ceci explique que les acheteurs aient alors souscrit des contrats de plus en plus onéreux; en effet, un acheteur pouvait souscrire un contrat de vente d’une tulipe au prix de 100 ƒ. Si le cours grimpait pour dépasser les 100 ƒ, le spéculateur empochait la différence. Si le prix restait bas, il pouvait dénoncer le contrat pour seulement 3,5 ƒ. Un acheteur pouvait donc souscrire un contrat d’achat de 100 ƒ et ne payer à terme que 3,5 ƒ. Au début de , les contrats à terme se jouent sur des sommes telles que les autorités des Pays-Bas doivent intervenir en mettant un terme à la spéculation[47].

Thompson affirme que les ventes au comptant de tulipes sont restées à un niveau normal pendant toute cette période. Il en conclut que la « crise » a été une réaction naturelle au changement des obligations contractuelles du marché à terme[47]. Sur la base de données concernant la rentabilité spécifique des contrats à terme et des options, il défend la thèse que le cours des oignons de tulipe a suivi une évolution proche des modèles élaborés par les mathématiques financières. Selon lui, « Les prix des contrats de tulipe avant, pendant et après la crise semblent illustrer de façon exemplaire l’hypothèse d’efficience du marché[48]. ».

Critiques de ces nouvelles vues

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D’autres économistes, comme Charles Kindleberger pensent que ces éléments ne suffisent pas à justifier la montée soudaine et la non moins subite bascule des prix[49]. La théorie de Garber est également discutée au motif qu’elle ne rend pas compte de l’existence du même phénomène d’éclatement de bulle financière qui a affecté les ventes à terme d’oignons de tulipe ordinaires[50]. Certains économistes notent l’existence d’autres facteurs qui créent les conditions d’une bulle spéculative, notamment une politique monétaire expansionniste (accroissement des réserves monétaires) dont témoigne l’explosion des réserves (plus de 42 %) de la Banque d'Amsterdam pendant la période d’emballement des prix[51].

Après la crise

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La popularité du récit de Mackay s’est maintenue jusqu’à nos jours, Extraordinary Popular Delusions étant régulièrement réédité avec des introductions dues à des plumes aussi célèbres que celle du financier Bernard Baruch (1932), ou d’auteurs spécialisés dans la finance comme Andrew Tobias (1980)[52] et Michael Lewis (2008), ou encore celle du psychologue David J. Schneider (1993). Il en existe à l’heure actuelle six éditions différentes disponibles chez les libraires.

Goldgar défend le point de vue selon lequel, même si la crise de la tulipe n’a pas atteint les proportions d’une véritable bulle spéculative ou financière, elle n’en constitue pas moins un traumatisme pour les Néerlandais, mais pour d’autres raisons. « Même si la crise financière n’a touché que peu de personnes, elle a créé un choc considérable. Tout un système de valeurs s’est trouvé remis en question[53]. » Au XVIIe siècle, il paraît inconcevable à la majorité des gens qu’un produit aussi dérisoire qu’une fleur puisse jamais atteindre un prix supérieur à leur salaire annuel. La révélation que le prix d’une fleur d’été pouvait fluctuer aussi violemment en hiver brouille complètement le sens du mot « valeur »[54].

Un grand nombre des sources qui s’étendent complaisamment sur les affres de la crise, comme les pamphlets anti-spéculation cités ensuite par Beckman et Mackay, ont fourni les données qui ont servi à évaluer l’ampleur des dégâts infligés à l’économie néerlandaise. Or ces pamphlets n’ont pas été rédigés par les victimes de la crise, mais par des auteurs qui ont exploité la situation à des fins de propagande religieuse. La crise est décrite comme une perversion de l’ordre moral, la preuve que « se concentrer sur la fleur terrestre et méconnaître la fleur céleste pouvait avoir des conséquences catastrophiques[55]. » Il est donc possible qu’une péripétie relativement anecdotique soit devenue un conte moral, incorporant des éléments qui seraient qualifiés aujourd’hui de légende urbaine.

