Cité ouvrière

un village entier (initialement) construit par une seule grosse société, pour ses employés
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Une cité ouvrière est un « ensemble concerté d’habitat ouvrier, généralement mono-familial » selon la définition usitée par les services de l'Inventaire du patrimoine culturel français[1]. Elle constitue, à l’origine, une zone essentiellement résidentielle exclusivement destinée aux ouvriers d’une même usine et à leur famille. Elle peut être accompagnée d’équipements collectifs. Dans la plupart des cas, elle est mise à disposition par le patron de l’usine.

Vue de Strasbourg, la cité Ungemach, cité ouvrière du début du XXe siècle

Origines et sources d’inspiration

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La révolution industrielle du XIXe siècle entraîne la concentration de populations souvent étrangères à la région où elles sont contraintes de s'installer. Ces nouvelles populations ouvrières, venues de régions ou de pays éloignés, doivent donc être rapidement logées à proximité de leur lieu de travail. Il faut dire qu’il existe alors un véritable problème de logement auquel doit faire face la France notamment. Un certain nombre de rapports célèbres remontant à la première moitié du XIXe siècle rendent compte des déplorables conditions de vie des ouvriers en France (rapports du Docteur Guépin, du docteur Villermé, d’Auguste Blanqui, de Victor Considerant). Ces rapports sont à l’origine d’une véritable prise de conscience des intellectuels de l’époque comme de certains grands patrons.

Certains capitaines d’industrie mènent en effet une politique « paternaliste » envers leur main-d’œuvre. Il s’agit de prendre en charge chaque instant de la vie de l’ouvrier, pour assurer son bien-être, mais aussi pour mieux le contrôler. Ces patrons sont durablement marqués par les théories de Saint-Simon (1760-1825), qui préconisent une attitude éclairée des nouvelles élites capitalistes. L’idée de Saint-Simon est d’instituer un « nouveau christianisme » dont les fondements seraient la science et l’industrie, et l’objectif la plus grande production possible. Dans un tout autre domaine idéologique, Charles Fourier (1772-1837), un des précurseurs du socialisme, imagine dans son ouvrage Théorie de l’unité universelle, le phalanstère : une organisation d’ouvriers vivant et travaillant en coopérative. D'autres mouvements d'idées inspirent aussi au développement de ces cités, mouvements aussi divers que le catholicisme social et le courant hygiéniste, promus notamment par Adolphe Burggraeve, Frédéric Japy.

Ces théories s’inspirent aussi de projets plus proprement architecturaux développés dès le XVIIIe siècle, et notamment de Claude-Nicolas Ledoux et son projet d'Arc-et-Senans.

Les premières cités modèles du XIXe siècle

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La création de logements pour ouvriers à proximité des usines est une habitude déjà ancienne comme on pouvait en trouver autour des forges ou de filatures de l’Ancien Régime. À l’époque, il s’agit de maintenir sur place une population ouvrière déjà jugée instable. Par exemple, Frédéric Japy est, à Beaucourt, l'un des pionniers de ce paternalisme moderne. Après avoir développé un système de division du travail pour son usine d'ébauches de montres, il décide en effet d'installer ses ouvriers au plus près de leur lieu de travail. Il fait construire une aile de logements attenante à l'usine et les ouvriers mangent le soir à la table du patron[2]. Mais la nouveauté au XIXe siècle, c’est la création de véritables cités ouvrières, sous la forme d'un urbanisme complet avec tous les équipements nécessaires. En effet, les appareils de production industriels se développent considérablement au cours de la période et les industriels emploient une quantité de plus en plus importante de main-d’œuvre. Certains patrons jugent nécessaire de faire bénéficier leurs employés d’équipements modernes aussi bien en termes de sanitaires qu’en termes d’équipements sociaux collectifs : écoles, garderies, centres de loisirs, etc.

Le premier exemple étranger, à partir de 1816, vient de Belgique, autour du complexe industriel de charbonnages du Grand-Hornu. Mais les initiatives les plus célèbres se trouvent en Angleterre, avec la ville de Port Sunlight non loin de Liverpool, fondée par William Lever, fabricant de lessive ou encore la cité-jardin de Bournville proche de Birmingham, construite par l’industriel spécialisé dans le chocolat George Cadbury.

 
La cour intérieure du pavillon central du Familistère de Guise en cours de réfection en 2010.

Les plus importantes cités ouvrières françaises sont créées par les industriels du textile de Mulhouse, d’origine protestante et d’inspiration humaniste. La première cité y est construite en 1853, en location-vente, c’est-à-dire que les ouvriers deviennent propriétaires à terme de leur logement. Au total, ce sont 1 243 logements ouvriers qui sont construits entre 1854 et 1900 pour les employés des usines des filatures mulhousiennes ainsi que des ouvriers de la Société de construction mécanique Koechlin. Cependant, la création la plus marquante est le Familistère de Guise, dans l’Aisne, appelé aussi « Palais social » mis en place par Jean-Baptiste André Godin entre 1859 et 1870.

