Massacre de l'usine AZTRA
Le massacre de l'usine AZTRA est un massacre qui a lieu en Équateur, à La Troncal, dans la province de Cañar, le . Ses victimes sont des travailleurs de l'entreprise Azucarera Tropical Americana (AZTRA), spécialisée dans le traitement de la canne à sucre. Alors que les ouvriers en grève revendiquant l'application d'un intéressement de 20 % sur les bénéfices occupent les installations, la police intervient violemment dans l'après-midi pour les en déloger, faisant 26 morts selon les autorités, plus de 100 morts selon les syndicats[1].
Autre nom | Masacre de Aztra |
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Date | 18 octobre 1977 |
Lieu | Équateur, La Troncal |
Cause | Autoritarisme du régime militaire, hausse des prix du sucre et la suppression de l'intéressement de 20 % |
Résultat |
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Mai 1977 | Organisation d'une grève nationale unitaire. |
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Août 1977 | Décret par le gouvernement d'une hausse des prix à propos du sucre. |
Septembre 1977 | Suppression de l'intéressement de 20 % par le gouvernement. |
18 octobre 1977 |
Grandes grèves menées et intervention des autorités lourdement armées: Début du massacre. Les principaux chefs du mouvement sont arrêtés puis emprisonnés. |
Contexte
modifierDe 1972 à 1979, l'Équateur est gouverné par un régime militaire, tout d'abord dirigé par le général Guillermo Rodríguez Lara, de 1972 à 1976, puis de 1976 à 1979 par un triumvirat regroupant deux généraux et un amiral représentant l'armée de terre, l'armée de l'air et la Marine. C'est sous le gouvernement de ce triumvirat que se produit la grève de l'usine AZTRA. Malgré ce contexte, les mouvements sociaux se développent au cours des années 1970 dans le pays, avec notamment en l'organisation d'une grève nationale unitaire par les trois principales centrales syndicales du pays. Ce renforcement des luttes syndicales va de pair avec un renforcement des politiques répressives menées par le gouvernement à leur encontre[2].
Sur le plan local, les années 1970 représentent aussi une période d'organisation des travailleurs en syndicats et comité d'entreprise. Les près de 4 000 travailleurs obtiennent de la direction de l'usine AZTRA, fondée en 1964 et propriété de l'État depuis 1972, deux contrats collectifs en 1974 puis 1976 prévoyant notamment un intéressement des travailleurs à hauteur de 20 % des bénéfices de l'entreprise. Toutefois, en , le gouvernement décrète une hausse des prix du sucre et supprime en l'intéressement de 20 %. En , les travailleurs demandent au ministère du Travail, le rétablissement de cet intéressement, ainsi qu'une plus grande stabilité de l'emploi et de meilleures grilles de rémunération. C'est sur ces revendications non satisfaites qu'est décidée la grève du [2].
La journée du 18 octobre 1977
modifierLe , les ouvriers de l'usine AZTRA se mettent en grève afin d'obtenir satisfaction de leurs revendications, en particulier sur l'intéressement de 20 % des bénéfices. Ils occupent leur usine, où ils sont rejoints dans l'après-midi par des membres de leur famille. Vers 17 heures, un détachement de plus de cent policiers fortement armés tente de les déloger, donnant un délai de 2 minutes aux quelque 2 000 personnes qui occupent l'usine pour évacuer les lieux, avant de procéder à des tirs de gaz lacrymogènes puis des tirs à balle réelle face au refus des travailleurs, pour certains armés de machettes. Dans le mouvement de foule qui s'ensuit, de nombreuses personnes tombent dans un canal d'irrigation, tandis que, selon les grévistes, d'autres sont blessées ou tuées par balles avant d'��tre jetées dans ce même canal par les forces de polices. Tandis que le bilan officiel s'établit à 26 morts (officiellement de noyade ou de crise cardiqaque), des bilans non officiels se basant entre autres sur le nombre d'ouvriers manquant à l'usine pendant les jours qui ont suivi, font état de plus de cent morts ou disparus ce jour-là. À 20 heures, le commandant des forces de polices, le major Díaz, fait savoir à sa hiérarchie que sa mission a été complètement accomplie[2],[3].
