Sédévacantisme
Le sédévacantisme (de l'expression latine sede vacante signifiant « le siège [étant] vacant », utilisée entre la mort ou la renonciation d'un pape et l'élection de son successeur[1]) est une position religieuse défendue par une minorité de catholiques du courant traditionaliste se regroupant dans de multiples chapelles. Elle affirme que, depuis 1958 (mort de Pie XII) ou 1963 (mort de Jean XXIII), ou encore après la déclaration Dignitatis Humanae sur la liberté religieuse de 1965, le siège du pape est vacant[2].
La position sédévacantiste comprend différentes déclinaisons : le sédévacantisme, qui considère les papes contemporains comme des usurpateurs, le sédéprivationnisme et le catholicisme semper idem[3].
Genèse du sédévacantisme
[modifier | modifier le code]En , le mexicain Joaquín Sáenz y Arriaga publie La Nouvelle Église montinienne[4] (adjectif forgé d'après le patronyme de Giovanni Battista Montini, le pape Paul VI), dans lequel il conclut que Paul VI a fondé une nouvelle religion[5]. En , il est excommunié par les évêques de son pays pour cette parution[6].
Doctrine
[modifier | modifier le code]L'argumentation sédévacantiste repose sur le syllogisme suivant :
- en vertu de l'assistance du Saint-Esprit, un pape ne peut, dans l'exercice de sa charge, enseigner ou promulguer des erreurs contre la foi (dogme de l'infaillibilité pontificale) ;
- les papes, depuis Jean XXIII ou Paul VI, auraient enseigné de multiples hérésies ;
- conclusion : ceux-ci ne seraient donc pas des papes légitimes[7].
Le sédévacantisme ne reconnaît ainsi ni la légitimité, ni l'autorité des papes régnant actuellement au Vatican[5].
Évêques
[modifier | modifier le code]Ngo Dinh Thuc
[modifier | modifier le code]Plusieurs personnes adhérant aux thèses sédévacantistes se sont vu conférer l'ordination épiscopale par l'archevêque de Hué, Pierre Martin Ngo Dinh Thuc, sans mandat pontifical comme le dominicain Guérard des Lauriers et des deux prêtres mexicains Moïse Carmona et Adolfo Zamora à Toulon en 1981[8].
Joseph Ratzinger, alors préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, a rappelé en 1983 que les évêques ainsi ordonnés encouraient « l'excommunication ipso facto très spécialement réservée au Siège apostolique » ; de même, « les prêtres ainsi ordonnés illégitimement sont suspendus ipso facto de l’Ordre qu’ils ont reçu ». La question de leur validité, en revanche, n'est pas tranchée ; c'est pourquoi, « pour tous les effets juridiques, l'Église considère que chacun d’eux est resté dans l'état qui était le sien auparavant »[9].
Groupes et personnalités
[modifier | modifier le code]La plupart des évêques sacrés par Ngo Dinh Thuc ont donné naissance à des communautés qui forment les groupes les plus visibles de ce courant :
- la Société de Saint Pie V (SSPV), présente aux États-Unis, créée par des prêtres américains ayant quitté la Fraternité Saint-Pie-X,
- l’association sacerdotale Instauratio Catholica, présente aux États-Unis, fondée par Daniel Lytle Dolan et Donald Sanborn (en), anciens membres de la Fraternité Saint-Pie-V,
- Congrégation de Marie Reine Immaculée (en) (CMRI) de Mark Pivarunas (en) aux États-Unis,
- Institut Mater Boni Consilii, présent en Italie, en Belgique et en France, créé par des prêtres italiens ayant quitté la Fraternité Saint-Pie-X,
- Fraternité Saint-Dominique, au prieuré de la Haie-aux-Bonshommes à Avrillé, de Michel-Louis Guérard des Lauriers, à laquelle est liée le Tiers-Ordre de la Pénitence de Saint-Dominique de Robert McKenna.
Carlo Maria Viganò, ancien nonce apostolique aux États-Unis, s'est rapproché des milieux sédévacantistes[10],[11].
Sédéprivationnisme
[modifier | modifier le code]Le sédéprivationnisme s'appuie sur la thèse élaborée par Guérard des Lauriers en 1979 dans Les Cahiers de Cassiciacum. Cette position affirme que les successeurs de Jean XXIII sont papes matériellement, mais non formellement (materialiter sed non formaliter)[2]. Le siège de Pierre est formellement vacant depuis la proclamation en décembre 1965 de la déclaration sur la liberté religieuse Dignitatis Humanae. Paul VI et ses successeurs, en raison des hérésies de Vatican II, bien que canoniquement élus papes, n'en ont pas les pouvoirs[12],[13].