Par exceptions, les Cités Napoléon à Paris (1850) et à Lille (1859-1862), celle-ci rebaptisée Cité philanthropique, ne sont pas liées à une entreprise.

Les utopies patronales et leurs réalités pour l'ouvrier

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Afin de loger les cheminots, la Compagnie du Nord construisit une importante cité ouvrière à Tergnier, comme souvent autour de ses dépôts.

Créer une cité ouvrière à proximité de son usine n’est pas simplement une œuvre philanthropique. C’est avant tout un calcul de rentabilité du travail. Elle permet en effet de garder à proximité du lieu de production une population réputée très mobile et ainsi de conserver le plus longtemps possible les bénéfices d’une main-d’œuvre généralement très qualifiée. Cette population est attirée par des logements confortables, mais aussi par de nouveaux équipements financés par le patron : dispensaires, cinémas, stades, etc. C’est un moyen de contrôler la vie de l’ouvrier, en orientant totalement sa vie dans et hors de l’usine, du berceau jusqu’à la maison de retraite.

C’est aussi une image de marque pour ces entreprises. Dans un très grand nombre de brochures de réclame, l’action sociale de la société est mise en avant et le fait que celle-ci offre de bonnes conditions de logement et de vie quotidienne à ses employés semble un argument de vente pour de nombreuses entreprises.

Cependant, ces solutions sociales, au-delà de l’affichage publicitaire, restent très ponctuelles et limitées. Dans la majorité de ces exemples, la totalité des ouvriers de l’usine ne bénéficie pas de telles conditions de logements ni de facilités quotidiennes. Cela concerne même parfois uniquement une minorité. Au sein même des employés bénéficiant de ces privilèges, une distinction sociale et géographique est faite entre d’un côté les cadres, ingénieurs ou contremaîtres bénéficiant de logements spacieux, souvent indépendants, et sur de grands terrains et de l’autre les simples ouvriers, logés dans des habitats plus modestes.

Par ailleurs, un tel contrôle social est vu de plus en plus négativement par les classes populaires au cours du XXe siècle. Celles-ci aspirent à la propriété individuelle et à une amélioration de leur condition sociale, au-delà de leurs simples conditions sanitaires. Malgré le contrôle strict des dirigeants patronaux, une telle concentration de populations ouvrières permet, paradoxalement, une meilleure organisation syndicale des ouvriers dans la première moitié du XXe siècle. Ce sont ces mêmes ouvriers qui deviennent souvent les fers de lance des grandes grèves de 1936 en France.

Ce type d’urbanisation, à l’instigation d’un patron, va se prolonger jusque dans les années 1960, car la pénurie de logements sociaux se fera sentir pendant les deux premiers tiers du siècle dernier. C’est donc toujours aux entreprises d’assurer le logement de leurs employés. On trouve ainsi un grand nombre de cités construites par les compagnies de chemin de fer ou d’électricité. Mais bien souvent, ces cités se limitent à l’aménagement de logements, sans les équipements urbains complets que l’on peut trouver dans les exemples de Noisiel.[réf. nécessaire]

Exemples de cités ouvrières célèbres

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En Europe

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Pavillons dans la cité ouvrière Menier à Noisiel
 
La cité des dents de scie de Trappes dans les Yvelines.

Allemagne

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Belgique

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Espagne

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République tchèque

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  • Zlín, en Moravie : ville de l'entreprise Bata, presque entièrement construite à l'initiative du patron de l'entreprise Tomáš Baťa, des années 1900 aux années 1930.

Royaume-Uni

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La cité ouvrière n° 5 située au Sud du village de Nazia à proximité du lac Ladoga accessible par 4x4 après avoir parcouru 16 km de piste défoncée.

