Voir la source de Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord

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== Aspects privés ==
=== L'art de vivre ===
{{Citation bloc|Qui n'a pas vécu dans les années voisines de 1789 ne sait pas ce que c'est que le plaisir de vivre.|Talleyrand{{sfn|Lacour-Gayet|1990|p=56}}}}

Talleyrand était réputé pour sa conversation, son esprit, son raffinement et la finesse de sa table{{sfn|Waresquiel|2003|p=532}}, gardant toujours des manières d'Ancien Régime{{sfn|Waresquiel|2003|p=533}}. Pour [[Germaine de Staël]], « si sa conversation pouvait s'acheter, je m'y ruinerais »{{sfn|Lacour-Gayet|1990|p=1276}}. Pour parler de littérature, il reçoit notamment dans sa riche bibliothèque{{sfn|Waresquiel|2003|p=542}}, qu'il doit vendre plusieurs fois, par manque d'argent{{sfn|Waresquiel|2003|p=543}}.

Pendant toute sa vie, Talleyrand aime l'opulence et le gros jeu (notamment le [[craps]] et le [[whist]]){{sfn|Waresquiel|2003|p=148}}, ce qui lui impose de disposer de revenus importants ; il lui arrive de se trouver à court d'argent et de ne pas payer ses fournisseurs{{sfn|Waresquiel|2003|p=147}}{{sfn|Lacour-Gayet|1990|p=1292}}.

Avant de s'installer successivement à l'[[hôtel de Matignon]] et à l'[[hôtel Saint-Florentin]], il partage son temps entre son ministère (pour les réceptions officielles) et la rue d'Anjou (pour les intimes) où il a installé Catherine Grand{{sfn|Waresquiel|2011|p=63}}. Lui et ses nombreuses relations mondaines et intimes y jouent, dînent [[Service à la française|à la française]]{{sfn|Waresquiel|2003|p=539}}, écoutent parfois de la musique{{sfn|Lacour-Gayet|1990|p=677}} et surtout conversent de tous les sujets, y compris de cuisine et de vins{{sfn|Waresquiel|2011|p=71}}.

Il a la réputation d'avoir la meilleure cave et la meilleure table de Paris{{sfn|Waresquiel|2011|p=69}}{{sfn|Waresquiel|2003|p=540}}. À l'hôtel Saint-Florentin, la cuisine occupe tout un quartier, comprenant, outre un temps [[Marie-Antoine Carême]] ({{citation|le roi des chefs et le chef des rois}}, qu'il rend célèbre), quatre chefs, un rôtisseur, un saucier, un pâtissier, occupant dix à vingt personnes suivant les moments{{sfn|Waresquiel|2003|p=539}}. Pendant quelques années, il est aussi le propriétaire du [[Château Haut-Brion]]{{sfn|Waresquiel|2011|p=72}}.

=== Talleyrand et les femmes ===
[[Fichier:AdelaideSouza.jpg|vignette|Madame de Flahaut.|alt=Gravure ronde en noir et blanc, présentant le haut du corps d'une femme en robe blanche décolletée, de trois-quarts et le visage tourné vers le spectateur, aux cheveux mi-longs et noirs.]]
Être étudiant au séminaire n'empêche pas Talleyrand de fréquenter ostensiblement une actrice de la [[Comédie-Française]], Dorothée Dorinville (Dorothée Luzy pour la scène){{sfn|Lacour-Gayet|1990|p=39}}, avec qui il se promène sous les fenêtres du séminaire{{sfn|Orieux|1970|p=94-95}}. Cette relation dure {{citation|pendant deux années, de dix-huit à vingt ans}}{{sfn|Lacour-Gayet|1990|p=38}} :
{{Citation bloc|Ses parents l'avaient fait entrer malgré elle à la comédie ; j'étais malgré moi au séminaire. […] Grâce à elle, je devins, même pour le séminaire, plus aimable, ou du moins plus supportable. Les supérieurs avaient bien dû avoir quelque soupçon […] mais l'abbé Couturier leur avait enseigné l'art de fermer les yeux.|''Mémoires de Talleyrand''{{sfn|id=T|texte=Talleyrand, ''Mémoires''|p=132}}}}