Près d’un siècle plus tard, après le krach de la compagnie du Mississippi, ou celui de la South Sea Company (vers 1720), il est encore fait mention de la crise de la tulipe dans les satires d’époque[56]. Lorsque Johann Beckmann écrit sur la crise de la tulipe dans les années 1780, il la compare à la faillite des loteries de son époque[57]. Golgar observe que même des livres populaires sur les marchés financiers tels que A Random Walk Down Wall Street (En descendant Wall Street à l’aventure), de Burton Malkiel, qui date de 1973, ou A Short History of Financial Euphoria (Petite histoire de l’euphorie financière) de John Kenneth Galbraith parue en 1990, peu de temps après le krach d'octobre 1987, se servent de la crise de la tulipe comme exemplum[58],[59],[60]. L’anthropologue Jack Goody y fait encore référence dans son ouvrage La Culture des fleurs[61].

La crise de 1637 redevient une référence à la mode au moment de la bulle Internet entre 1995 et 2001 [58]. Plus récemment, des journalistes l’ont mise en parallèle avec la crise des subprimes[62],[63]. Malgré la popularité durable de la « crise de la tulipe », Daniel Gross de Slate dit en citant les économistes qui proposent une relecture de l’épisode : « S’ils ont raison, alors les auteurs spécialisés dans la finance vont devoir retirer la crise de la tulipe de leur stock d’analogies toutes faites[64]. » Les débats suscités depuis lors par le caractère très volatil du cours du Bitcoin ont remis en usage ce lieu commun, en dépit des nombreuses publications rappelant la réalité historique : en 2014 comme en 2017, des dizaines d'économistes et deux "prix Nobel d'économie" ont assuré que la monnaie cryptographique était une "tulipe 2.0". La Banque de France a fait circuler une superposition de courbes où celle de Earl Thomson se trouve largement dénaturée, l'aspect de marché d'options en 1637 disparaissant abusivement[65]. L'historien Jacques Favier recense ces citations abusives et attribue à leurs auteurs un "Prix Tulipe"[66].

Dans les arts et la culture populaire

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Iconographie

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Vanitas, Jacob de Gheyn, 1603.

Selon un travail de recherche inédit présenté à l’université de Lausanne, l’Église protestante condamne fermement la spéculation en 1636[67], autant pour prévenir une crise économique que par souci éthique, les industries somptuaires étant découragées dans la société calviniste[67]. En effet, si l’envol extravagant des prix irrite les horticulteurs[46], il heurte aussi les sensibilités. Dans la culture de l’époque, comme le montre le terme de Windhandel[26], la tulipomanie apparaît à la fois comme une menace économique et une folie qui doit nécessairement aboutir à la catastrophe. Les peintures du siècle d’or naissant s’inscrivent dans la tradition humaniste satirique de la Folie[68] et des Vanités[69]. Le thème de la Vanité s’appuyait particulièrement sur l’Ecclésiaste[70] et celui de la caducité des choses sur le Livre des Psaumes[71].

On ne s’étonnera donc pas de la place qu’occupe la tulipe dans les natures mortes hollandaises et flamandes du début du XVIIe siècle, traitées comme des Vanités[72]. D’abord simple curiosité pour les botanistes au début du siècle auxquelles sont destinées les planches illustrées[11], la tulipe devient un sujet à la mode[73] pour les peintres, les tableaux la représentant étant une alternative durable aux fleurs périssables[72]. La tulipe s’ajoute alors à la liste d’objets qui symbolisent à la fois la caducité, comme les fleurs et le crâne, mais en raison de l’envol des cours elle peut également signifier la vanité du luxe, comme les bijoux ou les bibelots rares[69],[72]. La chute brutale des cours en 1637 ne fait que conforter cette symbolique[72].

