Sukurcze

propriété foncière disparue, située dans l'ancien powiat de Lida en Biélorussie

Sukurcze est un domaine et un village situé à l'ouest de la ville de Lida en Pologne avant la Seconde Guerre mondiale (aujourd'hui en Biélorussie) sur la rivière Krupka, près du village de Krupa[N 1](dans l' oblast de Grodno) Il appartenait au résistant Witold Pilecki, exécuté par les communistes au pouvoir en Pologne en 1948.

Sukurcze
La maison de Witold Pilecki avant 1939.
Géographie
Gouvernement
Ouïezd
Lidsky Uyezd (en)
Coordonnées
Carte

C'est là qu'est né Wojciech Narbutt, écrivain et chambellan royal à la cour de Stanislas II, dernier roi de Pologne[1].

Origine du nom du domaine

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Sukurcze dérive du lituanien « sukurti » qui veut dire : établir, construire[2],[3]

Histoire

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Temps modernes

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Sous la République des Deux Nations, Sukurcze se trouve dans la voïvodie de Vilnius dans le comté de Lida, les nobles locaux s'y arrêtent pour des diétines de voïvodie[4],[2]

Le premier propriétaire connu de Sukurcze est Andrzej Scipio del Campo (? - 1682) issu d'une famille noble d'origine italienne. Il est le représentant de la cinquième génération de Scipio polonais[2]. Échanson de Grodno, en 1669 représentant pour le district de Lida pour l'élection du roi Michel Wiśniowiecki, puis en 1674 représentant pour le district de Grodno pour l'élection de Jean III Sobieski[2]. Andrzej Scipio del Campo a pour épouse Eleonora Suchodolska dont il eut six enfants ; il laisse cependant le domaine à sa seconde épouse Anna Pochodcimska[2]

Après la mort de celle-ci, Sukurcze devient la propriété de Jan Scipio del Campo (? - 1738)[2] Avec son épouse Teresa Glebicki-Józefowicz, il a un fils Józef (vers 1700-1743) auquel il teste en 1720 ses domaines fonciers dont Sukurcze[2] Józef eut six enfants issus de deux mariages, dont seuls Ignacz et Anna atteignent l'âge adulte (En 1742, Józef reçoit la plus haute distinction de Pologne : l'Ordre de l'Aigle blanc)[2]

Le dernier des Scipio del Campo à posséder Sukurcze, à savoir Ignacz (1728-1791) est également un homme brillant. Général de division de l'armée lituanienne, il a auparavant voyagé et étudié en Europe, et contribué à l'émergence d'une intelligentsia à Lida. Il fait éditer le « Codex diplomatique » de M. Dogel)[2] en 1758. Ignacz Scipio del Campo est fait chevalier des ordres de Saint-Stanislas en 1776 et de l'Aigle blanc en 1781. Mais auparavant vers 1761, à la suite de diverses procédures judiciaires provoquées par le décès de son père il perd le domaine de Sukurcze)[2]

En 1761, le domaine appartient passe à la famille Narbutt, nobles (armoiries Trąby) Tadeusz Narbutt (vers 735-vers 1795) qui grâce à ses capacités financières, son amitié avec le prince Czartoryski agrandit considérablement ses terres)[2] Il est chambellan de 1782 à 1792 et vice-président du tribunal de Vilnius. Marié à Katarzyna Wiazewicz ; ils ont cinq enfants[2].

Époque contemporaine

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C'est à Sukurcze qu'est signé le par la noblesse locale l'acte qui donne le déclenchement de l'Insurrection de Kościuszko[2] Le jeune Wojciech Narbutt est lieutenant dans l'armée polonaise [2]Le soulèvement échoue et se termine par le troisième partage de la République de Pologne. Sukurcze et la région de Lida font désormais partie de l'Empire russe[2]. Le domaine de Sukurcze, les terres des Narbutt sont séparés de la Pologne à la suite de la Troisième partition induite par le traité du .

Après la mort de Tadeucz Narbutt, son fils Wojciech Narbutt hérite de Sukurcze[2]. Mais comme il n'a aucun intérêt pour la terre, vivant à Varsovie, à sa mort n'ayant pas d'héritier mâle, le domaine passe à son frère le père Stanisław Narbutt, qui vend le domaine à la famille Pilecki au début des années 1840[2]

Au XIXe et au début du XXe siècle, le domaine et les villageois sont situés en Russie , dans le gouvernorat de Vilnius, district de Lida. Il appartient à la famille Pilecki[5].

