Documents comptables et
histoire de la construction
Guy de Dammartin et la cheminée
de la grande salle de poitiers
Olivier GUYOTJEANNIN et Philippe PLAGNIEUX
Ces dernières années, plusieurs publications sont revenues sur un très ancien débat : les débuts de l'architecture flamboyante en France, plus particulièrement dans le milieu royal et princier ' . Si ce bouleversement esthétique ne semble guère avoir touché la capitale du royaume avant le début du XVe siècle, il est apparu dès la fin du XIVe siècle sur les chantiers du duc de Berry dirigés par le maître général de ses œuvres, Guy de Dammartin, ainsi que l'a très bien démontré Clémence Raynaud 2. En effet, l'analyse des sources permet d'affirmer que Guy de Dammartin fut l'un des premiers architectes en France, voire le premier, au service des princes de la fleur de lys à adopter ce nouveau style, dans la décennie 1380-1390 : à la Sainte-Chapelle de Riom et à la tour Maubergeon du Palais de Poitiers. La transformation de la tour Maubergeon fut, semble-t-il, entreprise sur une décision du duc de Berry au début de décembre 1384, date à laquelle la présence de Guy de Dammartin est attestée dans la ville. Dès la fin du mois suivant, on élaborait pour le duc la maquette de la tour et la construction débuta le 9 mai 1385 par l'exécution des moles 3.
Quant à la célèbre cheminée de la grande salle (fig. 1) qui jouxtait la tour Maubergeon, le problème de sa datation et de son attribution paraît plus complexe : elle n'est jamais évoquée dans les comptes conservés qui ont été analysés, et en partie publiés, dans la grande monographie de Lucien Magne sur le Palais de Justice de Poitiers 4. De même, l'étude sur les travaux
d'art du duc de Berry, publiée en 1 894 par André de Champeaux et Paul Gauchery, ne mentionne aucun texte sur la grande salle et sa cheminée dans le chapitre consacré à Poitiers 5. Toutefois, quelques pages plus loin, dans les biographies d'artistes, A. de Champeaux et P. Gauchery insérèrent une courte citation d'un nouveau texte daté du 19 mars 1387 (a. st.), conservé aux Archives nationales (J 182) et qui venait tout juste de leur être signalé 6. Ce texte concerne l'achat d'une maison à Poitiers pour le compte du duc de Berry, qui avait « intencion de fere plusieurs ouvrages en nostre sale de Poistiers et en la tour de Mauberjon », pour, précisent les deux auteurs, y mettre les outils nécessaires aux travaux. Le document, ajoutent-ils, établirait la date à laquelle fut commencée la cheminée de la grande salle de Poitiers. Cependant, si cette source fut utilisée, à de tout autres fins, par les historiens de Poitiers et du duc de Berry 7, elle échappa aux historiens de l'architecture, en raison du caractère trop partiel, presque sibyllin, de son édition en 1894, de surcroît insérée dans un chapitre qui ne concernait plus directement le Palais de Poitiers. Ainsi, Clémence Raynaud, qui cite André de Champeaux et Paul Gauchery, pose le problème suivant : « Le projet de 1384 incluait-il la construction de la fameuse cheminée à triple foyer de la grande salle ? Dans un acte du 19 mars 1387 [lire : 1388 n. st.], Berry avait affirmé son intencion de fere plusieurs ouvrages en nostre sale de Poistiers et en la tour de Mauberjon. Aucun document, cependant, ne permet d'attribuer à Guy de
Dammartin les plans de l'ouvrage dont la réalisation n'est jamais évoquée dans les comptes conservés 8 ».
Le retour, non seulement au texte complet du document allégué, mais encore et surtout au dossier où il se trouva dès l'origine inséré permet de répondre positivement à cette double interrogation. Nous voudrions, après l'avoir proposé en séminaire à l'examen de nos étudiants de l'École des chartes, en faire ici une brève analyse, croisant les regards de l'historien de l'art et du diplomatiste. Le cas nous semble en effet doublement exemplaire, sur la typologie et la fabrication des pièces comptables, qui forment un matériau de choix pour l'histoire de l'art de la fin du Moyen Âge, et sur la nécessité de dépasser les divisions académiques et de transgresser les spécialités 9.
Le dossier sous examen se compose de quatre actes, dont on trouvera l'édition en annexe. Il documente toutes les étapes administratives de l'achat d'une maison à Poitiers, destinée à abriter (selon les n° 1 et n° 4) la chambre aux traits, où doivent être réalisés et entreposés les documents graphiques du chantier, les épures et les gabarits non seulement pour la tour Maubergeon mais également pour la grande salle : « pour faire la chambre aux traiz et mettre les moles et pluseurs utillemens neccessaires pour les ouvrages que mondit seigneur le duc fait faire en sa sale de Poitiers et en sa tour de Maubergeon » (n° 4). Il est également précisé (n° 1 et n° 4) que la maison achetée pour y établir la chambre aux traits
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Bulletin Monumental Tome 164-4 • 2006