Si la rose représente souvent la vanité de la beauté éphémère (Mignonne allons voir si la rose), la tulipe prend donc d'autres significations dans l'art. Dans la Vanité ci-contre de Jacob de Gheyn, peinte en 1603, la tulipe est associée à la fortune et l’ostentation des richesses, symbolisées par les pièces d’or espagnoles abandonnées sur le rebord de la niche par leur propriétaire[74] (riche négociant ou changeur ?) dont il ne reste que le crâne. L’œuvre précède la crise, mais la tulipe dénote déjà l’objet rare, précieux, essentiellement périssable[74]. Une inscription en haut de la niche porte les mots Vita Humana (« vie humaine »), ici résumée à la recherche des vanités. Les figures des philosophes[74] sculptés dans la partie supérieure du tableau de part et d’autre de la niche, tendent le doigt vers la bulle transparente qui représente le monde trompeur des apparences (le reflet) et donc la folie des hommes[74].

En 1635, deux ans avant la crise, le peintre Jacob Marrel se représente devant son chevalet en train de peindre un bouquet de fleurs où triomphe une tulipe. Mais en 1637, il peint une Vanité qui représente une niche où un bouquet semblable, un violon, un recueil de musique et de menus objets du quotidien voisinent avec un crâne, tandis qu’un angelot de pierre souffle des bulles de savon ironiques[75].

Le triomphe de Flore dans le char de la Fortune, vers 1640.

En 1640, Hendrick Pot se moque de la crise dans un tableau allégorique, Char des fous de Flore[76]. Flora, déesse des fleurs, est assise sur un char poussé par le vent (symbole de la légèreté et de l’inconstance), les bras remplis de tulipes. Ses compagnons, qui portent le capuchon des fous (ou des sots) orné de tulipes, sont un alcoolique (allusion aux tavernes où se négociaient les effets, lieux de débauche et de jeux d’argent) et deux hommes (sans doute le Gaergoedt des pamphlets, ou l’Avarice, et la fraude) prenant l’argent des naïfs qui va gonfler une bourse déjà bien remplie (représentant littéralement l’« appât du gain »). Le char est conduit par une femme aux deux visages, allégorie polysémique de la fausseté et du mensonge, de l’avant et de l’après, et, ironiquement, de la prudence; c’est aussi la fortune aux deux visages, souriant un jour aux fous et le lendemain leur faisant grise mine. Le char est suivi par des tisserands en goguette (les acheteurs irréfléchis, qui se ruinent en échangeant le fruit de leurs labeurs contre du vent). Le char de la Fortune qui passe au premier plan a pour l’instant le vent en poupe, mais on voit au second plan un char identique voguer sur les flots cette fois en luttant contre des vents contraires[77]. Le motif de l’horloge est comme dans les vanités l’emblème du temps qui passe et que l’on ne peut racheter si on l’a gaspillé en vaines poursuites. Ce tableau est à rapprocher de la Nef des fous ou du Char de foin de Jérôme Bosch au musée du Prado. Le tableau de Pot, comme celui de Gheyn, insiste sur le thème du vent, allusion à l’Ecclésiaste : Gheyn peint la légère fumée qui s’élève du gobelet d’argent placé symétriquement à la tulipe dans sa Vanité, et Pot peint une fumée noire qui s’exhale de la bouche de la figure de proue du char de la Fortune dans le second tableau. Tout part en une fumée emportée par le vent. Les spectateurs auraient identifié sans peine les codes d’une scène qui s’inscrit dans la tradition des soties, mais aussi du carnaval et de la fête des fous[78].

Au même moment, Jan Brueghel le Jeune peint une Satire de la tulipomanie (années 1640, collection particulière - reproduction sur (de) Jan Brueghel der Jüngere) où l’on voit une société de singes plantant, récoltant, vendant des tulipes, comptant leur argent, passant en jugement pour défaut de paiement, finissant au pilori ou même au cimetière[79]. On doit aussi à Jan Bruegel le jeune un Panier de fleurs dans le style des compositions florales de son père, d’où pendent tristement des tulipes à longue tige, tombées comme Icare pour avoir voulu s’élever trop haut[80]. Se greffant sur le thème traditionnel de la Chute d’Adam et Ève, mais aussi sur celui des vicissitudes de la roue de la Fortune, la débâcle annoncée de 1637 (« L’Orgueil » dit la Bible que les calvinistes sont tenus de lire, « précède la chute »[81]) se coule naturellement dans le moule de récits archétypaux qui peuvent expliquer sa popularité en tant qu’exemplum.