Les femmes prennent très tôt une grande importance dans la vie de Talleyrand, importance qui sera constante, intimement, socialement et politiquement jusqu'à sa mort{{sfn|Waresquiel|2003|p=62-64}}. Parmi ces femmes, il entretient toute sa vie une amitié teintée d'amour avec un « petit globe{{sfn|Orieux|1970|p=215}} » à qui il reste fidèle. Ainsi, ses mémoires ne mentionnent l'avènement de {{Louis XVI}} que sous cet angle :
{{Citation bloc|C'est du sacre de {{Louis XVI}} que datent mes liaisons avec plusieurs femmes que leurs avantages dans des genres différents rendaient remarquables, et dont l'amitié n'a pas cessé un moment de jeter du charme dans ma vie. C'est de madame la duchesse de Luynes, de madame la duchesse de Fitz-James, et de madame la duchesse de Laval que je veux parler.|''Mémoires de Talleyrand''{{sfn|id=T|texte=Talleyrand, ''Mémoires''|p=133}}}}

De 1783 à 1792, Talleyrand a pour maîtresse (entre autres) la [[comtesse]] [[Adélaïde de Souza|Adélaïde de Flahaut]], avec qui il vit presque maritalement et qui lui donne au grand jour un enfant en 1785, le fameux [[Charles de Flahaut]]<ref>[http://www.charles-de-flahaut.fr/origine2.html Un site consacré à Charles de Flahaut recense 45 biographes sur 50 consultées estimant que Talleyrand est son père.].</ref>.

[[Germaine de Staël|Madame de Staël]] a une brève aventure avec lui ; Talleyrand dira plus tard « qu’elle lui a fait toutes les avances<ref>Journal de [[Charles-Julien Lioult de Chênedollé|Chênedollé]], {{p.|9}}.</ref> ». Talleyrand (qui scandalise la société de Philadelphie en se promenant au bras d'une femme noire{{sfn|Orieux|1970|p=214}} ») la sollicite depuis les États-Unis pour l’aider à rentrer en France. Elle obtient, grâce à [[Marie-Joseph Chénier]], qu’il soit rayé de la liste des émigrés, puis, en 1797, après lui avoir prêté {{unité|25000|livres}}, le fait nommer par Barras ministre des Relations extérieures<ref group=N>En retour, Talleyrand veut prendre Benjamin Constant, le nouvel amant de {{Mme|de Staël}}, comme secrétaire (mais sa qualité d’étranger constitue un obstacle) et obtient la désignation du baron de Staël comme ambassadeur extraordinaire de son pays, la Suède, auprès de la République française.</ref>. Lorsque Madame de Staël se brouille avec Bonaparte, qui l'exile, Talleyrand cesse de la voir et ne la soutient pas. Elle considérera toujours cette attitude comme une étonnante ingratitude<ref>Ghislain de Diesbach, ''Madame de Staël'', Perrin, 1997.</ref>.

[[Fichier:GerardPcsseTalleyrand.jpg|vignette|Madame Grand, par [[François Gérard]].|alt=Peinture aux tons chauds représentant une femme debout dans un intérieur luxueux et confortable : tentures grises, coussins verts et tapis rouge. En robe blanche très décolletée, détendue, elle est accoudée à une cheminée ornée de deux vases et regarde par une large ouverture au-dessus de celle-ci, d'où provient la lumière. Au premier plan, à gauche, un petit fauteuil sur lequel sont négligemment posés des vêtements.]]

À son retour d'Amérique, Talleyrand demande en mariage [[Marguerite Françoise Bouvier de La Mothe de Cepoy|Agnès de Buffon]], qui lui oppose un refus{{sfn|Lacour-Gayet|1990|p=469}}, ne pouvant se résoudre à épouser un évêque<ref>Mémoires de la Comtesse de Boigne, née d'Osmond, Paris, Mercure de France, 1971, tome 1, {{p.|165}}.</ref>.