Notes et références
[modifier | modifier le code]- « Apostolica sedes vacans », sur vatican.va (consulté le )
- (de) Matthias Altmann, « Die "Lehre" vom leeren Papststuhl: Die Welt des Sedisvakantismus », sur katholisch.de, (consulté le )
- Dounot 2019-B, p. 489-506.
- Dounot 2019-A, p. 150.
- Malo Tresca, « Qu’est-ce que le « sédévacantisme », ce courant catholique qui accuse les derniers papes d’« hérésie » ? », La Croix, (lire en ligne , consulté le )
- (en) « Father Joaquin Saenz y Arriaga denounces Paul VI as 'Jew' supported by Freemasonry », The Montreal Star, , p. 2 (lire en ligne)
- Dounot 2019-B, p. 490.
- Yves Chiron, Histoire des traditionalistes, suivie d'un dictionnaire biographique, Paris, Tallandier, , 637 p. (ISBN 979-10-210-3940-7), p. 530
- Joseph Ratzinger, « Notification par laquelle sont de nouveau déclarées les peines canoniques encourues par Mgr. Pierre-Martin Ngô-dińh-Thuc et ses complices pour les ordinations illicites de prêtres et d'évêques », sur vatican.va, Congrégation pour la Doctrine de la Foi, (consulté le )
- Matthieu Lasserre, « Mgr Carlo Maria Vigano, ancien nonce aux États-Unis, bientôt jugé à Rome pour délit de schisme », La Croix, (lire en ligne)
- (de) « Erzbischof Vigano wechselt ins Lager von Bischof Williamson », katholisch.de, (lire en ligne)
- Jean-Pierre Chantin (dir.) et Paul Airiau, Les marges du Christianisme : « Sectes », dissidences, ésotérisme, Paris, Beauchesne, coll. « Dictionnaire du monde religieux dans la France contemporaine », , 277 p. (ISBN 9782701014180), « Guérard des Lauriers Raymond Michel Charles », p. 120-122
- Frédéric Luz, Le soufre et l'encens : enquête sur les Églises parallèles et les évêques dissidents, Paris, Claire Vigne, , 319 p. (ISBN 2-84193-021-1, OCLC 35551976), « Les Antipapes se ramassent à la pelle – Mgr Guérard des Lauriers », p. 181
Annexes
[modifier | modifier le code]Articles connexes
[modifier | modifier le code]Bibliographie
[modifier | modifier le code]- Frédéric Luz, Le Soufre et l'Encens : enquête sur les Églises parallèles et les évêques dissidents, Paris, Claire Vigne, coll. « La Place royale », , 335 p. (ISBN 2-84193-021-1)
- Luc Perrin, « La question de l’autorité dans le traditionalisme catholique », Revue des sciences religieuses, no 87, , p. 61-76 (DOI 10.4000/rsr.1306)
- Paul Airiau, « Le pape comme scandale. Du sédévacantisme et d’autres antipapismes dans le catholicisme post-Vatican II », dans sous la dir. de J.Fr. Galinier-Pallerola, Ph. Foro, A. Laffay, Les Laïcs prennent la parole, La participation des laïcs aux débats ecclésiaux après le concile Vatican II, Actes du colloque à l’Institut catholique de Toulouse (30 janvier-1er février 2014), Paris, Parole et Silence, (lire en ligne), p. 427-445
- Maxence Hecquard, La crise de l'autorité dans l'Église : Les papes de Vatican II sont-ils légitimes ?, Paris, Éditions Pierre-Guillaume de Roux, , 318 p. (ISBN 9782363712820)
- Cyrille Dounot, « Les problèmes de méthode du sédévacantisme : Autour d'un ouvrage récent », Revue thomiste, no 3, , p. 489-506 (HAL hal-02326007)
- Cyrille Dounot, « Paul VI hérétique ? La déposition du pape dans le discours traditionaliste », dans Boris Barnabé (dir.), Nicolas Warembourg et Cyrille Dounot, La déposition du pape hérétique. Lieux théologiques, modèles canoniques, enjeux constitutionnels, Actes du colloque de Sceaux des 30-31 mars 2017, Éditions Mare & Martin Presses universitaires de Sceaux, , 222 p. (ISBN 978-2849344262, HAL hal-02310277), p. 131-165
- Maxence Hecquard, Controverses : La crise de l'autorité dans l'Église, Paris, XB Éditeur, , 180 p. (ISBN 9782492083051)
- Yves Chiron, Histoire des traditionalistes, suivie d'un dictionnaire biographique, Paris, Tallandier, , 637 p. (ISBN 979-10-210-3940-7)