Philippe de Champaigne, Vanitas, ou Allégorie de la vie humaine, 1646, musée de Tessé, Le Mans.

Cependant la crise de la tulipe n’affecte pas le genre de la nature morte, où elle continue à s’imposer longtemps après 1637, avec des variétés toujours nouvelles et plus somptueuses, reflétant le succès commercial de cette fleur et l’engouement durable qu’elle suscite chez les amateurs. Ce succès ne s’est jamais démenti et fait d’elle encore aujourd’hui un des fleurons de l’horticulture néerlandaise.

Lorsque le Flamand Philippe de Champaigne peint la Vanité ci-contre à l’austérité toute janséniste en 1646, il n’a besoin que de trois objets pour résumer la vie humaine : tout est dit avec le crâne (memento mori), le sablier qui marque la fuite du temps et la tulipe flammée dans un vase bulle. Neuf ans après la crise de la tulipe, la fleur, ici une variété panachée précieuse, reste pour ses contemporains une métonymie riche de sens, qui évoque nécessairement l’orgueil, la chute et la vanité des entreprises humaines[82].

Littérature

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Bande dessinée

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L'histoire de l'album Bulbe fiction ! du Super Picsou géant numéro 178 traite de la tulipomanie au XVIIe siècle.

Tulipe noire.

En 1688, lorsque Jean de la Bruyère mentionne l’amateur de tulipes dans les Caractères au chapitre « De la mode », il ne mentionne nullement la tulipomanie comme un phénomène économique de masse, mais comme une mode qui fait des victimes chez les fous[83].

Lorsqu’Alexandre Dumas et Auguste Maquet rédigent La Tulipe noire (1850) ils en situent l’action en 1672, l’année de l’accession de Guillaume d’Orange au poste de Stathouder des Provinces-Unies, trente-cinq ans donc après la crise de la tulipe. Le héros du livre, comme le personnage de La Bruyère, consacre tous ses efforts à créer une tulipe noire, symbole de l’impossible rêve, surveillé de près, mais en secret, par un rival qui convoite la fleur précieuse. De la tulipomanie, Dumas n’a conservé que l’idée d’une quête obsessionnelle de la fleur rare et unique et de l’appât du gain qu’elle peut susciter.

À la fin des années 1980, le livre de Simon Schama, L’Embarras de richesses, produit un regain d’intérêt durable pour le siècle d’or néerlandais en dehors d’un public de spécialistes. Des romanciers tels que Gregory Maguire (Confessions of an Ugly Stepsister : Les Confessions d’une des méchantes belles-sœurs, 1999[84],[85]) ou Deborah Moggach (Tulip Fever (1999): La Fièvre de la tulipe[86]), et plus récemment Olivier Bleys[87] (Semper Augustus, 2007) s’emparent de cet épisode haut en couleur et utilisent la folie de la tulipe comme ressort dramatique. L’action du roman d’Olivier Bleys commence au moment où la spéculation sur la tulipe commence à s’emballer, miroir aux alouettes où le héros va se faire prendre. Les détails de la crise correspondent au tableau brossé par McKay et la chute des prix résulte, comme chez cet auteur, de l’intervention des autorités. Selon un critique, le roman d’Olivier Bleys « est inspiré de Max Weber, ce sociologue qui pointa la naissance du capitalisme moderne »[88].

Filmographie

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  • Tulip Fever (2017) traite de la tulipomanie au XVIIe siècle.

Télévision

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  • L’éditeur anglais JKLM Games a publié en 2008 le jeu de société Tulipmania inspiré de cet épisode historique.