Quelques historiens, comme Jean Orieux, affirment qu'[[Eugène Delacroix]] est le fils de Talleyrand. Ils avancent que Talleyrand est l'amant de Victoire Delacroix, que [[Charles-François Delacroix|Charles Delacroix]] (ministre dont il prend la place en 1797) souffre, jusque six ou sept mois avant la naissance, d'une tumeur aux testicules, qu'Eugène Delacroix offre une certaine ressemblance physique avec Talleyrand et que ce dernier le protège durant sa carrière{{sfn|Orieux|1970|loc={{p.}}270 et suivantes : « Naissance d'un étoile »}}. Si Georges Lacour-Gayet estime « impossible » que Charles Delacroix soit son père et « possible » que Talleyrand le soit{{sfn|Lacour-Gayet|1990|p=262-264}}, et si Maurice Sérullaz ne se prononce pas<ref>''Delacroix'', Maurice Sérullaz, {{p.|203}}.</ref>, une autre partie des biographes du peintre<ref>P. Loppin, ''Eugène Delacroix, l'énigme est déchiffrée'', cité par Emmanuel de Waresquiel.</ref> et de ceux de Talleyrand<ref>Léon Noël, ''Talleyrand'', cité par Emmanuel de Waresquiel.</ref>{{,}}<ref>Casimir Carrère, ''Talleyrand amoureux'', cité par Emmanuel de Waresquiel.</ref> contestent cette théorie, affirmant que la relation n'a jamais eu lieu, et que la naissance, prématurée, intervient logiquement à la suite de la guérison de Charles Delacroix. Enfin, leur principal argument est qu'il n'existe qu'une source sur cette paternité, les ''Mémoires'' de [[Caroline Jaubert|Madame Jaubert]]<ref>{{ouvrage |auteur=Caroline Jaubert |titre=Souvenirs de madame C. Jaubert |éditeur=J. Hetzel et cie |date=1881 |pages totales=323}}.</ref>, ce qui fait dire à Emmanuel de Waresquiel :
{{Citation bloc|Tous ceux qui ont aimé à forcer le trait de leur personnage, à commencer par Jean Orieux, se sont laissé tenter, sans se soucier du reste, ni surtout des sources ou plutôt de l'absence de sources. Une fois pour toutes, Talleyrand n'est pas le père d'Eugène Delacroix. On ne prête qu'aux riches… En juillet 1797, il est ministre de la République, ce qui n'est pas si mal.|Emmanuel de Waresquiel, ''Talleyrand, le prince immobile''{{sfn|Waresquiel|2003|p=209}}}}

