Soulèvement du 18 mars 1871
Le soulèvement du est la riposte des révolutionnaires parisiens à la décision du gouvernement d'Adolphe Thiers de leur retirer leurs armes et leurs canons. En 24 h, le gouvernement et les troupes régulières se replient sur Versailles et abandonnent la capitale aux insurgés. C'est le début de la Commune de Paris, la plus importante des communes insurrectionnelles en France en 1870-1871.
Contexte
La guerre franco-allemande est désastreuse pour la France. Paris est assiégé par les troupes allemandes depuis le . Le gouvernement provisoire se résout alors à signer l'armistice le . Un mois plus tard, le , l'Assemblée nationale (réfugiée à Bordeaux) ratifie le traité de paix. Pendant le siège de Paris, des éléments de la Garde nationale ont déjà manifesté leur mécontentement à propos de la conduite des opérations et leur méfiance vis-à-vis du gouvernement notamment lors des journées du et du . La convention d'armistice prévoyait l'occupation partielle de Paris ce qui exaspère les Parisiens qui ont tenu la ville face aux armées prussiennes et fait monter la tension. Cette occupation est réduite à trois jours (1er au ).
Dès le lendemain une agitation importante règne dans Paris. Les quartiers de Belleville et de Ménilmontant doivent être évacués par les troupes mobiles pour éviter des incidents avec certains bataillons de la Garde nationale. La caserne de la Garde républicaine, rue Mouffetard, est attaquée. Dans le même temps, la Fédération de la Garde nationale se dote d'un comité exécutif provisoire (futur Comité central) et récuse son chef Aurelle de Paladines, nommé par le gouvernement.
Conformément à la convention d'armistice, la Garde nationale a conservé ses armes et a sous sa garde les canons fabriqués pendant le siège et payés par souscription des Parisiens. Ces derniers considèrent que ces 400 pièces d'artillerie[1] leur appartiennent. Le gouvernement fait plusieurs tentatives pour les récupérer : le , il échoue à enlever de force les canons installés à Montmartre ; le , il tente d'enlever de force les canons installés place des Vosges mais échoue à nouveau. Plusieurs maires d'arrondissement, Clemenceau, Tirard, Arnaud de l'Ariège, Martin interviennent auprès du ministre de l'Intérieur Ernest Picard pour éviter l'affrontement, mais celui-ci reste inflexible[1].
Préparatifs
Le gouvernement est décidé à rétablir son autorité dans Paris avant que les députés, jusqu'alors installés à Bordeaux, ne se réunissent à Versailles. Parallèlement l'Assemblée nationale prend un train de mesures qui va finir par faire basculer la population dans la guerre civile : suppression des moratoires sur les loyers, les effets, la solde quotidienne des gardes nationaux[2].
Le au soir, Adolphe Thiers[Note 1] réunit au ministère des Affaires étrangères le Conseil des ministres en présence du maire de Paris Jules Ferry, du préfet de police Valentin et des généraux Aurelle, chef de la Garde nationale, et Vinoy, gouverneur militaire de Paris. Il est décidé d'enlever les canons qui sont entreposés à Belleville et Montmartre. Les canons ne sont pas gardés. Le dispositif imaginé par Thiers est de quadriller Paris pour rendre toute résistance vaine. Le général Vinoy établit son quartier général au Louvre.
- Les brigades des généraux Paturel et Lecomte sous les ordres du divisionnaire Susbielle fortes d'environ 4 000 hommes, composées de régiments de ligne, de gardes républicains, de gardiens de la paix armés, avec des mitrailleuses devront marcher sur Montmartre. De l'infanterie, de la cavalerie et de l'artillerie restent en réserve[3].
- La division du général Faron, forte de 6 000 hommes, composée de régiments de ligne, de gardes républicains, de gardiens de la paix armés, avec des mitrailleuses et de l'artillerie, doit s'emparer des Buttes-Chaumont afin de contrôler Bellevile et Ménilmontant, occuper les gares du Nord et de l'Est.