En 1844, le domaine de Sukurcze avec 116 villageois appartenait à Maria Pilecka née Domejka (1805-1883) son fils Józef Pilecki (1827-1905) hérite du domaine. À la mort de Jozef ses fils Jan, Ludwik et Julian héritent [2] Jozef Pilecki fait partie du soulèvement de 1863-64 contre l'occupant russe et il est condamné à sept ans de travaux forcés en Sibérie[2]. Jozef Pilecki comme la plupart des nobles polonais qui ont soutenu la rébellion, voit son titre révoqué, son patrimoine et ses biens confisqués par le gouvernement russe. Il est également condamné à l'exil en Sibérie pendant sept ans. Après sa libération, lui et sa famille sont réinstallés de force par les autorités tsaristes dans le territoire éloigné de Carélie. Il est interdit à la famille de vivre en dehors de cette province pendant trente ans et ses membres sont légalement tenus d'être employés uniquement par l'État russe3.

La Première Guerre mondiale va faire se disperser les Pileckis, Sukurcze est sous l'occupation allemande qui administre les ressources agricoles du domaine qui est alors géré par un fonctionnaire allemand[2] La guerre contre les Allemands se termine le 11 novembre 1918, à cette date est proclamée la Deuxième République (qui durera jusqu'en septembre 1939) ; vient ensuite la guerre soviéto-polonaise en 1920 ...

Grâce au miracle de la Vistule et dans l'entre-deux-guerres, le domaine est de nouveau en Pologne, dans la voïvodie de Nowogródek. Au printemps 1920 le jeune Witold Pilecki, petit-fils de Jozef et fils de Julian Pilecki (1870-mai 1932) entend organiser les ressources agricoles du domainer[2]. en 1921, le domaine des Pilecki et quelques habitations forment un village de 27 habitants vivant dans cinq maisons, tous de rite catholique[6]

Le , Witold Pilecki et Maria Ostrowka (pl) se marient et s'installent à Sukurcze, où naitront leur fils Andrzej puis leur fille Zofia (pl)[7]. Leur père et beau-père Julian Pilecki meurt en à Sukurcze[8],[9]. Witold s'investit en tant que propriétaire terrien, fonde une amicale agricole et une coopérative laitière dont il est le président. Les champs sont de luzerne « reine des plantes fourragères » et de blé [10]. C'est l'époque heureuse, il écrit des poèmes et peint, dessins et contes de fées pour ses enfants et ceux de familles amies[7]. Deux de ses tableaux ornent l'église de Krupa.

Il a depuis 1928, acheté par son père, une jument arabe polonaise nommée Bajka (« Conte »)[11],[N 2],[12]. Il y aura en général plus d'une dizaine de chevaux dans ses écuries. En 1931, un escadron de uhlans dont Witold est le capitaine est créé dans le district de Lida ; en 1937, W. Pilecki en est nommé commandant en chef - 19e division d'infanterie[13]. La famille Pilecki vit à Sukurcze jusqu'au déclenchement de la guerre le Andrzej Pilecki se souvient« Mon père a sauté de cheval, m'a soulevé et a embrassé Zofia et ma mère, puis il a dit : "au revoir, nous nous reverrons dans deux semaines". Il est parti et nous ne l'avons plus revu » [14]

Sous les ordres du général Rudolf Eugeniusz Dreszer l'escadron de Pilecki est vaincu par une unité blindée allemande les 4 et à Wolbórz (voïvodie de Łódź) (Bajka meurt engagée dans cette bataille)[15].

Sukurcze se retrouve en zone d'occupation soviétique le 17 septembre, les Russes envahissant la Pologne orientale conséquence du pacte germano-soviétique[7],[16].

Après la Seconde Guerre mondiale, Staline déplace les frontières de la Pologne de 300 km vers l'ouest ; le domaine de Sukurcze se retrouve alors en Biélorussie et est systématiquement détruit par la République populaire biélorusse aux ordres de Moscou, la Pologne communiste ayant exécuté Witold Pilecki le .

Le manoir et la place qui l'entoure sont détruits, les arbres sont abattus et les étangs comblés, le lac et sa source, comblés avec du sable. Plus tard, dans les années 1990[17], les autorités biélorusses sorties du communisme russe détruisent les derniers vestiges du village[18]. Cette destruction comprend tous les souvenirs même les plus intimes, afin de faire oublier jusqu'à l'existence de ses occupants. Les dents en or des cadavres du cimetière sont arrachées[19]. Ce n'est pas un exemple isolé durant l'occupation communiste[20] et sous la dictature contemporaine d'Alexandre Loukachenko[21].