Bibliographie

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Références

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  1. Shiller, 2005, p.85. Aux pages 247-248, l’auteur étudie plus en détail la question du statut de cette crise comme premier exemple de bulle spéculative de l’histoire.
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  3. a et b Thompson, 2007, p. 100.
  4. Alain Faujas, « Tulipes : quand les bulbes dégénèrent en "bulle" », sur Le Monde.fr, (consulté le )
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  6. Pamphlet sur la tulipomanie néerlandaise bibliothèque digitale Wageningen . Consulté le .
  7. a b c d e f g h et i Hans-Jorg-Rheinberger, « Vision, A Thousand Flowers », Max Planck Institut für Wissenschaftgeschichte, (consulté le )
  8. Dash, 1999, p.59–60
  9. a et b Charles de L’Écluse, Rariorum aliquot stirpium, per Pannoniam, Austriam, & vicinas quasdam provincias observatarum historia (Histoire de quelques espèces de plantes rares observées en Pannonie, en Autriche et dans les provinces voisines), imprimé chez Christophe Plantin en 1583
  10. Busbecquius, A.G., 1589: Legationis Turcicae epistolae quator. Vier brieven over het gezantschap naar. Turkije, (édité par Z. von Martels), Hilversum 1994. Four epistles of A.G. Busbecquius, concerning his embassy into Turkey (Londres, 1676 ; édition néerlandaise 1662, exemplaire disponible à la bibliothèque UR de Wageningen)
  11. a b c d e f g et h Liesbeth Missel, curateur de la bibliothèque Wageningen UR, « Sources on the Dutch tulip history », pages consultées le
  12. Goldgar, 2007, p.32
  13. S. Philipps, « Phytovirus en ligne : description et catalogue de la base de données VIDE », (consulté le )
  14. Garber, 1989, p.542
  15. Madrid, musée du Prado
  16. (en) Vancouver art gallery, « Roland Savery (Untitled) Flowers in a Vase (Vase de fleurs), 1615 », Vancouver
  17. Voir notamment la page Les Tulipes dans l’art sur Wikipedia Commons
  18. (en) John Parkinson, Paradisi in Sole Paradisus Terrestris : Or A Garden of All Sorts of Pleasant Flowers which our English Ayre will Permitt to be Noursed Vp. With a Kitchen Garden of All Manner of Herbes, Rootes, & Fruites, for Meate or Sause Vsed with Vs, and an Orchard of All Sorte of Fruitbearing Trees and Shrubbes Fit for Our Land. Together with the Right Orderinge, Planting & Preserving of Them and Their Uses and Vertues Collected by Iohn Parkinson Apothecary of London, Londres, Humfrey Lownes et Robert Young à l’enseigne de l’étoile sur Bread-Street Hill,
  19. The diary of John Evelyn from 1641 to 1705-6 : Pierre Morin "who from being an ordinary gardner is become one of the most skillful and curious persons in France for his rare collection of shells, flowers, & insects." Evelyn ajoute que P. Morin a fait peindre, en miniature ou à l’huile, certaines de ses raretés.
  20. https://archive.org/stream/8S222INV2101FA_P3#page/n67/mode/2up
  21. Thompson, 2007, p.109–11
  22. a et b Garber, 1989, p.541–42
  23. Garber, 1989, p.537
  24. Garber, 1989, p.543
  25. Garber 2000, p. 49–59 et 138–144. (ISSN 1162-6704).
  26. a et b Goldgar, 2007, p.322
  27. Garber, 1989, p.543–44
  28. Garber, 2000, p. 37–38, 44–47
  29. a et b Garber, 1990, p.37
  30. a et b Au chapitre III de son ouvrage (1841) Mackay affirme que cet ensemble de marchandises aurait bien été échangé contre un bulbe de tulipe (Mackay, 1841), information reprise par Simon Schama (L’Embarras de richesses) en 1987, mais Krelage (1942) et Garber (2000), p. 81–83 critiquent cette interprétation de la source primaire, un pamphlet anonyme ; ils pensent que l’auteur n’a dressé ce catalogue des prix et des biens qui y figurent que pour donner aux lecteurs une base de comparaison afin qu’ils se fassent une idée de la valeur du florin.
  31. Goldgar, 2007 p. 323