- La division du général de Maud'huy doit occuper l'hôtel de ville, la place de la Bastille, l’île de la Cité, le pont d'Austerlitz et le port de l'Arsenal.
- Le général Valentin, préfet de police, dispose des gardes républicains installés dans les casernes Lobau et de la Cité, des régiments de ligne et de cavalerie, il doit contrôler les Tuileries, la Concorde et les Champs-Élysées.
- Au même moment, seuls trois membres du comité central de la Garde nationale sont de permanence dans l'école de la rue Basfroi dans le XIe arrondissement.
Déroulement
Le à trois heures du matin, les soldats se mettent en marche vers leurs objectifs qui sont atteints avant 6 h, mais les chevaux et attelages prévus sont en retard et le retrait des premiers canons prend du retard[4]. La population qui se réveille, se rassemble ; les gardes nationaux arrivent en armes. L'un d'eux, Germain Turpin, en faction au parc d'artillerie est blessé. Il meurt en dépit des soins prodigués par Louise Michel[5]. Le Comité central alerté du mouvement des troupes fait battre l'alarme dans le XIe arrondissement et ordonne d'élever des barricades dans le quartier.
Les intentions d'Adolphe Thiers, qui pilotait l'affaire, n'étaient pas seulement de récupérer les canons, mais aussi d'arrêter les meneurs révolutionnaires.
Vers 8 h, des soldats du 88e régiment de marche fraternisent avec la population. Le général Lecomte tente de s'y opposer, ordonne de tirer sur la foule mais ses soldats mettent crosse en l'air. À 9 heures le général est fait prisonnier et est conduit au Château-Rouge, tandis que les 80 gendarmes qui l'entourent sont emmenés à la mairie du XVIIIe arrondissement. Les troupes du général Paturel se disloquent. Une partie de la réserve du général Subvielle, installée entre la place Pigalle, le boulevard et la place Clichy fraternise aussi. La permanence du Comité central de la Garde nationale est renforcée par des délégués qui arrivent de leurs quartiers encore tranquilles.
Vers 10 h, les informations parviennent au gouvernement. Il apprend que les troupes du général Faron fraternisent et abandonnent leur matériel. Il y a des barricades dans le faubourg Saint-Antoine, à Ménilmontant. Le gouvernement et le commandant en chef de la Garde nationale, le général d'Aurelle de Paladines, tentent d'organiser une offensive en s'appuyant sur les Gardes nationaux des quartiers bourgeois du Centre et de l'Ouest de la capitale. Sur les 12 000 escomptés, à peine 600 répondent à l'appel et retournent chez eux lorsqu'ils constatent la faiblesse de leurs effectifs. Aussi le général Vinoy gouverneur de Paris décide de faire évacuer les quartiers de la rive gauche de la Seine et de replier les troupes sur l'École militaire.
Vers 13 h, le général Lecomte est transféré à Montmartre sur l'ordre d'un comité local de vigilance. Il est pris à partie par la foule en fête et par ses propres soldats. Il y est rejoint par un autre prisonnier, le général Clément-Thomas, un des commandants de la sanglante répression du soulèvement de juin 1848, qui a été reconnu bien qu'il soit en civil. Vers 14 h, le Comité central de la Garde nationale donne l'ordre à tous les bataillons de converger sur l'hôtel de ville (mouvement que certains d'entre eux ont déjà entrepris). À ce moment-là, Montmartre, la gare de Sceaux, la mairie du XIVe, la gare d'Orléans, le Jardin des Plantes, le palais du Luxembourg, la mairie du Ve sont aux mains des révoltés.
Une colonne venue de Montmartre marche vers la place Vendôme où se trouve le quartier général de la Garde nationale.
Vers 15 h, le gouvernement, revenu de son déjeuner, se divise sur la conduite à tenir : quitter Paris pour y revenir en force ou organiser la résistance dans les quartiers ouest. Affolé par des Gardes nationaux qui défilent devant le ministère où les ministres se trouvent, Thiers décide de quitter Paris pour Versailles et ordonne l’évacuation totale des troupes et le départ de tous les fonctionnaires.