Durant les négociations du [[Régime concordataire français|concordat de 1801]], pour lesquelles Talleyrand met de la mauvaise volonté{{sfn|Lacour-Gayet|1990|p=460}}, Bonaparte souhaite que la situation de son ministre se normalise et qu'il quitte ou épouse sa maîtresse{{sfn|Orieux|1970|p=405}}, l'ex-[[Catherine Noël Worlee|{{Mme}} Grand]]. Elle-même, qui ne demande que cela, se plaint de sa situation auprès de Joséphine{{sfn|Blei|1932|p=110}} — d'après Lacour-Gayet, Talleyrand lui-même le souhaite{{sfn|Lacour-Gayet|1990|p=470}}. Après de vifs désaccords, le [[Pie VII|pape]], dans un [[Bref apostolique|bref]], permet à Talleyrand de « porter l'habit des séculiers » mais lui fait rappeler qu'« aucun évêque sacré n'a été dispensé, jamais, pour se marier{{note|Dans le Bref du 29 juin 1802 ; voir les mémoires, {{p.|238}}{{sfn|Lacour-Gayet|1990|p=463-467}}.|groupe=N}} ». Sur l'ordre de Bonaparte, le [[Conseil d'État (France)|Conseil d'État]] interprète à sa façon ce bref papal et rend Talleyrand à la {{citation|vie séculière et laïque}} le {{date-|18 août 1802}}{{note|Dans ''Le Moniteur'' du {{date républicaine-|2 fructidor an X}}{{sfn|Lacour-Gayet|1990|p=469}}.|groupe=N}}. Le {{date-|10 septembre 1802}}, il se marie donc à l'[[hospice des Incurables]], [[rue de Verneuil]] à [[Paris]], avec [[Catherine Noël Worlee]], qu'il connaît depuis trois ans. Les témoins sont [[Pierre-Louis Roederer]], [[Étienne Eustache Bruix]], [[Pierre Riel de Beurnonville]], [[Maximilien Radix de Sainte-Foix]] et [[Karl Heinrich Otto de Nassau-Siegen]]. Le contrat est signé par Bonaparte et Joséphine, les deux autres consuls, les deux frères de Talleyrand et par [[Hugues-Bernard Maret]]. Malgré un mensonge de Catherine Worlee sur son veuvage, un discret mariage religieux aurait eu lieu le lendemain{{sfn|Lacour-Gayet|1990|p=472-474}} à l'église d'[[Épinay-sur-Seine]]{{sfn|Waresquiel|2011|p=59}}. De Catherine, Talleyrand a sans doute une fille, Charlotte, née vers 1799 et déclarée de père inconnu, dont il devient judiciairement le tuteur en 1807 et qu'il marie en 1815 au baron [[Alexandre-Daniel de Talleyrand-Périgord]], son cousin germain{{sfn|Lacour-Gayet|1990|p=883}}. Ayant démissionné de la présidence du Conseil, et quoique séparé depuis longtemps de Catherine, Talleyrand signe le {{date-|27 décembre 1816}}, « sous le sceau de l'honneur », une convention de séparation amiable{{sfn|Lacour-Gayet|1990|p=493-494}}.

[[Fichier:Dorothée de dino.jpg|vignette|[[Dorothée de Courlande]], duchesse de Dino.|alt=Peinture aux tons froids représentant une femme debout dans un décor aux allures de palais : on distingue, derrière un lourd rideau bleu clair à franges d'or, une architecture austère et une lumière d'hiver. Debout sur un dallage marqueté, la femme se tient très droite. Elle est vêtue d'une robe blanche à petits motifs brodés en argent, et aux épaules bouffantes, légèrement décolletée et d'une grand cape tombante, bleu vif à broderies d'or. Le visage paisible et le sourire détendu, elle porte un grand chignon noir et un collier sous son long cou.]]

En 1808, durant l'[[entrevue d'Erfurt]], si Napoléon ne parvient pas à séduire le tsar, Talleyrand obtient de ce dernier le mariage de son neveu [[Edmond de Talleyrand-Périgord]] avec [[Dorothée de Courlande]], âgée de {{nobr|15 ans}}, « un des meilleurs partis d'Europe{{sfn|Waresquiel|2003|p=392-395}} ». Sa mère, la duchesse de Courlande, s'installe à Paris et devient l'une des intimes et la maîtresse de Talleyrand, rejoignant le « petit globe » de ses amies.

Au [[congrès de Vienne]], Dorothée de Périgord a {{nobr|21 ans}} et voit sa vie transformée (« Vienne. Toute ma vie est dans ce mot. ») : elle brille dans le monde par son intelligence et son charme. Faite duchesse de Dino, elle prend définitivement place aux côtés de son oncle par alliance, devenant probablement sa maîtresse peu après{{sfn|Waresquiel|2003|p=479-482}} (sans qu'il cesse d'avoir de tendres rapports avec sa mère{{sfn|Lacour-Gayet|1990|p=891-892}}) ; outre les enfants de son mariage, sa fille [[Pauline de Talleyrand-Périgord|Pauline]] est vraisemblablement de Talleyrand{{sfn|Orieux|1970|p=689}}. Malgré ses amants, elle vit avec ce dernier à l'hôtel Saint-Florentin, à Londres ou à Valençay jusqu'à sa mort, soit durant vingt-trois ans. Dépositaire par testament de ses papiers, elle devient pendant vingt ans la « gardien[ne] de l'orthodoxie » de la mémoire (et des ''Mémoires'') de Talleyrand{{sfn|Waresquiel|2003|p=19}}.
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