Suites et commémorations du massacre
modifierLa journée du met fin à l'occupation de l'usine. Les principaux dirigeants du mouvement sont arrêtés puis emprisonnés, tandis que la localité de La Troncal, où le mouvement se poursuivait, est placée sous contrôle militaire. La nouvelle du massacre se propage rapidement dans le pays, d'autres travailleurs de l'industrie sucrière (entreprises 'San Carlos et Valdez) se mettent en grève en solidarité avec ceux d'AZTRA, tandis que des manifestations d'ouvriers et d'étudiants se produisent à divers endroits du pays en guise de protestation. Lors du retour à la démocratie et des premières élections présidentielles en 1979, Jaime Roldós Aguilera promet qu'il n'y aura ni pardon ni oubli pour les responsables du massacre. Toutefois, quand il prend le pouvoir en , aucune poursuite n'est engagée contre les auteurs de la répression. Une commission d'enquête est nommée par l'Assemblée nationale, mais elle se contente de mettre à pied deux juges de la province de Cañar[3].
En 2011, le président Rafael Correa fait sien le bilan de plus de 100 victimes avancé par les syndicats, et promet de faire édifier un monument pour commémorer cet événement tragique[4]. En , l'Assemblée nationale de l'Équateur décrète le « journée de la dignité du travailleur équatorien de la canne à sucre » (día de la dignidad del zafrero ecuatoriano). L'Assemblée demande également la mise en place d'une Commission de la vérité pour éclaircir les faits, établir une liste exacte des victimes afin de pouvoir ériger un mémorial où seraient inscrits leurs noms au sein de l'enceinte législative, et le cas échéant poursuivre en justice les responsables. Le , la commémoration du massacre qui a lieu chaque année à La Troncal autour du « Monument au coupeur de canne » (monumento al zafrero), devient donc pour la première fois une célébration officielle[5].
Histoire postérieure de l'usine AZTRA
modifierLe , après un mouvement social de plusieurs mois, le gouvernement privatise l'usine AZTRA au bénéfice du groupe Isaías pour la somme de 100 000 dollars, préférant cette vente pour une somme que les syndicats jugent dérisoire au projet de reprise par les travailleurs. Dans les mois qui suivent, 3 500 d'entre eux sont licenciés, ce qui en fait le licenciement de masse le plus important dans l'histoire de l'Équateur[6]. En 2008, l'usine est de nouveau nationalisée avec d'autres biens de la famille Isaías au sein d'une holding Ecudos, administrée par le fonds public No más impunidad (Plus d'impunité)[7]. En , la sucrerie, la troisième d'Équateur par sa production, est de nouveau privatisée avec le reste de la holding Ecudos au bénéfice du groupe péruvien Gloria qui acquiert 70 % des actions pour 133,8 millions de dollars, tandis que les travailleurs espèrent pouvoir obtenir un crédit public pour pouvoir investir dans les 30 % restants[7].
Bibliographie
modifier- AZTRA, perdón y olvido de una masacre, Buitrón et al., Revue du CEDEP (No 14), 1985, 45 pp.
- La masacre de AZTRA: el crímen más espantoso de la dictadura del triunvirato militar. Granda Aguilar, V., Ed. Facultad de Ciencias Económicas de la Universidad de Cuenca, 1979, 387 pp.
- Memorias y representaciones de la matanza de trabajadores de Aztra 1977. Garrido, M. J., Rev. Pacarina del sur, Vol. 20, 2014.
Références
modifier- Durán Alba, J., « Movimientos sociales en Ecuador en 1970 », in Camacho, D., Los movimientos populares en América Latina, Ed. Siglo XXI. p. 269.
- Memorias y representaciones de la matanza de trabajadores de Aztra 1977. Garrido, M. J., Rev. Pacarina del sur, Vol. 20, 2014.
- Masacre de Aztra: Perdón y olvido, Eduardo Tamayo G., rev. ALAI, 20 octobre 1988.
- Gobierno firmará memorial para recordar masacre en Ingenio Aztra, ecuadorinmediato?com, 3 septembre 2011
- Cada 18 de octubre se celebrará el Día del Zafrero, El Telégrafo, 28 octobre 2014.
- Extrabajadores de Aztra llevaron su reclamo ante la CIDH
- Ecudos se vendió con crédito de la CFN, El Comercio, 16 septembre 2011