Zofia Pilecka-Optułowicz a raconté en 2012 « Récemment, j'ai reçu un appel d'un homme qui s'est rendu en Biélorussie, là où il y avait le domaine et le village de Sukurcze. Maintenant, il n'y a rien, pas même une seule pierre qui formait autrefois notre manoir. Il n'y a pas non plus de trace des majestueux tilleuls, qui protégeaient les bâtiments du vent de l'Est »[4],[22]

Notes et références

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  1. unité administrative territoriale soviétique, conservée en Biélorussie.
  2. « Od 1928 roku posiadał « własną klacz » rasy arabskiej noszącą imię Bajka. »

    « Depuis 1928, il possédait « sa propre jument » de race arabe, nommée Bajka »

    (pl) « Zamek Lipowiec w Babicach » [« Château de Lipowiec à Babice »], sur Polskie Radio

Références

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  1. (pl) Słownik geograficzny Królestwa Polskiego i innych krajów słowiańskich] (« Dictionnaire géographique du Royaume de Pologne et des autres pays slaves »), tome XI, pages 560 - 561.
  2. a b c d e f g h i j k l m n o p q r s t et u Towarzystwo Przyjaciół Ziemi Lidzkiej / Société des amis de la région de Lida >> Majątki powiatu Lidzkiego. Majątek Sukurcze (traduit du russe par Jan Kozłowski) >>> texte publié en russe le 7 septembre 2015 par Valery Vasilievich sur le site http://wwww.lida.info/imenya-lidskogo-uezda-imenie-sukurchi/
  3. Dictionnaire Lituanien français Sukurti en latin >> Facere (Non potest arbor bona malos fructus facere/Te hoc facere necesse est/ Opus est facere)
  4. a et b niezalezna "Witold Pilecki, dziedzic na Sukurczach koło Lidy" (kultura, historia)
  5. (pl) Jan Hlebowicz, « Witold Pilecki: konspirator w piekle », sur Musée d'histoire de la Pologne à Varsovie (pl).
  6. (pl) Skorowidz miejscowości Rzeczypospolitej Polskiej, t. VII, partie I : Województwo nowogródzkie, Główny Urząd Statystyczny (en), , 140 p. (présentation en ligne).
  7. a b et c (pl) Rotmistrz Witold Pilecki, Institut de la mémoire nationale, § « 1921 - 1939 ».
  8. Julian Pilecki, Find a grave.
  9. Julian Pilecki, Geni.
  10. « 550 acres en 1924 » Jack Fairweather The Volunteer Ebury Publishing, 2019 - 528 pages s. p.
  11. nominatif singulier de Bajka féminin
  12. Le volontaire
  13. (en) Rafał Zgorzelski, « Witold Pilecki – a Flawless Hero », The Warsaw Institute (en) Review, no 26,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  14. [https://pilecki.polskieradio.pl/punkt/zamek-lipowiec Zamek Lipowiec w Babicach / Château de Lipowiec à Babice sur Polskie Radio
  15. (pl) Piotr Dzięciołowski Stajnia rotmistrza Pileckiego (« L'écurie du maître et capitaine Pilecki »), hejnakon.pl)
  16. Maria Pilecka trouve refuge avec ses enfants chez sa mère à Ostrów Mazowiecka - ils vont rester pendant les dix prochaines années - Pendant l'occupation, elle dirige avec sa sœur Zofia Radwańska une librairie que les nazis incendient en 1944 en quittant la ville.
  17. (en) Musée de l'histoire de la Pologne, « In front of the manor house in Sukurcze ».
  18. (pl + en + fr) « Pileccy » [PDF], Institut de la mémoire nationale, p. 35.
  19. Patricelli 2011, Introduction.
  20. Nicolas Werth « Les crimes de masse sous Staline (1930-1953) », Sciences Po, 28 décembre 2009 (consulté le 12 octobre 2024), section « Les déportations de masse dans le cadre de la resoviétisation des pays baltes, de l’Ukraine occidentale et de la Moldavie (1947-1949) ».
  21. Polskie Radio 24 pl : « Un cimetière polonais détruit en Biélorussie. Ce sont les tombes des soldats de l'Armée de l'Intérieur » (Surkonty, dans la région de Grodno) fin août 2022 : les autorités biélorusses ont détruit le cimetière militaire polonais.
  22. (pl) O Witoldzie Pileckim. “Przesłanie mojego ojca” Le message de mon père / Bogusław Rąpała s'entretient avec Zofia Pilecka-Optułowicz, fille du capitaine Witold Pilecki ., Radio Maryja, 25 mai 2012 (consulté le 15 décembre 2022)

Bibliographie

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  : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

  • (en) Witold Pilecki (1901-1948) [PDF], Pilecki Institute  
  • Marco Patricelli, Le Volontaire : L’homme qui organisa la résistance à l’intérieur d’Auschwitz, J.C. Lattès, , 341 p. (lire en ligne), Introduction (sur Google Livres), traduit de l'italien Il volontario, 2010.  
    Aller dans l'édition numérique en français de Google Livres, au dernier chapitre « C […] juges seront jugés ».

Liens externes

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