En Amérique du Nord

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États-Unis

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En Amérique du Sud

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Brésil

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Pour approfondir

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Bibliographie

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  • Henry Roberts, The dwellings of labouring classes, Londres, 1850 (traduit la même année en France)
    ouvrage fondateur sur les systèmes de cités ouvrières et leur hygiène, que Louis-Napoléon Bonaparte fait traduire en France
  • Henry Roberts, Des habitations des classes ouvrières, leur composition et leur construction avec l’essentiel d’une habitation salubre, édition revue et augmentée de 1867, introduction, traduction de l’anglais et notes par Micheál Browne, Paris, L’Harmattan, coll. « Les Introuvables », 1998, 71+152 p.
  • Charles Thierry-Mieg, « Les habitations ouvrières et leur amélioration », Revue d'Alsace, t. 41,‎ , p. 50-67 (lire en ligne)
  • Émile Cacheux, État des habitations ouvrières à la fin du XIXe siècle ; étude suivie du Compte rendu des documents relatifs aux petits logements qui ont figuré à l'Exposition universelle de 1889, Paris : Baudry, 1891, 184 p. [Lire en ligne sur Gallica]
    Ouvrage présentant l'ensemble des cités ouvrières reconnues comme « modèles » en Europe en 1889
  • Maurice Agulhon, Histoire de la France urbaine, t. 4 : « La Ville de l’âge industriel, le cycle haussmannien, 1840-1950 », Le Seuil, 1983 ; réédition coll. « Points histoire », 1998, 736 p.
  • Louis Bergeron, "Les villages ouvriers comme éléments du patrimoine de l'industrie", Article de l'ICOMOS, 2001.
  • Collectif, Villages ouvriers : utopies ou réalités, actes du Colloque international au Familistère de Guise (16-), no 24-25 de la revue Archéologie industrielle de France, éd. L'Heur de Laon et CILAC, 1994, 255 p. [lire en ligne]
  • Jean-Pierre Frey, Le rôle social du patronat - Du paternalisme à l'urbanisme, éd. L'Harmattan, coll. « Habitat et société », 1995,
  • Michel Ragon, Histoire de l’architecture et de l’urbanisme modernes, Tome 3 : "Idéologies et pionniers, 1800-1910", édition Casterman 1986, réédition Le Seuil, coll. « Point », 1990, 374 p.
  • Marcel Roncayolo, Thierry Paquot, Villes et civilisation urbaine, XVIIIe – XXe siècle, édition Larousse, coll. « Textes essentiels », 1992, 688 p.

Pour quelques exemples locaux :

  • Achille Penot, Les cités ouvrières cde Mulhouse du département du Haut-Rhin : augmentée de la description des bains & lavoirs établis à Mulhouse, Mulhouse/Paris, Imprimerie L. L. Bader/Librairie scientifique de Eugène Lacroix, , 2e éd., 178 p. (lire en ligne), 9 planches
  • Les cités ouvrières de Mulhouse, Mulhouse et Paris, Imprimerie Veuve Bader et Cie, , 4e éd., 32 p. (lire en ligne)
  • Lucie Prohin, « Concevoir l’espace domestique pour contrôler la main-d’œuvre : l’action de la Société mulhousienne des cités ouvrières durant la seconde moitié du XIXe siècle », Amnis Revue d'études de sociétés et cultures contemporaines Europe-Amérique, no 20,‎ (lire en ligne)
  • Nada et Marc Breitman, Les Maisons des mines dans le Nord et le Pas-de-Calais, éd. Mardaga, coll. « architecture+urbanisme », 1995, 128 p.
  • Construire la ville. L'urbanisme en Seine-et-Marne au XXe siècle, Archives départementales de Seine-et-Marne, coll. « Mémoire et Documents », 2007 (en vente aux Archives départementales)
  • Gracia Dorrel-Ferré (dir.) Habiter l'industrie hier, aujourd'hui, demain, Les Cahiers de l'APIC n°4, coll. « Patrimoine Ressources », CRDP de Champagne-Ardenne, 2004, 175 p.
  • Jean-Pierre Frey, La ville industrielle et ses urbanités. La distinction ouvriers employés, Le Creusot, 1870-1930, éd. Mardaga, 1995
  • Alain Leménorel, Vie de cités. Cités ouvrières du Calvados XIXe – XXe siècle, éd. des Cahiers du temps, coll. « Objectif patrimoine », 2002
  • Renaud Aulagner, Cités minières - cités jardins : le logement des mineurs par la Compagnie R.M.F., près de Saint-Étienne (1875-1945), éd Lulu.com, 2010, 215 p.

Articles connexes

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Liens externes

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Notes et références

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  1. Définition du Thésaurus de la base Mérimée du ministère de la Culture
  2. Paul Delsalle, La France industrielle aux XVIe, XVIIe, XVIIIe siècles, éd. Ophrys, 1993, p. 171. Mais c'est surtout dans la seconde moitié du XIXe siècle, que de véritables cités ouvrières se développent dans ce petit bourg du Territoire-de-Belfort, sur le modèle de la cité Pierre Japy, cf. sa « fiche », notice no IA90000132, sur la plateforme ouverte du patrimoine, base Mérimée, ministère français de la Culture
  3. Roger Brunet, "Mort de Bataville", Mappemonde, juin 2005
  4. Stéphane Jonas, Mulhouse et ses cités ouvrières. Perspective historique 1840-1918, éd. Oberlin, 2003, 391 p.
  5. Cf. Site officiel du Familistère
  6. Jean-Pierre Frey, La ville industrielle et ses urbanités, la distinction ouvriers/employés, Le Creusot, 1870-1930, Ed. Mardaga, 1986
  7. Cf. Site entièrement consacré à la saga Menier à Noisiel
  8. Jean-Pierre Frey, "Morphogénèse d'un parc immobilier et évolution de la répartition des groupes sociaux", Actes de l'atelier D : "Mobilités résidentielles et mutations urbaines", 4e Conférence Internationale de Recherche sur le logement, "Les Enjeux Urbains de l'Habitat", Paris, 3-6 juillet 1990 [lire en ligne]
  9. Louis Bergeron, op. cit.
  10. Site Internet consacré à la Colonia Güell
  11. Site officiel de Port-Sunlight