En fin d'après-midi, à Montmartre, la foule déchaînée attaque le poste de la rue des Rosiers[Note 3] où se trouvent les généraux Lecomte et Clément-Thomas, qui sont sommairement exécutés[Note 2], malgré l'intervention de deux membres Armand Herpin-Lacroix et Simon Meyer du Comité de vigilance de Montmartre[6] ainsi que du maire du XVIIIe, Clemenceau. Un peu plus tard le général Chanzy échappe de peu au même sort[7]. L'hôtel de ville, où Jules Ferry tente d'organiser la résistance est abandonné par les soldats.
Vers 20 h, l’état-major de la Garde nationale, place Vendôme, la préfecture de police (vide) sont aux mains des révoltés alors que l'hôtel de ville est encerclé. Les ordres du Comité Central sont purement défensifs : « barricades partout. Ne pas attaquer ». Le bataillon cernant l'hôtel de ville se retire. Jules Ferry reçoit l'ordre d'abandonner l'hôtel de ville. Vers 23 h, l'hôtel de ville est envahi, et le comité central de la Garde nationale s'y installe.
Conséquences
Malgré une ultime conciliation menée par les élus parisiens (maires et députés), la rupture entre le gouvernement légal et les insurgés est consommée. Dès le lendemain le gouvernement prend des mesures pour isoler les communications entre Paris et la province. Rétrospectivement, le début de la « campagne à l'intérieur », organisée pour réprimer la Commune de Paris et les insurrections communalistes de province, sera fixé au , même si les premiers combats n'auront lieu que dans les derniers jours de mars.
De son côté, le Comité central occupe l'Hôtel de ville sous la direction d'Édouard Moreau qui convainc ses collègues d'organiser les élections municipales contre une minorité d'inspiration blanquiste qui voulait sans attendre marcher sur Versailles[8]. Cette décision sera critiquée par Karl Marx.
Plusieurs villes de Province s'insurgent également à la suite de ce soulèvement ; c'est notamment le cas à Marseille, Narbonne, Saint-Étienne, Le Creusot, ou encore Besançon, mais aussi Toulouse, Perpignan, Le Havre, Grenoble, Bordeaux, Nîmes, Limoges, Périgueux, Cuers, Foix, Rouen, etc.
Notes et références
Notes
- Thiers est chef du Pouvoir exécutif depuis le 13 février.
- La photographie d'Appert est un truquage photographique. Les deux généraux sont massacrés par la foule.
- La rue des Rosiers a été rasée au moment de la construction de la basilique du Sacré-Cœur et c'est l'actuelle rue du Chevalier-de-La-Barre qui en occupe partiellement l'emplacement. Elle ne doit pas être confondu avec l'actuelle rue des Rosiers.
Références
- William Serman, La Commune de Paris, Fayard, , p.197.
- Pierre Milza, L'année terrible : La guerre franco-française. la Commune mars-juin 1871, Perrin, , p.47-48.
- (en) « History of the Paris Commune of 1871 by Lissagaray », sur marxists.org (consulté le ).
- Serman 1986, p. 202.
- « LE 18 MARS par Louise MICHEL », sur parisrevolutionnaire.com (consulté le ).
- Chapitre III (en anglais) de l'Histoire de la Commune de 1871 de Lissagaray.
- Milza 2009, p. 20.
- Serman 1986, p. 215.
Bibliographie
- Laure Godineau, « Le Dix-Huit Mars 1871 : mémoires, écritures et inscription dans l'espace parisien », dans Jean-Claude Caron (dir.), Paris, l'insurrection capitale, Ceyzérieu, Champ Vallon, coll. « Époques », , 263 p. (ISBN 978-2-87673-997-0), p. 43-53
- Bernard Noël, Dictionnaire de la Commune, Flammarion, coll. « Champs », 1978
- Jacques Rougerie, Paris libre 1871, Le Seuil, coll. « Politique », 1971