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  52. (en) Introduction by Andrew Tobias to Extraordinary Popular Delusions and the Madness of Crowds (New York: Harmony Press, 1980) disponible en ligne Andrew Tobias, De l’argent et d’autres thèmes, page consultée le
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  61. Jack Goody, La Culture des fleurs, Paris, Seuil, 1994, p. 215-6 (Édition originale, The Culture of Flowers, Cambridge, Cambridge University Press, 1993)
  62. The Washington Post, « Bubble and Bust; As the subprime mortgage market tanks, policymakers must keep their nerve », , page consultée le
  63. Horton, Scott. La Bulle éclate, Harper's Magazine, ; page consultée le
  64. Daniel Gross. Les Problèmes de la bulle des bulbes : cette bulle des tulipes hollandaises n’était peut-être pas aussi folle que cela, Slate, page consultée le
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  66. « Le Prix Tulipe attribué par le site La Voie du Bitcoin »
  67. a et b Toni Beutler, Aldric Petit et Pierre Stadelmann, « Histoire économique des Pays-Bas : Les Provinces Unies » [doc], Lausanne, HEC Lausance, (consulté le ).
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  70. ec 1,2, ec 2,5, mais aussi des passages tels que « sorti nu du sein de sa mère, [l'homme] s’en va tel qu’il est venu [..] Quel profit lui revient-il d’avoir travaillé pour le vent ? » ec 5,15
  71. ps 103,15
  72. a b c et d (en) Introduction à l’exposition Flowers (Fleurs), 8 décembre 2005 – 27 février 2006, « Tulips, roses and hyacinths at the Rijksmuseum Schiphol Amsterdam », Rijksmuseum (Amsterdam), (consulté le )
  73. Le musée Boijmans van Beuningen de Rotterdam possède même des carreaux de faïence représentant des variétés rares et chères de tulipes, probablement copiées à partir des herbiers peints des botanistes (en) cartel du musée, « Tulip tiles, anonymous, Netherland c. 1640 (Carreaux avec tulipes, anonyme, Pays-Bas vers 1640) », page consultée le
  74. a b c et d Voir le cartel du tableau sur le site du Metropolitan Museum of Art de New York : In Heilbrunn Timeline of Art History. New York: The Metropolitan Museum of Art, « Jacques de Gheyn the Elder: Vanitas Still Life (1974.1) (Nature morte au crâne) », , page consultée le
  75. Reproduction visible sur le site de la Staatliche Kunsthalle Karlsruhe en suivant ce lien
  76. Château Royal de Quierzy, « L’Art des jardins de l’antiquité à nos jours »
  77. Ecclésiaste I, vi, « Le vent se dirige vers le midi, tourne vers le nord ; puis il tourne encore, et reprend les mêmes circuits. » (trad. Louis Segond).
  78. Pour la symbolique du fou dans le carnaval, voir Jacques Heers, Fête des fous et carnaval, (ISBN 2-01-278828-9)
  79. Frans Hals Museum - Collections / Paintings / Highlights, page consultée le
  80. The Metropolitan Museum of Art
  81. Spr 16,18
  82. Pour la tulipe flammée comme symbole du luxe à l’époque baroque voir (en) Rijksmuseum, Amsterdam, « Still-life with flowers (Nature morte aux fleurs) »
  83. « Le fleuriste a un jardin dans un faubourg : il y court au lever du soleil, et il en revient à son coucher. Vous le voyez planté, et qui a pris racine au milieu de ses tulipes et devant la Solitaire: il ouvre de grands yeux, il frotte ses mains, il se baisse, il la voit de plus près, il ne l’a jamais vue si belle, il a le cœur épanoui de joie; il la quitte pour l’Orientale, de là il va à la Veuve, il passe au Drap d’or, de celle-ci à l’Agathe, d’où il revient enfin à la Solitaire, où il se fixe, où il se lasse, où il s’assit, où il oublie de dîner [...] »
  84. Maguire, HarperCollins, 1999
  85. Goldgar, 2007, p.329
  86. William Heinemann le 6 mai 1999 (ISBN 0-434-00779-X).
  87. Olivier Bleys, Semper Augustus, Paris, Gallimard,
  88. Gilles Heuré, « Olivier Bleys. Semper Augustus ; Dites-le avec des florins », Télérama, no 3001,‎

Articles connexes

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Liens externes

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